Noé Soulier © Wilfried Thiery
Noé Soulier © Wilfried Thiery

Noé Soulier : « Il fallait que la vidéo fasse partie intégrante de la danse »

Pour sa première fois au Festival d’Avignon, l’artiste à la tête du Cndc d’Angers imagine avec "Close up" une variation chorégraphique et filmique autour de "L’Art de la fugue" de Bach, joué en direct au plateau.

Noé Soulier : Tout d’abord, il y a eu la rencontre avec la claveciniste Maude Gratton, qui dirige l’ensemble Il Convito, il y a quelques années lors d’une résidence de recherche commune. J’avais envie que l’on travaille ensemble. Plus spécifiquement par rapport à Bach, il y avait comme une résonance dans le vocabulaire chorégraphique que je développe depuis un moment. Et tout particulièrement, avec L’Art de la fugue, il y a chez lui, je trouve, une tentative de se situer à un endroit assez spécifique par rapport au mouvement, qui n’est pas narratif. Dans cette partition, il n’y a pas une histoire ou une thématique définie. Ce n’est ni complètement formel, ni complètement abstrait. On se rattache plutôt aux émotions qui se dégagent des notes et que l’on peut, chorégraphiquement parlant, exprimer à partir du corps. Dans mon travail, cela se traduit par des actions pratiques — frapper, éviter, lancer, attraper, etc. —, mais détournées de leurs fonctions premières. On peut s’y projeter grâce à l’intensité, l’effort et l’élan impulsés par l’artiste, sans que cela soit forcément implicite.

Close up de Noé Soulier, photo de répétitions © Delphine Perrin / Hans Lucas.
Répétitions de Close up © Delphine Perrin/Hans Lucas.

Noé Soulier : En fait, je trouve qu’il y a une résonance entre la musique de Bach et ce que je cherche à explorer dans mon processus créatif. Dans cette partition spécifique qui n’est pas vraiment une sonate, il y a quelque chose de l’ordre de l’entre-deux, fait de modulations, de traversées d’univers différents. Ce n’est absolument pas linéaire. Son œuvre est par essence très polyphonique, elle est saturée d’affects. Dans la manière dont la fugue se déploie, il y a une dimension très énergisante et très rythmique qui, pour moi, est assez viscérale, corporelle et émotionnelle. Il y a vraiment quelque chose de très actuel dans sa manière de conjuguer narration et abstraction. Dans le monde d’aujourd’hui, où il se passe tout le temps mille choses, les grands récits ont perdu de leur capacité à rendre compte de ce que l’on vit, de ce que l’on traverse aussi bien individuellement que collectivement ; néanmoins, on est toujours parcouru d’émotions, d’affects, d’impulsions. Je pense que l’œuvre de Bach, étonnamment, permet de faire le lien entre ces deux constats. 

Noé Soulier : Il y a un mélange des deux. Ici, clairement, ma partition chorégraphique ne s’est pas écrite ni calée sur la musique de manière linéaire. On ne va pas suivre le déroulement d’un air ou d’une mélodie. Il y a plutôt toutes sortes de relations qui peuvent s’établir. La musique étant jouée en direct au plateau, parfois, c’est la relation entre les danseurs et danseuses qui va entrer en résonance avec celle qui existe entre les musiciennes, sans pour autant qu’il y ait une sorte de décalque littéral de la musique. Parfois aussi, il peut y avoir quelque chose qui relève davantage de l’énergie. Mais je dirais que c’est souvent la relation spatiale et temporelle qui se joue entre les différents interprètes qui m’intéresse. Ténue, forte ou évidente, elle sert de fil rouge à mon écriture.

Close up Noé Soulier - photo de répétitions © Delphine Perrin / Hans Lucas.
Répétitions de Close up © Delphine Perrin/Hans Lucas.

Noé Soulier : C’est vrai que je n’ai jamais utilisé la vidéo en temps réel. Par contre, j’avais réalisé un film de danse, qui s’appelle Fragments. J’y utilisais un dispositif très particulier où une caméra fixe capture ce qui se déroule dans un cadre de 60cm de large sur 30cm de haut, centrée sur le ventre des danseurs et danseuses. Cela m’a permis d’explorer des aspects du mouvement imperceptibles pour le spectateur. Grâce à ce système, il est possible d’accéder à un nouveau détail dans l’articulation des différentes parties du corps qui ne peut exister lorsque l’on n’a qu’un point de vue unique. C’est cette possibilité d’isoler visuellement certaines parties du corps, chargées d’affects multiples, que j’ai souhaité explorer plus en avant. C’est d’autant plus complexe et passionnant de le faire en direct sur scène, que chaque danseur ou danseuse contrôle ce qui est dans le champ et ce qui est hors-champ. Cela renverse complètement la relation entre celui qui danse et celui qui filme, et par là même, forcément aussi avec celui qui regarde. 

