© BIPAM

Au Bangkok International Performing Arts Meeting (Bipam), une nouvelle génération d’artistes s’empare de la scène

Le festival thaïlandais a mis en avant une nouvelle garde de jeunes artistes soucieux d’imposer des problématiques contemporaines au plateau : mémoire de la dictature, catastrophes naturelles, accélération de nos modes de vie…

Et si, en fin de compte, le centre commercial était le lieu idéal pour une performance ? Il faut imaginer, au huitième étage du centralwOrld, cœur battant de Bangkok où les marchandises s’entassent sur des milliers de mètres carrés. Alors que l’on patiente, silencieux au milieu du brouhaha des passants, une jeune femme s’avance vers nous, puis nous guide à travers l’une des terrasses du grand magasin. L’endroit est un peu glauque, mais il a le mérite d’offrir une vue saisissante sur la capitale thaïlandaise.

© Bangkok International Performing Arts Meeting

Ici, notre interlocutrice nous invite à fermer les yeux et à respirer profondément. Lorsqu’on les ouvre de nouveau, elle a disparu. C’est un homme, mutique, qui a pris sa place. Pour communiquer, il utilise un carnet sur lequel sont annotées de petites instructions manuscrites. Nous voilà donc embarqués dans Manual, la performance en forme de parenthèse enchantée du duo d’artistes Adam Kinner et Christopher Willes

Grâce à ce performeur-guide, le spectateur — tout seul avec l’artiste pendant l’intégralité de la performance ! — a tout le loisir d’observer les mouvements frénétiques des clients agglutinés dans le grand magasin. Curieusement, l’expérience se révèle agréable. Sans doute grâce aux chants d’oiseaux et aux chuchotements façon ASMR, que l’artiste nous fait écouter dans une petite paire d’écouteurs vieille génération.

Cette déambulation artistico-méditative, expérience pas banale si l’on peut dire, résume à elle seule la foisonnante proposition du Bangkok International Performing Arts Meeting (Bipam) : un festival d’arts vivants (mais pas que), dont les performances jouées, dansées, projetées, et parfois même marchées, ont cette étonnante capacité à s’infiltrer dans tous les recoins de la mégalopole thaïlandaise, de la salle de spectacle la plus conventionnelle au lieu le plus insolite. Comme, au hasard, un centre commercial. 

Le festival d’arts vivants, dont la dernière édition s’est tenue au mois de mars, était aussi une carte blanche à une nouvelle génération d’artistes. Leur objectif ? Insuffler un nouvel élan à la scène, en imposant de nouvelles thématiques dont certaines sont encore taboues en Asie du Sud-Est.

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Ainsi, Junggle and Hide, création aussi fascinante que dérangeante du plasticien thaïlandais Wichaya Artamat, interrogeait la mémoire violente des dictatures de son pays. Tout partait d’une question : comment se souvenir de la violence d’un gouvernement autoritaire ? Des résistances qui lui ont été opposées ? Et que faire de l’autocensure que s’imposent les gouvernés au sein des régimes dictatoriaux ? Dans un dispositif scénique complexe mêlant audiovisuel, marionnettes et mise en scène de soi, l’artiste, dos aux spectateurs, livrait sa propre autobiographie politique.

De quoi narrer la grande valse des coups d’État militaires (dix-sept en moins de cent ans, en Thaïlande !), des manifestations réprimées, puis des élections destinées à rétablir un peu de paix dans ce grand chaos politique. De ce constat explosif — la démocratie, dans son pays, n’existe pas —, l’auteur imaginait un final tout aussi furieux : les comédiens quittent la scène et laissent le décor en autonomie… jusqu’à faire disjoncter, littéralement, le plateau et ses accessoires.

Plus conventionnel, le spectacle Tho Dia, imaginé par la compagnie du Tho Lo Puppet Theatre, tentait lui aussi d’interroger la mémoire de territoires asiatiques : sur la scène d’un petit théâtre de marionnettes, un jeune garçon s’interroge sur le passé de Hanoï, la capitale vietnamienne. Il charrie sur son dos un monstre — symbole d’un passé aussi terrible qu’oublié ? La performance, volontairement mystérieuse, révèle peu à peu et en clair-obscur la transformation d’un petit village devenu grande ville. Derrière la grande Histoire d’un pays, le Vietnam, les petites histoires de ceux que les manuels scolaires n’ont pas consignés.

© Bangkok International Performing Arts Meeting

Autre petite histoire racontée en performance, celle de l’artiste indonésien Leu Wijee, dont le spectacle Ridden (littéralement, « la prise de possession d’un corps vivant par un fantôme »), tentait de raconter, dans un hypnotique déchaînement des corps, la difficulté de se reconstruire après une catastrophe naturelle.

Cette valse pressante et inquiétante faisait écho à une autre, celle des performeurs de la compagnie Kham : dans Choreographic Intrusion, spectacle de rue joué au pied des gratte-ciels, un groupe de danseurs s’extrait peu à peu de la foule. Multipliant les mouvements inspirés du hip-hop, la petite troupe dirigée par l’artiste laotien Olé Khamchanla enchaîne les gestes inattendus, toujours à mi-chemin entre surprise et rêve. À l’image, finalement, de ce festival aussi plein de surprises que de rêves.


Au Bangkok International Performing Arts Meeting (Bipam)
À Bangkok, du 12 au 23 mars 2025

Avec les spectacles
Manual d’Adam Kinner et Christopher Willes
Juggle and Hide de Wichaya Artamat
Ridden de Lee Wijee et Mio Ishida
Tho Dia de Tho Lo Puppet Theatre
Choregrapghic intrusion de Olé Khamchanla
When floods high as skies, fish feasts on the stars de Reverberation area

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