martin Zimmermann © Augustin Rebetez

Martin Zimmermann, artiste pluriel venu de Suisse

Au TCI, Martin Zimmermann présente du 21 au 23 septembre sa dernière création, Danse Macabre. rencontre avec un "petit suisse" tous azimuts.

martin Zimmermann © Augustin Rebetez

Dans le cadre du Festival Tendres Monstres dédié aux arts vivants helvétiques, organisé par le Centre culturel Suisse à Paris et le Théâtre de la Cité Internationale, l’artiste zurichois pluridisciplinaire présente du 21 au 23 septembre sa dernière création, Danse macabre. Homme de contrastes et de paradoxes, Martin Zimmermann ménage ses effets et passe avec une agilité déconcertante du rire aux larmes. Un drôle de zèbre. 

© Augustin Rebetez

Le soleil brille sur la cité luthérienne. À deux pas du lac Léman, dans une rue passante du centre-ville, se tient un lieu prisé des gourmands et des gourmets, la pâtisserie Sofia, établissement créé par le chef Dominique Costa. C’est dans ce temple du sucré que s’est installé l’artiste zurichois. Visage anguleux, les yeux pétillants, la peau mate, il observe le monde autour, jette parfois un regard sur son téléphone. Venu passer quelques jours à La Bâtie, festival qui ouvre la saison culturelle genevoise et dont il est un des fidèles artistes, l’acrobate, clown et metteur en scène prend le temps d’un café allongé pour évoquer son enfance dans un petit village à quelques encablures de Zurich, sa jeunesse à la ferme, son goût du cirque, du design, son appétence pour l’hybridation des pratiques, ses névroses et son désir de vie. 

Un gamin des champs
Hallo de Martin Zimmermann © Augustin Rebetez
Hallo de Martin Zimmermann © Augustin Rebetez

Loin de la ville, dans le village de Wildberg, entouré de trois générations de femmes, sa grand-mère, sa mère et sa sœur, le petit Martin Zimmermann découvre le monde. D’abord celui de sa famille, qui produit depuis plusieurs décennies des yaourts et des fromages artisanaux, puis celui des troupes d’artistes parcourant le pays et venant présenter leur spectacle dans les communes avoisinantes. Enfant hyperactif, ne tenant pas en place, il court, virevolte, se dépense sans compter. Vêtu d’un tablier, il donne des coups de main à son grand-père et ses oncles, écoute avec gourmandise la faconde de ses tantes, des femmes hors-pair qui, avec humour, séduisent les clients les plus récalcitrants. De son grand-père, figure tutélaire de la laiterie, il retient ses mots qui le suivent depuis : « Ce que tu entreprends, fais-le avec amour, comme ça, les gens reviendront. »
 
Pour canaliser son énergie, sa mère l’inscrit à des cours de danse, de jonglerie, et de batterie. « Il n’y avait pas de théâtre là où je suis né. Pour satisfaire ma curiosité, mon appétence et nourrir la bête survoltée qui était en moi, j’allais au village d’à côté, un peu plus grand, pour suivre différents ateliers artistiques. C’est ainsi que j’ai découvert le cirque national suisse, le cirque Knie, ma seule éducation culturelle. J’ai tout de suite été fasciné par les performances incroyables que les artistes réalisaient, par leur totale liberté à imaginer, inventer. » Curieux et peu farouche, le garçon de douze ans commence à les fréquenter, à discuter avec eux, à les questionner. Martin est gagné par le virus. Dans son coin, dans le sous-sol de la maison familiale, il fabrique ses premiers spectacles. Sa mère sera son premier public. Il s’amuse à l’imiter. Puis il présente quelques numéros de jonglerie, des tours de magie devant les caméras de la télévision suisse romande. « Je savais que c’était ce que je voulais faire professionnellement. J’ai donc cherché une école. À l’occasion d’un reportage dans un journal pour enfants, j’ai découvert le Centre national des arts du cirque (CNAC) de Châlons-en-Champagne. J’ai collé l’article sur la porte de ma chambre pour le signifier à mes parents. Mon père m’a dit tout net qu’avant d’y songer, je devais apprendre un vrai métier. J’étais très créatif et bon en dessin. Je me suis donc inscrit à l’École des Beaux-arts de Zurich où j’ai suivi durant quatre ans une formation en décoration. »

L’art du décor
Martin Zimmermann © DR
© DR

Au cours de ces années, Martin Zimmermann apprend l’art du design et de la scénographie, tout en continuant à s’entrainer physiquement en acrobatie. Un atout pour la voie artistique qui reste la sienne, faire spectacle. Diplôme en poche, riche d’un enseignement qui a l’art de fabriquer un univers, une réalité parallèle avec du faux, il cherche à poursuivre son rêve et pousse les portes du CNAC. Ça tombe bien, c’est l’année des examens d’entrée. « J’ai tout de suite pris un aller-retour pour Châlons-en-Champagne. J’ai découvert un endroit incroyable. C’était évident que je devais absolument pourvoir y entrer. J’ai passé le concours. Les examinateurs ont dû voir quelque chose en moi qui leur a plu. J’ai été retenu. » 
 
