Guerre - Norén - Benedetti © A. Mesnil
© A. Mesnil

Christian Benedetti et Lars Norèn au nerf de la Guerre

En son Théâtre Studio d’Alfortville, le metteur en scène reprend la pièce du dramaturge suédois, décédé en 2021, du Covid. Un spectacle coup de poing et salutaire.

Pour paraphraser Francis Lemarque, quand un soldat s’en va en guerre il a souvent la fleur au fusil et des certitudes. Quand un soldat revient de guerre, que se passe-t-il ? Il a eu certes de la veine, mais est-il pour cela un héros ? Et à l’arrière, que s’est-il passé durant son absence ? La vie a-t-elle continué comme avant, comme il l’a espéré ? Dans cette œuvre majeure, sur les ravages et les horreurs des conflits armées, des guerres intestines et fratricides, que Christian Benedetti, avec le savoir-faire qu’on lui connaît, met admirable en valeur, Lars Norèn explore le chaos.

Guerre - Norén - Benedetti © A. Mesnil
© A. Mesnil

Dans un pardessus râpé et poussiéreux, les chaussures dépareillées, il rentre chez lui, après 2 ans d’absence. L’homme se tient droit, tel un héros, mais il n’est plus que l’ombre de lui-même. Il a perdu la vue. Mais comme lui lancera sa femme, il était déjà aveugle avant. Sa cécité l’empêche de remarquer qu’autour de lui, tout n’est que désolation et que le conflit a fait des victimes collatérales. Le maître de la maison ne retrouve pas ce à quoi il aspirait, la quiétude du foyer, une femme soumise et deux petites filles insouciantes.

Pendant qu’il faisait son devoir sur les champs de bataille, son village s’est auto-détruit dans des querelles que l’auteur se garde bien de définir, pour mieux en cerner l’absurdité et l’abomination. Les femmes, quel que soit leur âge, ont été les proies de la violence des hommes. Il a fallu également trouver de quoi se nourrir, car famine va souvent de pair avec conflit. La mère, ayant appris à survivre, se débat sans état d’âme. L’aînée vend ces charmes et la petite tente de garder un semblant d’enfance. Et puis, il y a celui qui n’est pas parti, le frère ennemi, qui a pris soin comme il a pu des femmes… Si le premier voulait rentrer chez lui, les autres ne rêvent que d’en partir.

La pièce de Lars Norèn, écrite en 2003, fait évidemment songer aux guerres qui ont déchiré l’ancienne république fédérative socialiste de Yougoslavie, de 1991 à 2001. Mais le fait que l’auteur ne la nomme jamais, cela souligne l’intemporalité du malheurs. L’auteur décédé en 2021 dénonce également une autre menace, plus quotidienne, qui reste à combattre, celle du régime patriarcal. Dans un style vif, cinglant, sans pathos, le dramaturge signe une tragédie moderne aux accents antiques. On est saisi par la force des mots mais aussi par ce que véhiculent les silences.

La mise en scène de Christian Benedetti est d’une efficacité admirable. Sa scénographie qui tend pourtant vers l’épure, instaure -avec quelques accessoires, une porte sans battant posée au milieu du plateau, un sol couvert d’un sable blanc crayeux, des vêtements de récupération – toute la désolation d’un monde détruit. Il a insufflé aux comédiennes et comédiens toute l’intensité nécessaire à ce texte saisissant. Stéphane Caillard en mère courage, Pia Lagrange en fille de joie sans illusion, Fleur Fitoussi (découverte dans Un certain penchant pour la cruauté) en petite môme paumée, Marc Lamigeon en soldat bilieux et Jean-Philippe Ricci en homme blessé, sont bouleversants par leur jeu d’une sensibilité à fleur de mots. Le théâtre étant nécessaire, car il nous éclaire, ce spectacle est à voir de toute urgence.


Guerre de Lars Norén.
Théâtre Studio d’Alfortville
16 rue Marcellin Berthelot
94140 Alfortville.
Jusqu’au 16 mars 2024
Durée 1h45.

Traduction de Katrin Ahlgren et René Zahnd © l’Arche Éditeur
Mise en scène, scénographie, lumières et costumes de Christian Benedetti
Avec Stéphane Caillard, Pia Lagrange, Fleur Fitoussi, Marc Lamigeon, Jean-Philippe Ricci
Assistante à la mise en scène – Brigitte Barilley
Maquillage et Couture de Madeleine Davies
Régie générale d’Adrien Carbonne

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