Comment est né votre dernier spectacle 1998 ?
Thomas Lebrun : Quand Bernard Glandier m’a transmis le solo Pouce ! en 1998, il m’avait demandé de faire de même avec un autre artiste le jour où je ne le danserais plus. Il était déjà à un stade avancé de la maladie de Charcot. Il est décédé deux ans plus tard en 2000. Après avoir tourné Pouce ! de nombreuses années, j’ai commencé à chercher à qui je pourrais proposer de reprendre cette partition chorégraphique. Je travaillais déjà avec José Meireles, et je l’imaginais bien dans ce solo. Puis j’ai eu l’occasion de retrouver Hugues Rondepierre lors d’une représentation au CCN d’une pièce de Fabrice Ramalingom.

Il était élève au conservatoire de Tours et le revoyant sur scène, j’ai eu l’intuition que c’était aussi un interprète à qui transmettre le travail de Bernard : j’ai donc décidé de le transmettre à ces deux interprètes ! Dans la foulée, je me suis dit que ce serait une bonne idée d’imaginer un programme autour de cette thématique. J’ai donc proposé à Christine Bastin de remonter le duo masculin de Noce, que j’avais vu à sa création en 1999 et qui m’avait profondément bouleversé. C’est l’une des plus belles pièces que j’ai vues et qui a marqué ma jeunesse. Puis j’ai demandé à Montaine Chevalier de transmettre à Anne-Emmanuelle Deroo, Tù, solo tù, solo qu’elle dansait dans Faits et Gestes… de Bernard. Enfin, j’ai eu envie de créer un duo, avec ces deux danseuses que je connais bien, autour de cette thématique.
La transmission et le répertoire sont importants pour vous ?
Thomas Lebrun : Je viens d’une génération de chorégraphes qui ont entamé leur carrière en étant interprètes, en apprenant auprès d’artistes plus âgés avant de créer leurs propres pièces. On recevait, on se nourrissait de leur travail, on digérait puis on tentait petit à petit de créer nos pièces. Tout cela m’a permis de me construire et de développer mon écriture et mon regard de chorégraphe. J’ai mis beaucoup de temps à m’assumer en tant que créateur. Ce passé d’interprète, à l’écoute des autres, m’a permis de penser la danse et pouvoir à mon tour transmettre ce que j’avais appris.
Le dernier duo qui constitue 1998, Le titre n’a pas d’importance, comment l’avez-vous imaginé ?
Thomas Lebrun : Comme une histoire de passation entre deux interprètes dont l’une a une dizaine d’années de plus que l’autre. Montaine et Anne-Emmanuelle sont deux danseuses qui ne sont pas de la même génération. Elles n’ont pas le même bagage et je trouvais intéressant qu’elles confrontent leurs parcours… C’est vraiment l’idée physiquement de se laisser porter par l’autre, d’être emmené vers un ailleurs. Le duo s’est construit comme une question-réponse, un va-et-vient entre l’une et de l’autre.
En parallèle de 1998, vous présentez à Nantes, L’envahissement de l’être, une œuvre personnelle autour de Marguerite Duras. En quoi est-elle importante pour vous ?

Thomas Lebrun : J’ai construit ce solo autour des interviews que j’ai écoutées d’elle. Je n’ai jamais lu un de ses livres. C’est sa personnalité qui m’intéressait, sa manière d’aborder la création et la solitude qui y est liée. Cela me parlait, car lorsque l’on travaille une pièce, bien sûr, on partage beaucoup avec les interprètes, mais il y a toujours un moment où l’on se retrouve seul face à nous-mêmes. Ce qui m’intéressait aussi dans son discours, c’est la manière dont elle aborde les vies parallèles, celle publique et l’autre intime. En tant qu’artiste, on est toujours entre deux mondes. On donne beaucoup, mais on ne sait jamais comment le public va recevoir notre propos. C’est dangereux, vertigineux. Il faut trouver le bon équilibre pour éviter que cela nous ronge.
Vous avez de nouveaux projets en cours ?
Thomas Lebrun : Toujours. Je prépare une nouvelle création Jeune et tout public, D’Amour. Elle sera présentée pour la première fois en janvier 2025. C’est une autre manière d’aborder le plateau et je trouve que c’est un exercice passionnant. Quand on crée, il y a toujours plusieurs lectures, mais quand on travaille sur un spectacle qui s’adresse autant à des jeunes qu’à des adultes, il faut imaginer les différents niveaux de perception, les différents degrés de compréhension des personnes qui vont recevoir notre travail. Je fais très attention à la manière de proposer une émotion, une information.
Quel en est le sujet ?
Thomas Lebrun : Je voulais évoquer le harcèlement scolaire. C’est un sujet qui me tient à cœur pour en avoir été victime enfant. Mais quand j’ai commencé à avancer sur la pièce, je me suis aperçu qu’il y avait quelque chose de trop sombre par rapport à ce que j’avais envie de créer. J’ai réalisé qu’il était finalement plus censé parler d’amour, que ce soit passionnel, amical ou familial. C’est aussi pour moi l’occasion d’évoquer ces sujets comme le racisme, l’acceptation de soi, la tolérance et le fait de s’aimer soi-même pour pouvoir aimer les autres. J’ai eu l’envie de construire ce spectacle comme une émission de radio ou un cabaret.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
1998 de Bernard Glandier, Christine Bastin et Thomas Lebrun
Conception de Thomas Lebrun
créé en mai 2024 au CCN de Tours
durée 1h
Tournée
16 janvier 2025 au Théâtre Francine Vasse – Les Laboratoires Vivants dans le cadre du Festival Trajectoires
11 au 13 février à Micadanse-PAris dans le cadre du Festival Faits d’hiver
L’Envahissement de l’être (Danser avec Duras) de Thomas Lebrun
créé en janvier 2023 au CCN de Tours
durée 1h15 environ
Tournée
18 janvier 2025 au Théâtre Francine Vasse – Les Laboratoires Vivants dans le cadre du Festival Trajectoires
Dates passées
Du 9 au 12 février 2023 à Micadanses – Festival Faits d’Hiver