Le regard qui pétille, l’artiste se souvient de ses années de formation, de la rencontre avec Bernard Turin, directeur de l’école, artiste et plasticien, de la rencontre avec Dominique Mercier, un des danseurs emblématiques du Wuppertal Tanztheater, et aussi avec Catherine Germain, qui enseigné le clown et dispensait des cours aux quelques élèves du CNAC. « À cette époque, dès que je le pouvais, je m’échappais de la Champagne pour aller à Paris. J’ai ainsi découvert la programmation du Théâtre de la Ville, le travail d’Anne Teresa de Keersmaeker, de Philippe Decouflé et d’Alain Platel, entre autres. J’étais insatiable. C’est aussi grâce à tous ces spectacles que je voyais que j’ai compris l’importance du décor, de la scénographie, la manière dont ces artistes écrivaient leur spectacle. Tout ce que j’avais appris aux Beaux-Arts faisant sens. Le contour flou de ce qui m’attirait dans l’art vivant faisait jour. Le métier de metteur en scène se dessinait nettement. » 

L’art de l’hybridation 
Ein Zwei Drei de Martin Zimmermann © Augustin Rebetez
Ein Zwei Drei de Martin Zimmermann © Augustin Rebetez

Il participe au spectacle de fin d’études Le cri du caméléon imaginé par Josef Nadj, qui fait une tournée mondiale pendant trois ans. « C’est l’une des premières fois où un chorégraphe comme Josef Nadj mettait en scène un spectacle de cirque. Les frontières entre les arts vivants étaient totalement abolies. Je suis vraiment issu de cette hybridation des pratiques. Le travail de Christoph Marthaler, de Pina Bausch ont nourri ma réflexion créative, mon imaginaire. Il était clair dans ma tête que les pièces que je voulais monter étaient conçues pour une boîte noire et non pour un chapiteau. »

Martin Zimmermann finit par rentrer en Suisse et s’installe à Zurich pour s’atteler à ses propres projets. En plus de vingt-cinq ans, pas moins d’une vingtaine de spectacles et de nombreuses récompenses, dont le prestigieux Grand Prix suisse des arts de la scène/Anneau Hans Reinhart en 2021. Il poursuit sa quête exploratoire du monde en puisant dans tout ce qu’il a appris pour esquisser des univers singuliers, des ailleurs fantasmés distordant la réalité angoissante. « Mon premier spectacle avec le trio MZDP, c’est dans un squat à Zurich, que nous l’avons présenté. Ça s’appelait GOPF, qui signifie Oh mon dieu en suisse allemand. Quelle chance d’avoir été repéré à ce moment-là par René Gonzalez, alors directeur du Théâtre de Vidy-Lausanne. Il a été un des premiers à me soutenir et à m’accompagner sur mes premières créations. Puis j’ai rencontré Claire Béjanin, Alain Vuignier, ma garde rapprochée, ma famille artistique. SI je suis l’auteur des pièces, rien ne se ferait sans eux, sans les techniciens, sans ceux qui, par leur art et leur maîtrise, permettent à ce que j’imagine d’exister au plateau. 

La dramaturgie, un travail psychanalytique
Mr Skeleton de Martin Zimmermann et  Augustin Rebetez
Mr Skeleton de Martin Zimmermann et Augustin Rebetez

Traversant plein d’univers différents, un point commun persiste dans toute son œuvre : la scénographie. Volubile, survolté, Martin Zimmermann n’aime rien tant qu’un monde qui bouge. « Cela fait partie de mon caractère. Ce qui stagne ne m’intéresse pas. Je me suis donc servi de ma formation au CNAC et j’ai appris à jongler avec l’espace, comme je le faisais avec les chapeaux, à faire en sorte qu’il interagisse avec les interprètes, qui les oblige à être tout le temps sur le qui-vive, à ne jamais être dans une routine. » S’il affiche toujours un sourire ultra bright, il doit aussi combattre ses doutes et ses angoisses. Un jour, la pression devient trop forte, il atteint la limite de ce qu’il peut supporter. Il craque, pousse la porte de Sabine Geistlich, une psychiatre. « C’était très étonnant car elle avait vu un certain nombre de mes spectacles. Très rapidement, le feeling est passé, mais elle se sentait trop proche de moi. Elle m’a donc adressé à un confrère, je lui proposé d’être ma dramaturge, car je trouvais que le regard qu’elle avait sur mon travail pouvait m’aider à avancer, à dépasser mon art. elle a pris le temps de réfléchir, mais a fini par accepter. Elle me permet de sortir de ma zone de confort, de creuser des pistes que je n’aurais pas osé emprunter. En période de création, on se voit une à deux fois par semaine, à son cabinet le plus souvent, parfois au studio de répétition. Elle m’aide à me développer comme artiste. » 

Fort de ce soutien, Martin Zimmermann construit des récits de vie où l’humour et le tragique se mêlent en de folles sarabandes. Revenant toujours sur son métier, estimant que rien n’est acquis définitivement, il se remet en cause, bouleverse ses schémas de pensées et observe son environnement avec une acuité acérée.

