Quand Mathilde rencontre Jacqueline, cela fait des étincelles… La première est une trentenaire, la seconde aurait eu 100 ans cette année. Mathilde Charbonneaux est sortie du Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique en 2018. Elle a travaillé avec Jean-Louis Benoit (Huis clos), Simon Falguière (Nuit de cendres, Les Étoiles), sa carrière démarre… Jacqueline Maillan a été la reine du boulevard. Sa carrière est immense. Elle est décédée en 1992. Mathilde ne l’a jamais vu jouer pour de vrai, mais à force d’entendre que son jeu faisait songer à celui de « La Maillan », la jeune femme a visionné les pièces et les films où elle apparaissait.
J’ai deux mots à vous dire
Madame M. part d’un profond désir de rendre hommage à une comédienne hors pair, unique et inénarrable. Par la magie du spectacle, Madamoiselle Maillan est sortie des limbes grâce à une certaine Mathilde. Sur le plateau, un téléphone (accessoire du boulevard qu’elle maîtrisait très bien), une chaise… la jeune artiste porte la coupe de cheveux et la robe à fleurs que Maillan avait dans Pouic Pouic. On songe également au personnage de la directrice de théâtre dans Ah les belles bacchantes des Branquignols de Robert Dhéry. Toute surprise de savoir qu’elle est morte et que des gens ne la connaissent pas, elle va se raconter. Pour faire plaisir à Mathilde…
Un parcours singulier pour une femme étonnante
Le spectacle de Mathilde Charbonneaux est d’une belle originalité parce qu’enne a pris l’angle de raconter ce qui a forgé la personnalité de Maillan. Une femme qui par son physique et son dynamisme n’avait rien d’une jeune première, mais possédait la vis comica. Charbonneaux fait surgir, plus ou moins maladroitement, mais en tout cas de manière assumée, René Simon, Patrice Chéreau et Bernard Marie-Koltès. Rappelant ainsi que l’actrice, star incontestée du théâtre privé, aura accédé au moins une fois dans sa vie au théâtre public. Il y a aussi cet étonnant costume de Féfé de Broadway, dont elle se part à un moment, et qui évoque toute la grâce que pouvait avoir cette artiste qui a fait ses classes dans les cabarets.
Fort bien documentée, Charbonneaux donne la parole à la comédienne, mais également à la femme, à celle qui lorsqu’elle rentrait le soir, auprès de son époux, le compositeur Michel Emer, devenait une bourgeoise tranquille. Par instant, la voix inimitable de Maillan surgit, chantant où se livrant à Jacques Chancel. Ce qui est une très bonne idée.
Le miroir à deux faces
Nous sommes dans une sorte de mise en abîme, celle d’une comédienne qui se glisse dans la peau d’une autre comédienne, tout en gardant une distanciation. Dès le début, Mathilde Charbonneaux, comme un clin d’œil, instaure le code de jeu. Profitant des apartés avec le public, elle est Mathilde qui joue le personnage de Jacqueline. La jeune actrice, maîtrisant les ruptures comme les césures, ne cherche jamais à imiter son modèle. Pourtant, au détour d’un geste, d’une mimique, d’un coup de jambe, le fantôme de Maillan apparaît. C’est ça l’incarnation ! Si son spectacle est encore un peu frais, il est certain qu’au fil des représentations, il va trouver toute sa force. Deux générations se croisent sur scène, mais aussi dans la salle. Les spectateurs, dont la plupart sont nés après les années 2000, riaient à gorge déployée. L’effet Maillan fonctionne toujours ! C’est formidable !
Marie-Céline Nivière
Madame M. Hommage à Maillan, de et par Mathilde Charbonneaux.
La Scala Paris
13 boulevard de Strasbourg
75010 Paris.
Du 12 avril au 14 juin 2024.
Durée 1h.
Théâtre La Flèche
77 rue de Charonne
75011 Paris.
Du 5 octobre au 7 décembre 2023.
Les jeudis à 19h.
Durée 1h.
Collaboration artistique de Pia Lagrange.
Lumières de Vivien Nederkorn.
Costumes de Lucile Charvet
… merci MCN, toujours concise précise et juste dans ses analyses, de nous donner envie d’aller voir le rideau rouge se lever …