Thomas le Douarec © Anthony Magnier
© Anthony Magnier

Thomas Le Douarec, un homme au cœur de la troupe

Depuis ses premiers grands pas au théâtre en 1991, Thomas Le Douarec, comédien, metteur en scène et codirecteur des Lucioles à Avignon, s'est imposé comme un meneur de troupe remarquable.

Quel est votre premier souvenir d’art vivant ?
Mon premier souvenir marquant de jeune spectateur, à douze ou treize ans, fut le Cyrano de Bergerac de Savary, avec Jacques Weber, au théâtre Mogador. Je garde en souvenir l’image incroyable d’un carrosse tiré par de vrais chevaux au galop sur le plateau — certainement sur un tapis roulant. Le jeune enfant que j’étais avait particulièrement adoré Jacques Weber dans le rôle. J’ai toujours aimé, par la suite, la dimension festive des spectacles de Savary.

Thomas Le Douarec - Le Misanthrope © Bernard Gilhodes
Jeanne Pajon, Justine Vultaggio, Valérian Béhar Bonnet et Rémi Johnsen dans Le Misanthrope

Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans le secteur de l’art vivant ?
Cela s’est fait petit à petit. Je n’ai pas eu comme certains une vocation précoce. Le giron familial n’était pas particulièrement propice pour envisager une carrière théâtrale, ni aucune autre carrière artistique. C’est au fur et à mesure des rencontres que mes sens se sont ouverts à l’art. Celle de certains auteurs, dont les lectures imposées par mes parents ont commencé à m’ouvrir la voie. Très vite j’ai été initié à la musique, au sax, au jazz et à la bossa-nova par Bernard Hérout, le nouveau compagnon de ma mère après la séparation de mes parents — il y a toujours un bien dans un mal ! C’est le début de ma grande histoire d’amour avec la musique. Ensuite, ma prof de français au Lycée Corneille de Rouen, Madame Alliot, m’a initié à la poésie, à certaines chansons, et surtout au théâtre. C’est la première à m’avoir mis sur une scène. Dans ma classe, il y avait Valérie Bonneton, et une de mes amies était apprentie comédienne à l’école du Théâtre des Deux Rives à Rouen dirigé par les frères Alain et Michel Bézu. Ce premier pas sur scène m’a donné le courage d’ouvrir l’année suivante la porte de l’atelier théâtre de Joël Pagier à l’institution catholique Saint-Joseph du Havre où j’avais atterri comme pensionnaire. C’est à son contact que tout a commencé. Il m’a fait confiance et m’a offert des rôles magnifiques, comme Alceste dans Le Misanthrope de Molière, Treplev dans La Mouette de Tchekhov. Nous avons monté plus de huit spectacles ensemble.

Le portrait de Dorian Gray - Thomas Le Douarec © DR
Le portrait de Dorian Gray, avec Thomas Le Douarec, Fabrice Scott, Caroline Devismes, Valentin de Carbonnières ©DR, collection privée

Qu’est ce qui a fait que vous avez choisi d’être comédien et metteur en scène ?
Pour mon cas, c’est grâce à l’Atelier Théâtre de Joël Pagier, à ses succès auprès du public et aux encouragements de mes camarades. Plus généralement, c’est grâce aux regards des autres que j’ai pu commencer à m’envisager comme comédien. Ce sont les autres qui m’ont poussé à essayer. Seul, je n’aurais jamais osé ! Ils étaient plus persuadés que moi-même que je devrais me lancer, et j’ai eu le malheur de les croire !

Grâce à Francis Huster, je suis entré en seconde année chez Florent plein de rêves. La réalité m’a vite rattrapé. Au début, des mots de ma professeure m’ont paralysé, au point que je suis resté sur le banc de touche pendant plusieurs mois. C’est à la fin de l’année scolaire, lors du seul travail d’élèves qui ont bien voulu de moi que tout a commencé. David Caris, qui mettait en scène, a jeté l’éponge au bout de quinze jours. J’ai proposé de reprendre le flambeau. Cette mise en scène fut une véritable révélation, pour moi comme pour mes camarades ! Je dois tout à mes partenaires de scène : David Caris, Thierry de Peretti, Laurent Morel, Paulin Foualem Foduop et Paloma Pastor ont accepté de me suivre dans toutes mes folies. Le spectacle a été un énorme succès au sein de l’École et a remporté tous les prix lors de la cérémonie 1990 des Jacques, les Molières de Florent, dont le prix du meilleur acteur pour un second rôle pour ma pomme. L’année suivante, j’ai pu intégrer la classe libre, et François Florent a créé ensuite une classe libre mise en scène pour deux élèves : Michaël Cohen et moi-même. Ensuite, j’ai créé ma compagnie avec une bande de fous : Juliette Meyniac, Marie Parouty, Géraldine Bonnet-Guérin, Sandra Nkake, David Caris, Grégoire Bonnet, Gilles Nicoleau, Charles Clément. Je n’ai jamais fait autant la fête qu’avec cette bande de comédiens incroyables…

