Monde nouveau d'Olivier Saccomano, mise en scène de Nathale Garraud © Jean-Louis Fernandez
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Monde nouveau : L’infernale machine à dérailler d’Olivier Saccomano et de Nathalie Garraud

Avec cette création ambitieuse, Olivier Saccomano et Nathalie Garraud clôturent la saison du Théâtre des 13 vents qu’ils dirigent ensemble, tout en lançant le Printemps des Comédiens. En parallèle de La Guerre n’a pas un visage de femme de Julie Deliquet, cette pièce d’anticipation entraîne le public dans un univers codifié autant inquiétant que vertigineux.

Dans une lumière crépusculaire et diffuse, le plateau dévoile des piles de vêtements, des objets rangés comme dans un showroom aseptisé qui sont posés à même le sol. Furtivement, une jeune femme entre, s’étend sur le tapis gris anthracite et se fige immobile. Ni morte, ni tout à fait vivante. Elle attend.

Les premières notes d’une musique très cadencée se font entendre. D’abord le Clavier bien tempéré de Bach, interprété par Glenn Gould obsessionnel, lumineux, presque clinique. Puis les nappes plus sombres et contemporaines de Future Représentation de Nathan Nish, deux partitions bien réelles, qui rythment les gestes, les enchaînements, les dérèglements à venir. La mécanique est lancée.

Monde nouveau d'Olivier Saccomano, mise en scène de Nathale Garraud © Jean-Louis Fernandez
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Un à un, les autres interprètes entrent dans la danse. Vêtus d’académiques couleur chair, Débarrassés de toute appartenance visible, ils ressemblent à des Playmobil géants à assembler, des Sims encore non programmés. Ils avancent, hésitent, contournent le corps inerte, s’habillent de gris, coiffent les perruques uniformes mises à disposition. Comme s’ils cherchaient à devenir semblables, à se fondre dans un moule dont personne ne connaît exactement la forme.

Les corps bougent, précis, coordonnés. Ils suivent des trajets, rejouent des saynètes de la vie quotidienne. Une réunion, un discours, un échange à la photocopieuse. Tout semble ritualisé, même les changements de décor à vue opérés par un comédien, qui monte et descend des cintres des cadres, gris, vides. Mais rien ne dure. Les gestes dérapent. Les voix se chevauchent. Une logique invisible se fissure. Et soudain, un déraillement.

C’est là, dans ces failles, que Monde nouveau prend toute sa force. Olivier Saccomano et Nathalie Garraud nous montrent un monde à la surface lisse, où l’obsession de la nouveauté sert de moteur – et d’écran. Un monde qui programme, régule, synchronise, dont l’humain devient pièce détachée d’une machine plus grande que lui et où l’uniformisation contraint le corps dans l’espoir vain de libérer l’esprit.

Monde nouveau d'Olivier Saccomano, mise en scène de Nathale Garraud © Jean-Louis Fernandez
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Le texte, dense et acéré, puise autant chez Kafka que dans Les Temps modernes de Chaplin et dans les réflexions de Gilles Deleuze sur les sociétés de contrôle. Pas de fable, mais une fantaisie noire, pas de récit classique, linéaire, mais plutôt un grand démontage des processus d’assignation, d’effacement, de redémarrage. Le langage lui-même devient suspect. Il se répète, se contredit, s’épuise jusqu’à la folie. 

Ce délire structurel n’est pas qu’un effet de forme. Il est la traduction sensible d’un système qui, sous couvert d’innovation permanente, piétine les singularités. Monde nouveau dénonce avec lucidité la logique néolibérale qui réduit les individus à des données, à des segments, à des fonctions. Un système qui efface les subjectivités, nie toute dimension humaine, range et trie sans vergogne selon des critères purement informatifs. Une fabrique de conformités, où se rejoue aussi, en sourdine, la mécanique du fascisme et du néocolonialisme systémique.

La mise en scène de Nathalie Garraud pousse ce théâtre de la répétition jusqu’à la saturation. Les gestes chorégraphiés deviennent mécaniques, puis absurdes. Le décor, d’abord vide et fonctionnel, s’encombre peu à peu. Les repères explosent. Et les comédiens – tous formidables, Florian Onnéin, Conchita Paz, Lorie-Joy Ramanaïdou, Charly Totterwitz, Eléna Doratiotto, Mitsou Doudeau, Jules Puibaraud en alternance avec Cédric Michel – naviguent à vue entre rigueur et chaos, docilité et rébellion.

Monde nouveau est un spectacle qui ne rassure pas. Il questionne, dérange, pousse à la reflexion. Il met au jour ce que nous sommes peut-être en train de devenir, des êtres recalibrés, formatés, rebootés au moindre faux pas. Mais il y glisse aussi un espoir — celui, peut-être, que dans la panne, dans l’erreur, quelque chose d’humain puisse encore surgir.


Monde nouveau d’Olivier Saccomano
Printemps des Comédiens
Théâtre des 13 vents
Domaine de Gramont
34000 Montpellier
du 30 au 7 juin 2025

Tournée
19 et 20 novembre 2025 à la Scène Nationale d’Albi-Tarn
25 et 26 novembre à L’empreinte – Scène nationale Brive-Tulle
11 et 12 décembre à Malakoff scène nationale – Théâtre 71
16 et 17 décembre 2025 aux Quinconces et L’Espal – Scène nationale Le Mans
5 au 14 février 2026 au T2G Théâtre de Gennevilliers – Centre Dramatique National
13 mars 2026 au Manège Maubeuge – Scène nationale transfrontalière
17au 19 mars à La Comédie de Béthune – CDN Hauts-de-France
25 au 28 mars 2026 aux Célestins, Théâtre de Lyon
31 mars au 3 avril au Théâtre Joliette / Le ZEF – scène nationale de Marseille
14 avril 2026 au Cratère – Scène nationale Alès
16 avril 2025 au Théâtre Molière, Sète – scène nationale archipel de Thau

mise en scène, dramaturgie, scénographie de Nathalie Garraud
texte et dramaturgie d’Olivier Saccomano
avec Florian Onnéin, Conchita Paz, Lorie-Joy Ramanaïdou, Charly Totterwitz (Troupe Associée au Théâtre des 13 vents) et Eléna Doratiotto, Mitsou Doudeau, Jules Puibaraud / Cédric Michel (en alternance)
costumes de Sarah Leterrier
lumières de Sarah Marcotte
collaboration scénographique et plateau – Marie Bonnemaison
création son de Serge Monségu et Pablo Da Silva
assistanat à la mise en scène – Romane Guillaume

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