Lars Noren retourne à Poussière

Grande figure du théâtre suédois, Lars Norén est mort, mardi 26 janvier 2021, à 76 ans des suites de la Covid.

Grande figure du théâtre suédois, dans la lignée de Strindberg, d’Ibsen ou de Bergman, Lars Norén est mort, mardi 26 janvier 2021, à 76 ans des suites de la Covid. Entré au répertoire du Français en 2018 avec sa pièce Poussière, le dramaturge était un auteur exigeant, qui aimait confronter les spectateurs à la réalité sombre du monde. 

Né en Stockholm en 1944, Lars Norén commence à écrire à 13 ans. Puisant dans sa vie, il signe d’abord des poèmes, publiés dès 1962 dans de nombreux recueils, avant de s’intéresser dans les années 1970 au théâtre. Avec plus de 40 pièces à son actif, dont une vingtaine traduites en français, l’homme, digne héritier de Strindberg, a disséqué de sa plume le monde alentour, la famille, le couple, les petits accrocs de l’existence, les parts d’ombre de l’humanité. Son écriture précise, incisive, noire, explore les petites fêlures entre mari et femme, les relations conflictuelles entre parents et enfants, les perversions sexuelles des uns, les maladies psychiatriques des autres.

Un auteur réaliste 
Démons de Lars Norén. mise en scène de Marcial di Fonzo Bo. THéâtre du  Rond-Point. © Giovanni Cittadini Cesi

En 1963, le décès de sa mère est un tel choc, qu’il est interné dans un hôpital psychiatrique. Touché par une grave crise de schizophrénie, il semble trouver dans l’écriture une sorte de remède. Tout au long de son internement, il produit poèmes bien sûr, mais aussi drames en série et huis clos. Dix ans plus tard, il publie sa première pièce, Le lécheur du souverain, une commande du Théâtre Dramaten de Stockholm. Drame historique au cœur du Moyen Âge allemand et italien, le spectacle est d’abord un échec, avant de connaître le succès et le scandale avec sa reprise dans les années 1980. C’est le début d’une prolifique carrière. Livres ouverts sur ses obsessions, Les Démons –pièce montée en 2015 par Marcial Di Fonzo Bo au Théâtre du Rond-Point , et La VeilléeAutomne et Hiver,  font partie d’un cycle que Lars Norén qualifie lui-même de réaliste. 

Reconnu en France dès 1987 

Au Petit Odéon, salle Roger Blin Jean-Louis Jacopin fait sensation avec son adaptation de La Force de tuer (1978), un huis-clos radical entre un père, son fils et sa petite amie. C’est le début d’une reconnaissance jamais démentie en France, qui atteindra son apogée en 2018 avec l’entrée au répertoire de la Comédie Française de Poussière, une pièce écrite spécialement pour la troupe sis place Colette. Petit bijou de poésie, l’œuvre questionne la vieillesse, la mort, la vie. 

A l’écoute des autres
Le 20 novembre de Lars Norén. Misen en scène de Samuel Charieras. TNN. © E. Negre

Quittant le cercle familial, qui a nourri ses premiers textes théâtraux, le dramaturge descend dans les rues de la capitale suédoise, afin de recueillir la parole des démunis, des exclus de la société. Son objectif, faire entendre leurs voix, montrer leurs regards sur le monde. De cette riche expérience aux côtés des marginaux, il tire une trilogie âpre aux profonds retentissements. Véritable tournant dans l’œuvre de l’auteur, il glisse du réalisme à un travail plus sociologique. Il aborde dans Froid, Le 20 novembre et A la mémoire d’Anna Politkvoskaïa, des drames qui viennent émailler nos sociétés contemporaines. Par ce biais, il titille la conscience des spectateurs, trouble leur bien-pensance, les pousse dans leurs retranchements, et à ouvrir nos yeux sur la violence engendrée par nos sociétés, nos comportements. 

Directeur de troupe
Poussière de Lars Norèn. Comédie Française. © Brigitte Enguèrand, col. Comédie Française

Après avoir succédé à Ingmar Bergman à la tête du Théâtre national de Suède, le dramaturge est depuis 1999 le directeur artistique du Riks Drama, la troupe permanente du théâtre national itinérant suédois, le Riksteatern. 

Auteur, metteur en scène, poète, Lars Norén traîne son regard noir, lucide sur le monde. A 76 ans, la pandémie a eu raison de sa santé. Il est parti rejoindre ses illustres prédécesseurs, ses Poussières qui ont hanté une de ses dernières créations.

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore 

Crédit photos © Michiel Hendryckx, © Giovanni Cittadini Cesi, © E. Negre, © Brigitte Enguerrand, coll. Comédie-Française

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