Noce de Christine Bastin © Frédéric Iovino
"Noce" de Christine Bastin © Frédéric Iovino

« 1998 » de Thomas Lebrun ou l’art éblouissant de la transmission

En ouverture du festival Tours d’Horizon, le chorégraphe à la tête du CCN de Tours propose de remonter le temps à la découverte de pièces du répertoire créées en 1998. Un hommage tout en délicatesse à Bernard Glandier et à Christine Bastin. 

La bonne nouvelle est tombée peu de temps avant le lever de rideau. Après plusieurs années d’attente, la construction d’un nouveau bâtiment tant attendu pour le CCN de Tours, dans le site réhabilité des casernes Beaumont et Chauveau, est enfin acté par l’ensemble des financeurs. C’est donc sur un nuage que Thomas Lebrun lance la 13e édition de Tours d’Horizons, temps fort riche d’une quinzaine de proposition artistiques qui marque une fin de saison sous le signe du partage et de la transmission. Le chorégraphe ouvre le bal avec 1998, un quadriptyque plein de délicatesse conjuguant passé, présent et futur. 

Pouce ! de Bernard Glandier © Frédéric Iovino
Pouce ! de Bernard Glandier © Frédéric Iovino

En 1998, Thomas Lebrun a vingt-quatre ans. Bernard Glandier, dont il est l’un des fidèles interprètes, lui propose, alors que la maladie de Charcot le contraint déjà à se mouvoir en fauteuil roulant, de lui transmettre un de ses soli les plus emblématiques. Pouce !, créé quatre ans plutôt dans le cadre du festival de Danse au Cœur à Chartres, est un condensé de son écriture, à la fois exigeante et dénudée d’artifice. Née de la contrainte, cette pièce courte met l’homme face à l’enfermement, celui de son corps dans un espace délimité par les lumières et celui de son esprit soumis à des musiques hétéroclites et à sa propre incapacité, malgré son désir, à se libérer. 

Après l’avoir dansé et conformément au souhait du chorégraphe, Thomas Lebrun le transmet à son tour à deux danseurs, José Meireles et Hugues Rondepierre. Gestes précis, mouvements accélérés, parfois saccadés, la partition joue sur de multiples registres et emprunte à différentes grammaires. Riche, dense, elle tend vers une épure et ne cherche rien d’autre qu’exprimer des émotions à l’état pur. Clairement marqué par l’œuvre de Dominique Bagouet, avec lequel Bernard Glandier a collaboré plus de dix ans, cet impromptu ciselé, certes ancré dans son époque, n’a rien perdu de sa vitalité. 

Tó, solo tó  de Bernard Glandier © Frédéric Iovino
Tó, solo tó de Bernard Glandier © Frédéric Iovino

Dans un même souci de transmission, de partage d’œuvres qui l’ont nourri, le directeur du CCN de Tours propose dans la foulée un autre solo du même chorégraphe, Tù, solo tù. Dans la pénombre, une silhouette de femme se dessine. À peine peut-on percevoir un pas de côté esquissé, un bras tendu. Extrait de Faits et gestes, l’une de ses dernières créations, ce solo s’inscrit dans la veine généreuse autant que minimaliste de Bernard Glandier. Simple en apparence, il s’appuie sur une orthographe très structurée et demande une technicité pointue. Reprenant le rôle de Montaine Chevalier, avec qui elle le danse en alternance et qui lui a transmis chaque inflexion corporelle, Anne-Emmanuelle Deroo irradie le plateau avec une grâce infinie. 

Sans temps mort, Maxime Aubert et José Meireles prennent déjà le relais au plateau. Après les solis, Thomas Lebrun propose deux duos, l’un qui l’a profondément marqué à sa création en 1999 et qu’il a toujours rêvé de danser, et un pas deux de son cru, s’inscrivant dans la droite ligne de cette soirée qui conjugue habillement nostalgie et joie de la découverte. Le premier, Noce, est masculin. Il est signé par Christine Bastin.

