Niquer la fatalité d'Estelle Meyer © Emmanuelle Jacobson-Roques
© Emmanuelle Jacobson-Roques

Niquer la fatalité : Estelle Meyer, une femme, un point c’est tout ! 

Envoûtante et généreuse, Estelle Meyer, en tournée dans le Sud, présente au TNN son spectacle-manifeste libre et indiscipliné, entre récit initiatique, concert incandescent et rituel féministe partagé.

Rideau rouge en fond de scène, lumière tamisée, quelques instruments de musique, deux luminaires, un fauteuil bohème et des bougies, bienvenue chez Estelle Meyer. Le dispositif est simple et chaleureux, il lui ressemble. Elle entre et sa seule présence lunaire suffit. Elle ne cherche pas à impressionner, elle convoque. Dès les premières secondes, la salle est suspendue à sa parole, happée par ce regard direct, ce timbre de voix singulier, grave et profond, qui se déploie, se fissure, se brise parfois en aigus inattendus, en dissonances qui lui sont propres. Une voix vivante, comme sculptée par l’émotion.

Niquer la fatalité d'Estelle Meyer © Emmanuelle Jacobson-Roques
© Emmanuelle Jacobson-Roques

À 38 ans, Estelle Meyer a choisi de retracer sa vie de femme. Une traversée intime, indisciplinée, portée par le souffle de la poésie, du théâtre, du chant et de la révolte. Sur scène, elle est accompagnée par deux excellents musiciens – Grégoire Letouvet et Pierre Demange – qui la soutiennent à merveille, à la fois chœurs invisibles et catalyseurs de sa parole. Elle dit l’enfance, l’éveil du désir, l’amour – libre, pluriel, incandescent. Elle évoque aussi sans drame, mais avec intensité l’ombre. Le viol, à l’adolescence. Sans détour, sans effet. Juste les mots. Pour que les maux aient un espace. Pour ne plus avoir honte de son corps, de ses pensées et de sa sexualité.

Au fil du récit, une voix l’accompagne. Celle de Gisèle Halimi – la lecture de son dernier livre, Une Farouche liberté, a marqué profondément la jeune femme, avec qui elle engage un dialogue imaginaire, une conversation d’outre-tombe pleine de tendresse et d’ironie. “Elle est plus moderne que moi !”, s’amuse-t-elle. Dans cette conversation impossible, tout se noue : l’intime et le politique, la douleur et le combat, la solitude et la filiation. Halimi devient un ancrage, une étoile, un repère, mais jamais un modèle figé. Plutôt une présence mouvante, à laquelle elle répond avec sa propre langue, son propre corps.

Niquer la fatalité d'Estelle Meyer © Emmanuelle Jacobson-Roques
© Emmanuelle Jacobson-Roques

Plus qu’un spectacle ou un manifeste, c’est à un rituel que nous invite Estelle Meyer. Une invitation à se libérer des assignations, à oser dire, à oser être. Elle ne théorise pas. Elle incarne. Avec une générosité rare, elle offre son histoire pour en faire un lieu de partage, une communauté éphémère, un foyer. Au fil de la soirée, elle propose un geste collectif, un rituel expiatoire qui dépasse la scène. Tout devient possible : pleurer, rire, hurler, se taire, respirer ensemble.

Sans jamais tomber dans la leçon, ni dans le prêche, même si parfois le temps s’étire, l’artiste qui a grandi en région parisienne, et que François de Brauer a croquée avec une tendresse infinie en illuminée dans un de ses spectacles, déploie une pensée féministe structurée, limpide, ancrée dans le vécu. Une pensée vivante, en mouvement, qui ne cherche pas la domination, mais l’équilibre. Elle parle d’une “paix profonde” à construire entre les sexes. Non pas un rêve naïf, mais une nécessité urgente.

Avec Niquer la fatalité, Estelle Meyer, gitane des temps modernes, cherche à transmettre. Longtemps après que les lumières se soient éteintes, sa voix résonne encore. Unique. Indocile. Indispensable.


Niquer la fatalité d’Estelle Meyer
création en mars 2023 au Théâtre Antoine Vitez – Ivry-sur-Seine
durée 1h45 environ

Tournée
20 et 21 mai 2025 au Théâtre national de Nice, CDN
23 mai 2025 à Châteauvallon-Liberté, Scène nationale de Toulon
27 et 28 mai 2025 au Théâtre Joliette, Marseille

Conception et interprétation – Estelle Meyer
Mise en scène et dramaturgie de Margaux Eskenazi
Composition musicale d’Estelle Meyer avec la participation de Grégoire Letouvet et Pierre Demange 
Scénographie de James Brandilly
Piano, clavier Grégoire – Letouvet
Batterie, percussions – Pierre Demange
Régie son et direction technique – Thibault Lescure
Création et régie lumière de Pauline Guyonnet
Création costumes de Colombe Lauriot Prévost 

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