Tout-Moun d'Héla Fattoumi et d'Éric Lamoureux © Laurent Philippe
Tout-Moun d'Héla Fattoumi et Éric Lamoureux © Laurent Philippe

Le beau voyage en terre Glissant du duo Fattoumi-Lamoureux

Au temps d’aimer la danse, Héla Fattoumi et Éric Lamoureux présentent leur nouvelle création, Tout-Moun, autour de l'œuvre d'Édouard Glissant.

Sur la côte basque, il pleut des cordes, le ciel est gris. Mais devant le parvis trempé du théâtre Michel-Portal de Bayonne, salle principale de la Scène nationale du Sud-Aquitain, l’heure est à la découverte. Dans quelques minutes, Héla Fattoumi et Éric Lamoureux vont dévoiler le fruit de leur réflexion sur tout un pan de la pensée du philosophe martiniquais Édouard Glissant. S’intéressant tout particulièrement à son travail sur le concept d’antillanité, sur la notion de créolisation et sur sa manière métaphysique d’imaginer des relations nouvelles entre les hommes, les cultures et les langages dans un monde en quête de son mouvement, le duo à la tête de Viadanse, le CCN de Bourgogne-Franche-Comté à Belfort esquisse une œuvre éminemment intelligente, où la beauté du geste, l’enivrement de la musique jazz, jouée en direct, et la présence lumineuse des dix danseurs touchent avec justesse à l’âme et au cœur. 

La Martinique en filigrane 
Tout-Moun d'Héla Fattoumi et d'Éric Lamoureux © Laurent Philippe
© Laurent Philippe

Le plateau est nu. Juste quelques pendrillons de tulles grises transparentes, entourés sur eux-mêmes, rappellent les lianes que l’on peut observer en se baladant dans les forêts antillaises. Dans la pénombre, une ombre s’installe sur le devant de la scène. Elle semble comme portée par le son du saxophone qui égrène avec une douce et puissante mélancolie des notes très swings, très spleens. Les arabesques sont précises, virevoltantes. Puis elle est rejointe par d’autres spectres. Certains s’attardent sur les planches, d’autres disparaissent aussitôt en coulisses. Mouvements de vague ciselés par les lumières de très doué Jimmy Boury, gestuelles souples, rarement tranchantes, les artistes s’emparent de l’espace, le font vibrer chacun à son rythme. Jouant des individualités autant que de leur universalité, l’ensemble esquisse une communion disparate, composite, mais liée par des racines communes, la conscience d’être au-delà de leur origine simplement des humains. 

Puisant dans l’histoire de la Martinique, dans sa richesse culturelle ainsi que dans les écrits d’Édouard Glissant, les deux chorégraphes signent une fresque monde, un récit pluriel de l’être au-delà de son identité. En étroite collaboration avec leurs danseurs et danseuses, dont la majorité faisait déjà partie de leur pièce précédente Akzak, ils malaxent leur grammaire et construisent une ligne chorégraphique riche de tous leurs talents conjugués. Bras jetés en l’air, jambes tendues, mouvement tournoyant dessinent peu à peu les contours de l’île natale d’Édouard Glissant, ainsi que ses mots et sa voix si singuliers, distillés tout au long du spectacle. 

La musique au cœur des gestes
Tout-Moun d'Héla Fattoumi et d'Éric Lamoureux © Laurent Philippe
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Fiévreuses, exaltées, les notes imaginées par le compositeur et saxophoniste de jazz Raphaël Imbert entrent en résonnance parfaite avec les corps des interprètes. Installé côté jardin, l’artiste s’invite au plateau, tourne autour des danseurs et virevolte avec eux. L’image est belle, puissante, évocatrice d’une communauté, d’une union des arts, des êtres. Toujours en délicatesse, l’ensemble fait sens et transforme gestes et musique en un tout qui dit le monde, non celui d’aujourd’hui, où les frontières deviennent de plus en plus hermétiques, les mentalités se refermant sur elles-mêmes, mais bien celui d’une utopie, un rêve où les imaginaires se brassent, les identités et les cultures se métissent. 

Croire en l’absolue possibilité d’une hybridation du monde, des peuples, des idées, fait le terreau de Tout-Moun, en alimente le propos, en ébauche une danse tout en délié, rupture et harmonie. Jouant des contraires autant que des similarités, l’œuvre d’Héla Fattoumi et d’Éric Lamoureux s’étoffe au contact de la figure tutélaire d’Édouard Glissant, se libère portée par la force impromptue du jazz et s’ancre dans une nouvelle génération d’artistes, qui au fil des créations, s’affine et se densifie. Un bien beau moment dans ce monde brutal et gris ! 

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Biarritz

Tout-Moun d’Héla Fattoumi et Éric Lamoureux
Le temps d’aimer la Danse
Théâtre Michel-Portal – Scène nationale du Sud-Aquitain à Bayonne
Place de la Liberté
Bayonne
Le 13 septembre 2023 à 21h
Durée 1h10 environ

Tournée
Les 6 et 7 octobre 2023 à l’Atrium – Scène nationale de la Martinique
Les 12 et 13 octobre 2023 aux 2 scènes – Scène nationale de Besançon
Le 18 octobre 2023 à Château Rouge – Scène conventionnée – Annemasse
Le 14 novembre 2023 au D’Jazz Nevers et à La Maison – Scène conventionnée de Nevers
Le 18 novembre 2023 au Théâtre du Jura – Delémont – Suisse
Le 23 novembre 2023 au Théâtre – scène nationale de Mâcon
Du 10 au 12 janvier 2023 à Chaillot – Théâtre nationale de la Danse – Paris
Le 30 janvier 2023 au Tangram – Scène nationale d’Évreux-Louviers
Le 1er février 2024 au DSN – scène nationale de Dieppe
Le 16 février 2024 au Grand Angle – Voiron
Le 12 mars 2024 à la Quizaine de la Danse – La Filature – Scène nationale de Mulhouse

Conception d’Héla Fattoumi et Éric Lamoureux
Chorégraphie en collaboration avec les interprètes Sarath Amarasingham, Meriem Bouajaja, Juliette Bouissou, Mohamed Chniti, Chourouk El Mahati, Mohamed Fouad, Mohamed Lamqayssi, Johanna Mandonnet, Angela Vanoni, Yaël Réunif
Composition musicale et interprétation de Raphaël Imbert
Réalisateur en informatique musicale de Benjamin Lévy
Collaborateur artistique, plasticien – Stéphane Pauvret
Création lumières de Jimmy Boury
Création costumes de Gwendoline Bouget, assistée de Corto Tremorin

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