Tout l’un contre l’autre, les deux danseurs entament une sublime et charnelle parade amoureuse. Gestes ronds, enveloppants, pauses lascives, explicites, la chorégraphe touche au sublime de la passion, celle de deux êtres qui ne peuvent se rassasier l’un de l’autre. Sous le regard de l’artiste, directrice artistique depuis 2015 de la Fabrique de Danse, les deux interprètes vibrent en un accord parfait et bouleversent un public subjugué par la force d’un propos face auquel nul, même le plus réactionnaire, ne devrait pouvoir nier la beauté de l’acte d’amour. 

Le titre n'a pas d'importance de Thomas Lebrun © Frédéric Iovino
Le titre n’a pas d’importance de Thomas Lebrun © Frédéric Iovino

Les spectateurs hébétés n’ont pas le temps de se remettre de leur émotion, que Montaine Chevalier, vêtue de clair, apparait déjà dans les lumières tamisées de Jean-Philippe Filleul. Après la fureur physique, place à la délicatesse, à la douceur. Légère comme une plume, elle exécute quelques mouvements, presque des caresses. Rejointe par Anne-Emmanuelle Deroo, les deux artistes se lient par les mains et entame un pas de deux unies l’une à l’autre.

Le symbole est fort, puissant. Amies mère-fille, sœurs, amantes, entre elles deux, la fusion est évidence. Jamais contrainte, ce main dans la main les embarque dans une danse à l’unisson entre transmission, partage, passage de relais d’une vie à l’autre. Dans l’écriture de Thomas Lebrun, tout est fluide, tout est beau. Pensée comme il le dit lui-même à la manière d’un nuage, cette nouvelle création du chorégraphe tourangeau touche au cœur jusqu’aux larmes. Jamais où on l’attend, il sait toujours avec délicatesse saisir le public, l’embarquer dans des rêveries poétiques, entre le concret et l’imaginaire. Il clôture ainsi magnifiquement ce programme qui met en lumières répertoires et artistes que le temps a peut-être un peu trop oublié ! 


1998 de Bernard Glandier, Christine Bastin et Thomas Lebrun
Conception de Thomas Lebrun

CCN de Tours
47, rue du Sergent Leclerc
37000 Tours
jusqu’au 1er juin 2024
durée 1h

Pouce ! de Bernard Glandier
solo créé en 1994 et transmis à Thomas Lebrun en 1998.
Interprète (en alternance) – José Meireles et Hugues Rondepierre
Musique de Robert Devisée, Giancinto Scelsi &Sara Gorby
Lumière de Jean-Philippe Filleul
Son de Maxime Fabre 

Tù, solo tù de Bernard Glandier
solo créé en 1997 et interprété par Montaine Chevalier, extrait de la pièce Faits et Gestes…
Transmis par Montaine Chevalier
Interprète (en alternance) – Montaine Chevalier, Anne-Emmanuelle Deroo
Musique de Jiacinto Scelsi & Claude-Henri Joubert
Lumière de Jean-Philippe Filleul
Son de Maxime Fabre 

Noce de Christine Bastin
duo créé en 1999 pour la pièce Be, transmis par Christine Bastin et Pascal Allio
Interprètes à la création par Michel Abdoul, Pascal Allio
Interprètes – Maxime Aubert, José Meireles
Musique de Jeff Buckley
©Transmis par Christine Bastin et Pascal Allio

Le titre n’a pas d’importance de Thomas Lebrun
création 2024
Interprètes – Montaine Chevalier, Anne-Emmanuelle Deroo
Musique de Dez Mona & Maxime Fabre
Tù, solo tù de Bernard Glandier
solo créé en 1997 et interprété par Montaine Chevalier, extrait de la pièce Faits et Gestes…
Transmis par Montaine Chevalier

Interprète (en alternance) : Montaine Chevalier, Anne-Emmanuelle Deroo
Musique de Jiacinto Scelsi & Claude-Henri Joubert
Lumière de Jean-Philippe Filleul
Son de Maxime Fabre 

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