Comment le théâtre est-il entré dans votre vie ?
Guillaume Cayet : Je viens du théâtre amateur. Mes parents avaient une petite troupe dans le Piémont vosgien. Mon père, instituteur, présentait des spectacles chaque hiver, et je suis monté sur les planches comme ça. Il y avait aussi Bussang, pas loin. On y allait l’été, et j’ai été marqué par la puissance des spectacles qu’on y voyait. Puis au lycée à Nancy, j’ai intégré une classe théâtre, huit heures par semaine, où j’ai découvert des auteurs contemporains comme Bond ou Koltès. J’écrivais déjà, mais pour moi, ou pour des spectacles d’amateurs. C’est là que j’ai commencé à écrire pour les autres, pour mes camarades.
Quand avez-vous commencé à relier écriture et mise en scène de manière plus professionnelle ?

Guillaume Cayet : En sortant de l’ENSATT à Lyon, en 2014, où j’étais dans la section auteur, j’ai co-fondé la compagnie Le désordre des choses avec Aurélia Lüscher. On travaillait alors de façon collective : j’écrivais, et on mettait en scène ensemble. Mais au fil du temps, nous avons eu chacun un besoin plus personnel qui s’est imposé. J’ai mis en scène Grès, seul. Et là, une forme de désir plus affirmé s’est exprimée. Aujourd’hui,je n’imagine pas que d’autres puissent s’emparer de certains textes. En revanche, une partie de mes écrits sont pensés pour d’autres metteurs en scène, comme Julia Vidit, avec qui je collabore depuis longtemps.
Vos textes sont traversés par une forte charge politique. D’où naît l’écriture chez vous ?
Guillaume Cayet : Très souvent d’une rencontre ou d’un sentiment d’injustice. Neuf mouvements pour une cavale, par exemple, est né de l’histoire de Jérôme Laronze, ce paysan tué après un contrôle sanitaire. La comparution prolongeait cette réflexion sur les violences d’État, nourrie par des échanges avec le sociologue anti-sécuritaire Mathieu Rigouste. J’ai besoin de ce double mouvement : un ancrage dans le réel – l’atelier, le terrain, la parole recueillie – et une lecture critique, théorique. Le Temps des fins est à la croisée de ces chemins : il naît d’une réflexion sur l’écologie, mais aussi d’une expérience de vie au contact du monde agricole. La compagnie a longtemps été installée dans une ferme, dans le Puy-de-Dôme, avec un paysan bio, partenaire de longue date. Ce lieu irrigue l’écriture.
Lorsque vous écrivez, pensez-vous immédiatement à la mise en scène ou laissez-vous d’abord le texte se déployer seul ?

Guillaume Cayet : J’essaie de ne pas figer les choses trop tôt. Si j’ai une idée scénographique trop précise, elle peut enfermer le texte. En revanche, j’ai souvent des images mentales liées aux corps, aux déplacements, à l’énergie du plateau. Pour Nos empereurs, que je crée en 2026 à la Comédie de Valence, je voulais traverser l’histoire coloniale avec un empereur qui ne mourrait jamais, pour faire théâtre de l’Histoire. Ce sont des mouvements dramaturgiques plus que des dispositifs visuels. Et j’écris aussi généralement en pensant aux acteurs et aux actrices. Leur présence, leur souffle, modifient ma syntaxe.
Comment travaillez-vous avec les interprètes, notamment sur une forme aussi vaste que Le Temps des fins ?
Guillaume Cayet : Le spectacle a été conçu en plusieurs étapes. J’ai écrit les trois parties séparément, puis on les a rassemblées. Au départ, cela faisait près de trois heures. Aujourd’hui, il dure deux heures. Je retravaille énormément en répétition. Le texte n’est jamais figé : on coupe, on redistribue, on affine. Ce qui m’importe, c’est de comprendre pourquoi un personnage parle à un moment donné. Le sens prime sur la forme. C’est un travail de précision sur scène, mais aussi de table, très nourri.
La musique semble également très présente dans votre processus. Elle accompagne l’écriture ?

Guillaume Cayet : Oui, constamment. J’écris toujours en musique, principalement en écoutant du rap et de la musique urbaine. Cela structure la scansion, le rythme intérieur du texte. Il y a dans ces musiques une pulsation, une urgence, qui me traversent. Elles créent une dynamique invisible dans l’écriture.
Comme vous l’avez évoqué plus haut, vous préparez actuellement Nos empereurs. Que pouvez-vous nous en dire ?
Guillaume Cayet : C’est une grande fresque sur la question coloniale, pensée comme une traversée, de 1895 à aujourd’hui. Elle sera créée en avril 2026 à la Comédie de Valence, où je suis membre de l’Ensemble Artistique. C’est un projet de longue haleine, comme souvent dans mon travail.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Le temps des fins de Guillaume Cayet
Création le 22 mai 2024 à La Comédie de Valence
Durée 2h35
Tournée
Du 12 au 17 mai 2025 Théâtre de la Cité internationale, Paris
Mise en scène de Guillaume Cayet
Avec Marie-Sohna Condé, Vincent Dissez, Mathilde Weil et la participation d’Achille Reggiani
Scénographie de Cécile Léna
Lumière de Kevin Briard
Création sonore d’Antoine Briot
Vidéo de Julien Saez
Costumes de Patricia De Petiville, Cécile Léna
Création masques de Judith Dubois
Collaboration artistique – Julia Vidit
Création musicale d’Anne Paceo
Avec les voix de Cynthia Abraham, Laura Cahen, Paul Ferroussier, Celia Kameni, Florent Mateo et Isabel Sörling
Avec la participation de Jazz Action Valence et Paul Ferroussier
Conseiller littéraire Jean-Paul Engélibert
Équipe artistique pour la version LSF Anthony Guyon, Lisa Martin, Géraldine Berger de la Compagnie ON OFF