Regard clair, cheveux fins, légèrement en bataille, Yoann Gasiorowski a des airs de poète. Veste bleu marine ou bleu de travail, allure soignée sans être figée, le comédien aime flâner dans le XIe arrondissement de Paris. Un quartier vivant, métissé, à son image. C’est dans un café de la rue Oberkampf qu’il nous donne rendez-vous. Le verbe précis, la voix posée, il remonte le fil de ses souvenirs : un goût très tôt affirmé pour les coulisses, la fabrique du théâtre, l’envers du décor.
Une passion née dans l’enfance

Le théâtre entre dans sa vie par une porte familiale. Sa mère, présidente de l’association des parents d’élèves, monte des spectacles amateurs avec les adultes du village à la cantine de l’école, celle où le petit Yoann déjeune à midi. Curieux, il observe de loin ce ballet fascinant où s’assemblent les décors, se cousent les costumes. « J’étais fasciné par l’ambiance. Ma passion est née là, de ce lieu du quotidien qui se métamorphosait en théâtre. »
Il cultive cette passion en parallèle de ses études, au collège, au lycée, puis à la faculté d’histoire, fasciné par les naufrages et les drames maritimes du XVIIe siècle. Mais c’est au conservatoire de Poitiers que tout bascule, sous l’impulsion de Jean-Pierre Berthomier. « Il m’a fait comprendre que le théâtre pouvait être multiple, plus complexe que les spectacles joués dans mon village. Il m’a ouvert un monde. » Julie Sicard, sociétaire de la Comédie-Française, a également été formée par lui. « On partage cette racine affective. C’est une actrice que j’admire profondément, toujours dans le présent. »
Se former
Fort de cette révélation, Yoann tente les concours. Après plusieurs échecs — l’ENSAD, le CNSAD, le TNS — il intègre finalement la Comédie de Saint-Étienne, dans la première promotion recrutée par Arnaud Meunier. Il y rencontre Alain Françon. « Avec lui, se souvient-il, on travaillait, tous les actes III de Tchekhov, c’était vertigineux. » Puis Bruno Meyssat qui l’initie à une approche quasi chamanique du plateau. Il y forge aussi une éthique de plateau, entre vertige du texte et rapport sensoriel à l’espace. Puis, à Dijon, sous la houlette de Benoît Lambert, il découvre les vertus du théâtre itinérant. « On jouait La Devise dans les lycées, tous les matins à 10h. Les élèves ne trichent pas. Tu apprends à être là, vraiment. »

Mais surtout, il comprend qu’il ne pourra faire ce métier qu’au sein d’une troupe. Marqué par l’expérience collective à Dijon, il écrit à Éric Ruf. « Je lui ai dit que je ne pourrais pas être un loup solitaire. Que j’avais besoin d’une maison. » Un an plus tard, alors qu’il n’y croyait plus, on le convoque pour une audition pour le Faust adapté par Valentine Losseau et Raphaël Navarro. Il choisit un extrait de Gilles Deleuze restitué au mot près. Éric Ruf y entend du Claudel. Yoann, lui, perçoit un frémissement. « Il s’est penché vers moi. Il y avait quelque chose. Je me suis dit : peut-être que ça a marché. »
Le vertige de la troupe
Rapidement intégré, il découvre les ors du Palais-Royal, le silence des couloirs, le fourmillement discret d’une maison vivante et vibrante. À peine fait-il ses premiers pas qu’il auditionne pour La Nuit des rois dans la mise en scène de Thomas Ostermeier. Un moment de sidération. « Je me retrouvais à improviser avec Dominique Blanc, à me rouler par terre dans la salle de répétition, pendant que Laurent Stocker faisait des blagues sur le nom d’Ostermeier – le maître des huitres. J’étais tétanisé. »
Les Serge, une bascule

C’est pourtant un spectacle musical qui va transformer sa pratique. Les Serge (Gainsbourg point barre), conçu par Stéphane Varupenne et Sébastien Pouderoux, naît d’une intuition. « Stéphane m’a proposé de jouer de la batterie. Je lui ai dit : j’en ai fait seul, dans ma chambre. Il m’a répondu : nous non plus, on n’a jamais joué en groupe. On va apprendre ensemble. » Un an de répétitions, de tâtonnements, de rires, et une révélation : « La musique te rend vulnérable. Tu n’as pas le droit à l’à-peu-près. Si quelqu’un déraille, tu l’accompagnes. Ça a changé mon écoute. Je ne joue plus pareil depuis. »
En 2022, à l’occasion du 400e anniversaire du maître des lieux, Éric Ruf lui commande un spectacle autour de Molière et Lully. Après quelques tergiversations liées à la force de son envie et à la peur de ne pas être à la hauteur, il accepte. D’où rayonne la nuit naît de cette aventure. « J’ai croisé mon propre parcours, mon amour de l’histoire avec mon désir de plateau. À cette occasion, j’ai emmené la troupe visiter Versailles, pour sentir le poids du lieu. J’ai écrit, mis en scène, joué. C’était un luxe rare. »
Hors les murs
En parallèle, il tourne pour la télévision. Il tient le rôle principal dans Paolo, une série réalisée par Sébastien Marnier pour HBO Max. Il y incarne un écrivain devenu candidat politique, en proie au doute. « Un personnage qui se demande sans cesse s’il a pris la bonne voie. Ça me parle. » Yoann Gasiorowski avance à son rythme. Pas de fantasme de rôle, mais une disponibilité à l’inattendu. « J’aime être surpris. Être vu là où je ne m’imaginais pas. » Un seul désir, peut-être : le vers. « L’alexandrin m’attire. C’est en écoutant Suliane Brahim dire Racine au Vieux-Colombier dans l’adaptation de Bérénice de Guy Cassiers que mon désir a été ravivé. »
Acteur attentif, artisan du jeu, compagnon de plateau, Yoann Gasiorowski trace une trajectoire à l’image de son regard : clair, mouvant, curieux. « J’ai frappé à la porte de cette maison pour dire : moi aussi, je veux danser. »
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Les Serge (Gainsbourg point barre) de Stéphane Varupenne et de Sébastien Pouderoux
vu en mai 2019 Au studio de la Comédie Française
Tournée
17 mai 2025 au Théâtre Théo Argence – Saint-Priest
21 et 24 mai 2025 aux Célestins, Théâtre de Lyon
9 et 10 juin au Festival d’Anjou – Château du Plessis-Macé
28 juin 2025 au Théâtre de la Mer – Festival Quand je pense à Fernande
1er juin 2025 à Châteauvallon, scène nationale à Ollioules dans le cadre du Festival d’été de Châteauvallon– amphithéâtre
6 juillet 2025 aux Eurockéennes de Belfort
8 juillet 2025 à la Citadelle de Besançon
15 au 27 juillet 2025 à La Scala Provence, Avignon
Adaptation et mise en scène de Stéphane Varupenne et Sébastien Pouderoux
Avec Stéphane Varupenne, Benjamin Lavernhe, Sébastien Pouderoux, Noam Morgensztern, Rebecca Marder et Yoann Gasiorowski
Lumières d’Éric Dumas
Arrangements musicaux de Guillaume Bachelé, Martin Leterme, Vincent Leterme et les Serge
Son de Théo Jonval