Thoams Le Douarec - Le Cid © Bertrand Richebé
Florent Guyot dans Le Cid © Bertrand Richebé

Le premier spectacle auquel vous avez participé et quel souvenir en retenez-vous ?
Lors du dernier spectacle que j’ai fait avec Joël Pagier, je jouais Alceste dans Le Misanthrope. J’ai touché à ce qui pourrait ressembler à un moment de grâce ! Je me sentais à ma place. Tout ensuite est allé très vite !

Votre plus grand coup de cœur scénique ?
Joël Pagier m’a fait découvrir le Théâtre du Soleil et fait aimer Ariane Mnouchkine ! Et bien sûr il y a eu Philippe Caubère et son Roman d’un acteur : j’étais fan absolu ! Et le Hamlet de Chéreau m’a subjugué ! J’ai été très marqué par mes années au Théâtre de la Ville. Les chorégraphes m’ont beaucoup influencé. Pina Bausch surtout. Mais aussi Joëlle Bouvier et Régis Obadia, Lucinda Childs, Jean-Claude Gallotta, Josef Nadj, Alain Platel ou Sankai Juku.

Quelles sont vos plus belles rencontres ?

Thomas Le Douarec Ce qui reste d'un amour © Marasco
Caroline Devismes et Thomas Le Douarec dans « Ce qui reste d’un amour » © Marasco

Joël Pagier qui m’a appris l’essentiel de ce que je sais aujourd’hui. Yves le Moign’, mon prof principal de théâtre à la Classe Libre ; un doux dingue bourré de tics qui, en cours, touchait les étoiles. Francis Huster, qui m’a repéré lors d’un stage d’été et m’a encouragé à intégrer Florent. François Florent qui a cru en moi et m’a fait confiance. C’est lui qui me pousse à me lancer dans la mise en scène. Gérard Violette, directeur du Théâtre de la Ville, qui m’a engagé comme contrôleur et m’a prêté pendant les premières années de ma compagnie des salles de répétition, des costumes, des éclairages et il m’a permis de côtoyer les grands metteurs en scène de l’époque. J’ai vu Chéreau répéter ! René de Obaldia me manque. C’était un immense auteur mais aussi un ami. J’aimais cet homme : son élégance et sa drôle de façon de tenir à distance les malheurs de la vie ! J’ai aimé jouer tous les soirs avec Michel Galabru dans La Femme du Boulanger. Il y avait dans son regard d’éternel enfant, une malice : il cherchait à te dire : « surprend moi ! » Il ne supportait pas la routine. Danielle Mathieu-Bouillon, ma marraine la fée. Elle m’a dit des mots que je n’oublierai jamais… C’était un petit coup de baguette magique ! Puis tous les comédiens avec qui j’ai bossé : Caroline Devismes — une de mes plus belles rencontres artistiques —, Sophie Tellier, Jean-Charles Chagachbanian, Fabrice Scott, Mehdi Bourayou, Philippe Maymat, Jeanne Pajon, Bruno Paviot, Stanislas Siwiorek, Philippe Lebas. Hier : Gilles Nicoleau, Grégoire Bonnet, Juliette Meyniac, Charles Clément, Marie Parouty, Barbara Schulz, Walter Hotton, David Caris, Jean-Paul Rouve, Lucien Jean-Baptiste, Florent Guyot, Pierre Forest. Ils m’ont touché, ils m’inspirent et m’ont inspiré.

