De lourds pendrillons noirs ferment l’espace scénique et masquent la belle pierre dorée de l’ancien couvent des Ursulines, aujourd’hui devenu théâtre. Derrière ces draperies épaisses, quelques sons percent le silence par à-coups. On entend des froissements, des chocs étouffés, des objets qui s’effondrent.
Tandis qu’à jardin, une silhouette endormie semble insensible à l’agitation du public, deux membres du festival s’avancent pour dire quelques mots d’accueil et présenter le spectacle. À peine ont-ils le temps de prononcer quelques phrases qu’un court-circuit plonge la salle et la scène dans le noir. Le basculement a commencé.
Le chaos minutieusement chorégraphié
Depuis toujours, Sève Bernard et Camille Boitel cultivent l’art délicat de la perte d’équilibre. Leurs corps vacillent, cèdent sous la gravité, comme traversés par une somnolence inattendue. Chaque geste du quotidien devient une épopée burlesque. Boire un verre ou franchir une porte exige effort, concentration et toute une stratégie de l’improbable voire de l’impossible. Les étagères s’écroulent, les rideaux se déchirent, les objets s’éparpillent. Peu à peu, le décor entier s’effondre et la scène se transforme en un champ de ruines parfaitement organisé.
Mais ici, personne ne chute seul. Toujours, une main surgit au bon moment, qu’elle appartienne à un complice de jeu, à un technicien, à un régisseur ou même à une spectatrice invitée à rejoindre la fête et participer à l’aventure. L’effondrement devient une affaire collective, minutieusement orchestrée sous une apparente improvisation. Les coulisses débordent sur le plateau. Les panneaux glissent, les échelles se redressent, les tables se déplacent. Tout semble accident, mais chaque détail est réglé au millimètre.
Le duo continue de transformer le théâtre en espace du présent. Un artisanat du doux chaos, sensible, tendre, précis. Ici, le hasard n’est qu’apparence. Tout est maîtrisé. Fidèles à l’esprit de leur compagnie, ils célèbrent l’immédiateté, la solidarité et le vertige du vivant.
L’accident comme moteur
Au cœur de cette mécanique subtile, l’accident devient matière première. C’est le point de départ de leur écriture scénique, une tentative permanente d’apprivoiser le faux pas et de transformer l’imprévu en langage. Certes, il y a quelques longueurs et quelques redites. Mais c’est justement dans ces petits défauts que la magie du duo devient jubilatoire et totalement hypnotique.
Leur univers commun, singulier et immédiatement reconnaissable, est nourri de tout le sel de l’échec et des petits bonheurs d’une figure circassienne faussement ratée, joliment manquée. Ce jeu permanent avec les lois de la gravité et du déséquilibre entraîne le spectateur dans une fascination douce, entre rire et vertige.
Une complicité de tous les instants
Tout au long de la représentation, des fragments familiers resurgissent et font écho aux spectacles passés. Il ne s’agit pas de simples reprises, mais bien de la trace vivante d’un chemin artistique en perpétuelle construction. Sous l’humour burlesque affleure une mélancolie discrète. Le monde vacillant de la scène semble refléter le nôtre, fragile et instable. Pourtant, la solidarité demeure le fil ténu qui permet de tenir ensemble, malgré le chaos.
Le public est, lui aussi, entraîné dans cette complicité. Des chanteurs et chanteuses, dissimulés dans la salle, entonnent quelques arias pendant que les décombres s’accumulent. Demain, peut-être, il faudra reconstruire avec ce qu’on aura trouvé sur place, sous les ruines. Ici tout ce qui est sur scène appartient au lieu, a été retravaillé, détourné et sera rendu à la fin des représentations dans un meilleur état. Avec malice, les artistes revendiquent une approche pacifique et vertueuse.
« » de Camille Boitel et Sève Bernard
Montpellier Danse
Théâtre de l’Agora
22 et 23 juin 2025
Tournée
2 au 16 octobre 2025 au Théâtre Garonne, Toulouse
14 et 15 novembre 2025 au Carré Magique, Pôle National Cirque, Lannion
27 et 28 novembre 2025 au Trio’s, Hennebont
7 et 8 décembre 2025 au Théâtre, Scène nationale, Saint-Nazaire
18 et 19 décembre 2025 au Canal, Scène conventionnée d’intérêt national, Redon
22 et 23 janvier 2026 au Théâtre Durance, Scène nationale, Château-Arnoux
29 et 30 janvier 2026 au Théâtre de Grasse, Grasse
5, et 6 février 2026 au Bois de l’Aune, Aix-en-Provence
11 au 13 février 2026, Théâtre de la Vignette, Montpellier
14 au 25 avril 2026 au CENTQUATRE, Paris
14 au 16 mai 2026 à la Comédie de Genève, Suisse
28 au 30 mai 2026 à l’Espace Malraux, Scène nationale de Chambéry
mise en scène, jeu et manipulations – Camille Boitel et Sève Bernard
Regard complice – Étienne Charles
Jeu et manipulations – Clémentine Jolivet, en alternance avec Pascal Le Corre
Régie lumière et plateau, jeu – Étienne Charles, en alternance avec Michael Bouvier
Jeu, portés et manipulations : Benoît Kleiber
Régie son, jeu et manipulations : Kenzo Bernard
Construction – Étienne Charles avec l’aide d’Adrien Maheux et Michael Bouvier
Confection costumes – Nathalie Saulnier
Conseil technique son – Gaëtan Parseilhian
Régie générale – Stéphane Graillot
Bande-annonce de « » de Camille Boitel et Sève Bernard © L’immédiat