Dans le cadre des Grands ReporTERRE, série au long cours initiée par le Théâtre du Point du Jour à Lyon, chaque création devient terrain d’enquête, zone de friction entre réel et fiction, théâtre et journalisme. À chaque épisode, une compagnie est invitée à tendre l’oreille au monde, à documenter ce qui gronde pour faire entendre l’inaudible. Pour ce onzième opus, les fondateurs de la compagnie Courir à la catastrophe unissent leurs forces à celles d’Antoine Chao, figure de la radio engagée, pour raconter, une histoire des luttes passées, présentes et à venir.
Un lapin et des chasseurs

Tout commence par une chanson, une ritournelle faussement candide, connue de tous : Un lapin a tué un chasseur, chantée par Chantal Goya. Sous ses airs de comptine inoffensive, un renversement symbolique : le prédateur devient proie, l’innocence se fait résistance. Manière douce-amère de poser le décor.
Sur scène, entre micros, câbles et papiers volants, trois voix s’élèvent : celles d’Alice Vannier, de Sacha Ribeiro, et celle, grave et chaleureuse, d’Antoine Chao. Leur ambition : inventer Radio Lapin, émission pirate bricolée en direct, forme instable et hybride, pensée comme un manifeste sonore, poétique et politique.
Luttes tous azimuts
Au plateau, ça crépite, ça déborde, ça s’entrechoque. Les mots fusent, les sons s’enchevêtrent, les références s’accumulent : Sainte-Soline, Notre-Dame-des-Landes, Le Puy du Fou et son révisionnisme spectaculaire de l’histoire de France, Jeanne d’Arc récupérée par les extrêmes, écologistes qualifiés de “terroristes”… Par fulgurances, des images s’imposent, portées par l’urgence de dire, de relier, de résister. Faire entendre les luttes d’hier et d’aujourd’hui dans une même pulsation fragile et battante. Et pourtant…

À force de vouloir tout embrasser, la forme se dilue. On peine parfois à saisir le fil rouge de cette radiophonie théâtrale, où les récits s’entrelacent sans toujours trouver leur incarnation. Trop de voix, trop d’angles, : les intentions se brouillent. L’ardeur est là, l’engagement palpable, mais le propos se perd dans une construction trop éclatée.
Entendre la marge
Reste un souffle, une tentative précieuse : détourner les récits dominants, réhabiliter les vaincus de l’Histoire, faire entendre celles et ceux qu’on voudrait faire taire. Un théâtre de la résistance, de la fragilité, de l’écoute. Un théâtre qui interroge : que reste-t-il de nos luttes quand elles n’ont plus d’archives ? Que transmet-on ? Que réinvente-t-on ?
Dans l’imperfection du dispositif, subsistent du bruit, du désordre, de la vie. Et cette nécessité farouche de continuer à parler, coûte que coûte. De faire théâtre avec les failles. Avec les éclats. Avec les voix.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – envoyé spécial à Lyon
Grand ReporTERRE #11 : Radio Lapin, Histoires des luttes
Théâtre du Point du Jour
7 rue de l’Aqueduc
Lyon 69005 Lyon
du 5 au 6 mai 2025
durée 1h30
Tournée
16 juillet 2025 au Festival Contre-courant CCAS La Barthelasse, Avignon (84)
10 au 14 novembre 2025, Théâtre de la Cité Internationale, Paris
3 au 4 novembre 2025, Les Célestins, Théâtre de Lyon (69), en coréalisation avec le Théâtre du Point du Jour
Conception et mise en pièce de l’actualité – Alice Vannier et Sacha Ribeiro avec le journaliste Antoine Chao
Avec Antoine Chao, Sacha Ribeiro et Alice Vannier
Collaboration artistique – Angélique Clairand
Scénographie de Benjamin Hautin
Régie générale et son _ Marine Iger
Régie lumière de Quentin Chambeaud
Collaboration technique – Thierry Pertière et Christophe Reboul