Située au pied de la Citadelle Vauban, la Caserne de l’Espérance se distingue autant par son architecture que par sa reconversion artistique. Construite en 1780, en bordure de l’enceinte fortifiée de la vieille ville, elle répond aux principes de l’architecte militaire de Louis XIV. La cité étant trop exiguë pour accueillir tous les bâtiments nécessaires à l’armée, des magasins d’intendance sont construits à l’extérieur. La caserne reconvertie à la fin des années 1990, conserve une étonnante structure en bois, mise en valeur avec finesse par l’architecte Robert Reichen, Aujourd’hui, il abrite aujourd’hui le Centre chorégraphique national, le tribunal de commerce et le conseil des prud’hommes du Territoire de Belfort.
Odile Duboc, une pionnière
En 1995, sous l’impulsion de la chorégraphe Odile Duboc, le Centre chorégraphique national de Franche-Comté s’y installe. Avec la scénographe Françoise Michel, l’architecte Robert Reichen et le scénographe Claude Perset, elle conçoit un lieu pensé pour la danse : un grand plateau aux dimensions scéniques, doté d’un sol souple et d’un gril technique. En 2015, cette salle est officiellement nommée Espace Odile Duboc.

Dix ans plus tard, le 15 mai, une plaque commémorative est inaugurée à l’entrée de cette salle, rebaptisant ainsi la place du nom de la chorégraphe. Officiels, édiles -tous faisant le serment dans leur discours de soutenir à l’unisson la culture et la structure – artistes étaient réunis afin de célébrer celle qui a inscrit les lieux dans l’histoire de la ville et de la danse contemporaine.
Trois directions, trois pièces emblématiques
Le moment fort de cette semaine anniversaire s’est tenu le 15 mai, avec la Soirée Hommage, avant sa tournée. Trois pièces emblématiques y ont été présentées, représentatives des trois directions artistiques ayant façonné le Centre chorégraphique. Le public avait déjà pu (re)découvrir le mardi précédent Tout-Moun, dernière création du duo Héla Fattoumi – Éric Lamoureux.
Recréée pour l’occasion le Boléro d’Odile Duboc par les étudiants du Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris, sous le regard vigilant des ayants droit de la chorégraphe – disparue en 2010 -, cette pièce propose une danse de l’écoute, redonnant tout son sens au mot “interprétation”. Contre l’idée d’un rituel spectaculaire ou d’un crescendo imposé par Ravel, la chorégraphe choisit la retenue, la progression discrète, la précision du détail. Ce qui l’intéresse dans cette partition musicale dont elle a chorégraphié trois versions différentes (ce soir seul le premier est présenté) est de faire ressortir l’obsession rythmique de la composition, offrant ainsi un terrain d’exploration pour la danse.
Sur scène, cinq duos – couples, amis, amants… – construisent la pièce autour de la verticalité, dans une composition presque architecturale. La jambe d’un danseur passe devant, la partenaire se retire, les obliques à peine esquissées contredisent la stabilité. Tout ici résiste à l’excitation. Les variations lumineuses de Françoise Michel, présente dans la salle, accompagnent la lenteur du mouvement collectif et la gravité contenue de chaque figure. Une pièce qui, loin du cercle rituel, ouvre un espace de perception sensible et de construction partagée.
En route pour l’Australie aborigène

S’inspirant des songlines, ces chants des pistes du désert transmis oralement dans la culture aborigène, de son enfance en Australie et de la mythologie des peuples autochtones, Joanne Leighton compose une pièce à la fois sobre et fascinante, fondée sur la marche et la transformation continue du mouvement. Interprétée par dix-sept étudiantes et étudiants du Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Lyon, Nos Songlines épouse la partition minimaliste In C de Terry Riley, créant un flux ininterrompu de gestes portés par la musique.
Sur scène, un miroir rond posé au sol scintille sous les projecteurs, tel une étendue d’eau. Un autre, posé sur le mur du fond, renvoie l’image d’un plateau en mouvement. Les interprètes, organisés en grappes de trois ou cinq, occupent l’espace en silence, enveloppés dans un halo de lumière douce. Au centre, une jeune femme, bâton-relais en main, impulse un premier mouvement et anime chaque groupe l’un après l’autre. Un pas en avant, un pas en arrière : la danse émerge à peine, comme une vibration vitale.
Ce qui s’enclenche alors, c’est un long voyage, un chœur en mouvement qui se contracte, s’étire, se transforme. Le flux se répète et varie, dessine des lignes, des vagues, des essaims. Le spectateur est happé dans une sensation de continuité organique, comme s’il percevait les gestes dans son propre corps. La chorégraphie de l’artiste belge installée en France joue des contrastes : accélérations, ralentis, gestes rituels, évocations enfantines ou populaires. Par instants, la danse fusionne avec la musique ; à d’autres, elle semble en prendre le contrôle, imprimant son propre rythme à la trame sonore.
De l’énergie pure, brute

Présentée par le Ballet Junior de Genève, ZAK prolonge l’univers chorégraphique de AKZAK, l’impatience d’une jeunesse reliée, imaginée par Héla Fattoumi et Éric Lamoureux. Douze jeunes danseurs venus d’horizons culturels et stylistiques variés investissent l’espace dans un élan de vitalité collective. Les styles se croisent et se répondent : danse contemporaine, hip-hop, gestes inspirés de danses traditionnelles ou martiales. Chaque trajectoire individuelle s’intègre dans une écriture collective fluide, précise, extrêmement physique.
Même s’il n’est pas présent physiquement, au centre du dispositif, la musique du percussionniste Xavier Desandre Navarre constitue une véritable colonne vertébrale, créant un paysage sonore mouvant, complice de la danse.
Dans sa dernière partie, la pièce vire à la fête. Les interprètes manipulent des tubes colorés qui deviennent instruments de percussion, : les rythmes se densifient, les corps s’élancent dans une transe joyeuse et communicative pour une célébration de la jeunesse, du métissage des cultures et d’un monde qui se construit par le lien, le rythme et la pulsation commune.
Une fête dansée à l’échelle de la ville
Le 17 mai, dans le cadre de l’opération nationale 1 km de danse, la danse a quitté la Caserne pour investir le centre-ville de Belfort. Performances en plein air, ateliers participatifs et bal chorégraphique ont ponctué la journée, entre VIADANSE, la place d’Armes et la place de la République.
Trente ans après l’installation du Centre national chorégraphique à la Caserne de l’Espérance, VIADANSE, nom donné à la structure par Héla Fattoumi et Éric Lamoureux a leur arrivée en 2015, continue de faire vivre un projet artistique fort, fidèle à ses racines, mais résolument tourné vers l’avenir. Un centre où la danse s’invente, se transmet, se partage.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Belfort
La Caserne Danse
VIADANSE
Centre chorégraphique national
de Bourgogne-Franche-Comté
à Belfort (CCNBFCB)
3 avenue de l’Espérance
90000 Belfort