En quoi votre métier est essentiel à votre équilibre ?
Grâce à mon métier et à mes spectacles, j’ai toujours pu m’exprimer. Je n’ai jamais eu besoin d’aller voir un psy. Je pouvais régler mes problèmes et j’ai pu vider mon sac sur scène, avec mes partenaires et avec le public. J’ai tout dit dans mes quatre premiers spectacles, ensuite on se répète beaucoup ou on se nourrit des autres. Mes obsessions sont toujours quelque part enfouies en moi.

Thomas Le Douarec - Les 100 ans de René de Odaldia © DR
L’Académicien René de Obaldia féte ces 100 Ans au Théâtre de la Bruyère à Paris entouré de Cyrielle Clair et Thomas Le Douarec © DR, collection privée

Qu’est-ce qui vous inspire ?
Les comédiens, je l’ai dit plus haut… Mais aussi toutes les musiques. Quand j’en écoute, les images défilent dans ma tête. Les réalisateurs de cinéma aussi, en particulier David Lynch et son Sailor et Lula. Tarantino, Baz Luhrmann, Visconti, Leone, Lubitsch, Mankiewicz. L’Amadeus de Milos Forman. En France, Claude Sautet et L’important c’est d’aimer de Zulawski !

De quel ordre est votre rapport à la scène ?
Il est charnel ! Il est très violent, c’est un engagement total. Je n’aime pas la demi-mesure au théâtre : un pas est un pas ! Je ne fais pas dans la nuance.

À quel endroit de votre chair, de votre corps situez-vous votre désir de faire votre métier ?
Je le ressens dans tout mon corps ! Sur scène j’essaye de jouer même avec mes doigts de pieds ! J’aime voir les corps bouger, vibrer. J’ai un rapport très sensuel avec le plateau, proche de la danse.

Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ?

Thomas Le Douarec - Aux deux Colombes © Philippe Hallula
Aux deux Colombes de Sacha Guitry, avec Marie-Hélène Lentini, Thomas Le Douarec, Marie Delaroche, Emmanuelle Gracci  © Philippe Hallula

J’admire les acteurs totalement impudiques, qui se sont totalement affranchis du jugement des autres, de leur regard : Niels Arestrup m’impressionne sur scène, Luchini aussi, mais humainement je ne suis pas sûr… Depardieu a réussi à se libérer complètement du regard des autres, c’est très impressionnant, mais vous voyez le résultat aujourd’hui : il a traversé le miroir. J’admire les fous : Robert Hirsch, Philippe Caubère, Gérard Desarthe, Denis Lavant. De Funès n’avait pas de limite non plus. Je suis très impressionné par Pierre Niney, par exemple : il est très libre. Je suis fasciné par toutes les actrices. Elles restent un mystère pour moi. Plus particulièrement, celles qui ont aussi franchi les barrières de la pudeur : Romy Schneider (dans L’importance d’être aimé), Gena Rowlands, Isabelle Huppert (dans La Pianiste). Virginie Efira me surprend de plus en plus.

À quel projet fou aimeriez-vous participer ?
J’ai toujours rêvé d’une troupe et d’un théâtre. Je fais ce métier pour la troupe. Je n’ai jamais été aussi heureux que sur les projets de troupe. Dans Le Misanthrope, nous sommes neuf, dans L’Idiot nous sommes onze. Je pourrai répéter tous les jours avec mes comédiens. Je voudrais faire des films de mes spectacles et je serai heureux de jouer tous les soirs avec les gens que j’aime. Il n’y a pas plus grand bonheur que de se retrouver ensemble autour d’un verre après une représentation.

Si votre vie était une œuvre, quelle serait-elle ?
Deux ans de vacances de Jules Verne. Une de mes premières lectures d’enfant ! C’est un Robinson Crusoé vécu par une bande de gamins qui se retrouve bloqué pendant deux ans sur une île déserte. C’est pourquoi j’adore les résidences et le Festival d’Avignon : Nous sommes bloqués tous ensemble vingt-quatre heures sur vingt-quatre pour jouer, créer et donc s’amuser. Le théâtre a toujours été pour moi synonyme de vacances !


Le Misanthrope de Molière.
Théâtre de l’Epée de Bois
Cartoucherie – Route du Champs de Manœuvre
75012 Paris.
Du 11 janvier au 4 février 2024.
Durée 1h55.

Le portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde
Théâtre du Ranelagh
5, rue des Vignes
75016 Paris.
Du 3 janvier au 26 avril 2024.
Durée 1h25.

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