Danser pour conjurer le mauvais sort
Danse Macabre de Martin Zimmermann © Basil Stucheli
Danse Macabre de Martin Zimmermann © Basil Stucheli

Dans son théâtre de l’absurde, il manie l’autodérision avec virtuosité, travaille sans filet, sans texte, invente des personnages, des univers qui lui ressemblent, bien sûr, mais qui sonnent aussi le pouls du monde vu par un clown, un artiste à fleur de peau. Ainsi, Danse Macabre est né d’un regard jeté sur une photo qui montrait des oiseaux morts après avoir ingurgité trop de plastiques. « J’ai eu la vision d’une déchèterie, d’un plateau recouvert de plastique en tout genre, à laquelle s’est superposée celle des médecins vénitiens qui allaient masqués pour se préserver de la peste. En parallèle, je suis tombé sur un article qui expliquait qu’au Moyen-âge, les gens qui se savaient condamnés lors des grandes épidémies dansaient pour conjurer la mort. Petit à petit, tout cela a fait sens. » 

Fils spirituel des Chaplin, des Keaton, nourri aux vidéoclips de Michael Jackson et Madonna, l’artiste déploie une palette artistique des plus vastes, qui rend compte, à sa manière, de la diversité de l’humain. Il travaille déjà à son prochain spectacle, une pièce librement inspirée de l’univers de Louise Bourgeois. « Elle me fascine. La manière qu’elle avait de mettre en œuvre d’art ses traumatismes, la violence que les femmes subissent au quotidien, tout cela avec humour, dans une forme de pratique artistique très ludique. C’est d’ailleurs cette légèreté apparente qui l’a fait connaître. Sans jamais baisser les bras, les manches toujours relevées, elle affrontait les hommes, les galeristes, les musées. Elle a su s’imposer et rappeler que les femmes, en art, n’étaient pas seulement intelligentes, mais aussi plus drôles que les hommes. C’est un sacré personnage. Je n’aurais jamais osé m’emparer d’un tel projet avant. Je crois que je me suis enfin autorisé à essayer. » 

Entouré au plateau d’artistes comme Rosalbas Torres Guerrero, Berengère Bodin, Marianna De Sanctis et Eline Guélat, il esquisse par touches sa future création. Maintenant qu’il nous a mis l’eau à la bouche, que le charme a opéré, il ne nous reste plus qu’à patienter jusqu’en 2024 pour voir comment Louise Bourgeois va percuter l’œuvre de Zimmermann. Prochain rendez-vous : le Théâtre de la Cité internationale où, tout en nerfs, ce « petit suisse » déjanté, grand artiste bouillonnant, invite à entrer dans sa Danse Macabre… Allez faire un pas de deux avec lui. Vous ne pourrez résister à son charme aussi désopilant que sépulcral.

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Genève

Danse Macabre de Martin Zimmermann
Théâtre de la Cité internationale avec la collaboration du Centre culturel suisse
21 A boulevard Jourdan
75014 Paris
du 21 au 23 septembre 2023

Tournée
du 18 au 20 octobre 2023 au Maillon, Théâtre de Strasbourg
les 17 et 18 novembre 2023 au Barem Kulturhus / Menge Festival (Norvège)
les 13 et 14 décembre 2023 au Théâtre Winterthur – (Suisse)
les 23 et 24 mars 2024 au Théâtre du crochetan, Monthey (Suisse)  
Les 26 et 27 mars 2024 au Théâtre de Beausobre, Morges (Suisse)

Ciao Ciao de Martin Zimmermann
recréation au Théâtre Am Stram Gram
Rte de Frontenex 56
1207 Genève, Suisse
du 12 au 28 janvier 2024

Tournée
le 30 janvier 2024 au Théâtre du Jura – Delémont (Suisse)

1 – 2 mars 2024 au Jungspund Theater Festival, St. Gallen (Suisse)

Mr.Skeleton de Martin Zimmermann et  Augustin Rebetez
Film installation
Du 15 septembre au 3 décembre 2023 au Kunstmuseum Thun, Thun ( Suisse )

Teaser de Danse Macabre © Martin Zimmermann
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