Vos débuts
Votre premier souvenir d’art vivant ?
C’est difficile à dire… Je viens d’une famille d’artistes, alors c’était un peu chanson et théâtre à chaque repas. Mais je me souviens tout de même d’avoir assisté, toute petite, à une représentation des Dix petits nègres, tirée du roman d’Agatha Christie, au Théâtre Antoine. Et d’avoir eu très peur.

Qu’est-ce qui vous a poussée à choisir cette voie ?
Comme je le disais, je viens d’une famille d’artistes, donc ce n’est pas si étonnant que je me sois dirigée par là. Le fruit n’est pas tombé bien loin de l’arbre…
Je ne crois pas avoir eu de véritable déclic. J’ai juste eu la chance de pratiquer les arts dès l’enfance.
Et puis, j’avais beaucoup de difficultés à l’école. La chanson et le théâtre étaient des espaces où je pouvais briller, où je gagnais un peu de considération de la part des profs… et d’estime de moi.
Pourquoi ce métier ?
Parce que j’aime les mots. Et j’aime les gens. Être comédienne, c’est l’occasion de défendre les deux.
Racontez-nous le tout premier spectacle auquel vous avez participé. Une anecdote marquante ?
J’avais six ans. J’ai joué un monologue de Raymond Queneau à la kermesse de l’école. Ma mère ne savait même pas que je préparais ça : elle ne m’avait pas aidée à apprendre le texte.
Elle a été d’autant plus surprise que j’étais très dyslexique et que j’avais de grosses difficultés scolaires : la lecture et l’écriture étaient un combat. C’est là qu’on a compris que j’avais une très bonne mémoire.
Passions et inspirations
Votre plus grand coup de cœur scénique ?
J’ai eu la chance, tout au long de mon parcours, de travailler avec des artistes que j’admire humainement et artistiquement. Chaque création a été marquante.
Mais je crois que Qu’il fait beau est tout en haut du panier, notamment quand on joue avec de jeunes interprètes qui reprennent les rôles d’adolescents dans la pièce.
Les accompagner, jouer avec eux, accueillir la fraîcheur qu’ils apportent à notre petite musique… C’est très fort.

Quelles rencontres ont marqué votre parcours ?
Les premières, ce sont les artistes de la compagnie Les Entiché·es, en particulier Mélanie Charvy et Millie Duyé, qui m’ont offert mes premiers rôles.
C’est avec elles que j’ai tout appris — ou plutôt, que nous avons tout appris ensemble, depuis notre rencontre sur les bancs du Studio de formation théâtrale, en 2013.
Je pourrais aussi citer Maryne Lanaro et le collectif Grand Dehors, ainsi que Laurette Tessier de la compagnie Pris dans les phares. Grâce à elles, j’ai découvert le théâtre en espace public, la création in situ.
Enfin, une rencontre décisive date de l’an dernier : Morgane Cicolella, productrice chez Arts Films, qui m’accompagne dans la réalisation de mon premier court-métrage.
Où puisez-vous votre énergie créative ?
Partout, je crois. Être artiste, c’est cultiver une forme d’attention constante — au monde, aux autres, à soi.
Quand je joue, j’observe beaucoup les gens : leur démarche, leurs gestes, leurs intonations, leurs réactions. Je m’observe aussi : ce que je ressens, comment je me tiens, ce que ça fait dans mon corps.
Quand j’écris — je suis aussi autrice et réalisatrice — je m’inspire des histoires de mes proches, de ce qui me traverse… Je lis aussi beaucoup : de la socio, de la philo.
En quoi votre métier est-il essentiel à votre équilibre ?
Je ne sais pas si c’est mon métier qui est essentiel à mon équilibre… Mais j’ai fini par trouver mon équilibre dans ce métier : dans toutes ces émotions, ces emplois du temps absurdes, ce besoin de faire mille choses à la fois.
Mon métier, c’est une façon d’être au monde. Une manière de regarder, de ressentir, d’agir.
L’art et le corps
Que représente la scène pour vous ?
Mon rapport à la scène varie beaucoup selon les projets. Je ne fais pas que du théâtre de salle : je joue aussi dans l’espace public, dans la rue…
L’an dernier, j’ai participé à une création dans une grotte — une vraie grotte de plusieurs milliers d’années ! On est bien loin du plateau.
Mais dès qu’il y a un regard posé sur moi, la scène — quelle qu’elle soit — devient un lieu de transformation, de dépassement.

Où ressentez-vous, physiquement, le désir de créer et de jouer ?
Je ne dissocie pas vraiment les parties de mon corps… Le désir, je le ressens partout : dans la tête, la poitrine, le ventre, le sexe.
C’est une vibration, une impatience presque. Et parfois, comme dans tous les métiers, on se lève sans l’envie. Alors, c’est la rigueur qui prend le relais.
Je crois plus au travail qu’à l’inspiration.
Rêves et projets
Avec quels artistes rêvez-vous de travailler ?
Je ne fonctionne pas vraiment comme ça. Je ne rêve pas de travailler avec une personne en particulier, mais plutôt desavourer les collaborations que j’ai, les chérir, m’y investir pleinement.
Quand je travaille avec quelqu’un, je donne tout, j’explore, je cherche. Je ne suis pas en attente de « l’artiste de mes rêves ». Je n’en ai pas. Il y a juste des humains que je trouve sublimes dans des œuvres magnifiques. Et d’autres qui me touchent moins. C’est la vie.
Si tout était possible, à quoi rêveriez-vous de participer ?
Des projets fous ? Je n’ai que ça. J’écris mon premier seule-en-scène autour de la quête du bonheur contemporain, Tout pour être heureuse (titre provisoire).
J’ai récemment lancé un mini-cabaret burlesque où je chante des chansons d’amour, Les Saintes Valentines, avec la performeuse Anaïs Gallard.
Et mon premier court-métrage est en cours de production, chez Arts Films.
J’essaie de rendre possibles mes rêves.
Si votre parcours était une œuvre d’art, laquelle serait-elle ?
C’est un peu tôt pour écrire mon épitaphe, et un peu présomptueux de nommer déjà ma biographie…
Mais si ma vie était une œuvre, ce serait… la vie. On se lève le matin, on essaie, on échoue, on avance. On continue.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Qu’il fait beau cela vous suffit de Mélanie Charvy & Millie Duyé
Théâtre Paris-Villette
Du 19 au 24 mai 2025
durée 1h40
Écriture et Mise en scène de Mélanie Charvy & Millie Duyé
Dramaturgie & Regards extérieurs de Romain Picquart & Charles Dunnet
Avec Aurore Bourgois Demachy, Thomas Bouyou, Émilie Crubezy, Paul Delbreil, Virginie Ruth Joseph, Clémentine Lamothe, Loris Reynaert & Etienne Toqué Création sonore – Timothée Langlois
Création lumière d’Orazio Trotta
Costumes de Carole Nobiron
Scénographie d’Irène Vignaud
Construction du décor – Pierre Heydorff / Théâtre dans les vignes
Chorégraphie de Christine Tzerkezos-Guérin