Noé Soulier : Elle me permet de construire une image chorégraphique, une image en mouvement chorégraphique. C’est d’autant plus fascinant qu’ici, on le fait en temps réel. Et puis cela m’a obligé à explorer de nouveaux champs artistiques, car je ne voulais pas quelque chose de fixe, je voulais trouver comment intégrer chorégraphiquement la vidéo. Il fallait qu’elle fasse partie intégrante de la danse. C’est pour moi et les interprètes un changement d’échelle radical. Mais toute la pièce n’utilise pas ce dispositif : il y a toute une partie où la vidéo n’est pas du tout présente. 

Close up de Noé Soulier - photo de répétitions © Delphine Perrin / Hans Lucas.
Répétitions de Close up © Delphine Perrin/Hans Lucas.

Noé Soulier : Forcément, parce qu’on est vraiment sur des fragments de corps. C’est impossible de mettre tout son corps dans l’image avec ce dispositif-là. On est à un niveau de précision qu’on ne pourrait pas avoir sur scène parce que ces parties de corps sont projetées en très grand. On est à l’échelle du centimètre dans la chorégraphie, donc tout est nécessairement très écrit. Il y a aussi tout un travail au niveau du son : j’ai souhaité que des petits micros soient intégrés au cadre vidéo pour amplifier les respirations, les bruits du corps. Je voulais que le public ait la sensation d’être au plus près des danseurs et danseuses. C’est un peu comme quand on danse avec quelqu’un, on ne voit pas tout de lui, on ne perçoit pas tout. On est plutôt dans une sorte d’interaction intime autant que fragile.

Noé Soulier : Avignon, en tant qu’artiste, c’est assez mythique. Il y a quelque chose de très impressionnant à faire partie de la programmation. Pour l’avoir vécu souvent en tant que spectateur, il y a quelque chose qui dépasse l’œuvre. Il y a cette émulation, cette ferveur dans toute la cité. Je crois que c’est un des cas assez rares où on a l’impression que la ville fait corps avec le festival. L’énergie y est très différente que partout ailleurs. C’est assez jubilatoire et très excitant, en tout cas, d’en faire partie, d’en être pour la première fois acteur. Ce que je trouve aussi intéressant à Avignon, c’est que c’est un public assez différent de ce que l’on voit en salle à l’année. Avignon est avant tout un festival de théâtre, la présence de la danse est récente. De ce fait, les spectateurs sont plus hétérogènes et diversifiés que dans un festival uniquement consacré à la danse. J’ai hâte de vivre ce premier festival en tant que créateur. 


Close up de Noé Soulier
Festival d’Avignon
Opéra Grand Avignon
place de l’Horloge
84000 Avignon
du 15 au 20 juillet 2024
Durée 1h15

Tournée
9 au 10 octobre 2024 au Cndc – Angers (FR)
16 octobre 2024  au RomaEuropa Festival, Teatro Argentina – Rome (IT)
7 novembre 2024 à l’euro-scene Leipzig – Leipzig (DE)
27 et 28 novembre 2024 à La Comédie de Valence, Centre dramatique national Drôme-Ardèche – Valence (FR)
7 décembre 2024 au Theater Freiburg – Freiburg (DE)
18 et 19 janvier 2024 au Festival Waterproof, Opéra de Rennes – Rennes (FR)
25 et 26 janvier au Festival Trajectoires, Angers Nantes Opéra, Théâtre Graslin – Nantes (FR)
28 janvier 2025 au Quartz – Scène nationale de Brest – Brest (FR)
31 janvier 2025 au TAP – Théâtre Auditorium de Poitiers – Poitiers (FR)
5 février 2025 aux Espaces Pluriels – Pau (FR)
7 février 2025 à la Scène nationale du Sud-Aquitain – Anglet (FR)
11 février 2025 au Théâtre des Quatre Saisons – Gradignan (FR)
11 au 13 mars au Théâtre de la Ville, en partenariat avec Chaillot Nomade – Paris (FR)
27 mars 2024 à la Cité musicale-Metz, Arsenal Jean-Marie Rausch – Metz (FR)

Conception et chorégraphie de Noé Soulier
Avec Julie Charbonnier, Yumiko Funaya, Nangaline Gomis, Samuel Planas, Mélisande Tonolo, Gal Zusmanovich
et l’Ensemble Il Convito : Christine Busch en alternance avec Sophie Gent (violon), Claire Gratton (viole de gambe), Maude Gratton (clavecin), Amélie Michel (traverso), Ageet Zweistra (violoncelle) 
Scénographie de Noé Soulier, Kelig Le Bars et Pierre Martin Oriol 
Direction musicale de Maude Gratton 
Musique de Jean-Sébastien Bach 
Lumière de Kelig Le Bars  
Vidéo de Pierre Martin Oriol 
Assistanat à la chorégraphie – Stephanie Amurao
Direction technique – François le Maguer 
Régie générale – Mathilde Monier , Régie lumière -Nicolas Bazoge, Régie vidéo et son Jérôme Tuncer  
Assistanat lumière et plateau – Martin Mouchère 

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