Imaginé par Aina Alegre et Yannick Hugron, les tous nouveaux co-directeurs du CCN de Grenoble, comme une carte de visite géante de leur travail et de leur projet pour la structure, l’Impact Festival se déploie à travers toute la ville, s’invite aux musées, à la MC2, dans différents lieux publics et fait danser toutes générations confondues les Grenoblois enchantés de cette nouvelle ère artistique !
Étude 4 Fandango et autres cadences d’Anna Alegre © Nathalie Sternalski
De gros nuages blancs, gris, voilent le soleil. Attachés aux montagnes qui entourent la ville, ils dessinent des zébrures dans le ciel, des ombres dans les rues de l’ancienne capitale du Dauphiné. Devant le musée de Grenoble, Aina Alegre ouvre le bal d’un festival éclair – 24h chrono – en invitant les passants à prendre part à un training, à mettre en mouvement leur corps dans la joie, la bonne humeur. Après cette mise en jambe, l’artiste propose aux participants de la rejoindre sur les hauteurs de la cité, au musée Dauphinois. Dans une des cours de l’établissement, elle présente, en compagnie de son complice et binôme à la direction du CCN, Yannick Hugron, Étude 4 Fandango et autres cadences, pièce courte créée en 2021 dans le cadre du Vive le sujet ! au Festival d’Avignon. Ce n’est que le début d’une journée sous le signe de la danse, de la convivialité et du partage !
Sous les tableaux, la plage !
Dans le cadre des journées du patrimoine, le musée de Grenoble, situé au pied de la Bastille, ancien fort militaire qui surplombe la ville, s’associe à ce temps de la forte chorégraphie et convie les visiteurs à rencontrer de bien étranges Baigneurs, qui semblent tout droit sortis d’une œuvre de Picasso, de Léger ou d’une sculpture de Nikki de Saint-Phalle. Poupées géantes en maillots à rayures d’un autre temps, costumes de tulle plissé, silhouettes exagérément rondes, transforment les allées de l’institution, son patio, à l’orée de l’exposition consacrée aux dessins de Cy Twombly, en bord de mer. Ballon jaune à la main, serviettes bleues, les deux étranges créatures imaginées par le duo d’Yvan Clédat et Coco Petitpierre s’amusent à mimer au ralenti les différentes actions d’un couple à plage, jeux de balle, bronzette, etc.
Chaque création du duo de performeurs-plasticiens est une plongée dans un monde parallèle où le temps est suspendu. Les gestes sont mesurés, les pas sont lents. Et pourtant c’est tout un imaginaire qui se met en route dans la tête des spectateurs. Arrêt sur images, un baiser plein de tendresse partagé, les esprits s’enflamment. Ces êtres sans visage sont porteurs d’émotions, de sentiments. Il suffit de voir les regards pétillants ou gentiment effrayés des enfants au premier rang, pour se rendre compte de la force de cette proposition, tout en gestes retenus, en saynètes réjouissantes. Un moment ouaté plein d’un charme désuet, quasi intemporel qui fait un bien fou !
Des battles à gogo !
Un peu plus tard, en fin d’après-midi, sur le parvis de la MC2, autres partenaires de l’événement, un groupe d’une centaine de spectateurs fait la « ola » autour d’une quarantaine de hip-hopeurs, de. Breakers. C’est le temps des battles. Sous le regard de trois professionnels – Annelise Pizot, Noé Chapsal et Bananneria Capoeira – , qui en temps voulu feront la démonstration de leur grand talent, Grenoble into the Cypher, animé par l’association iséroise Nextape fait s’affronter filles, garçons de tous horizons. Et clairement comme le clame haut et fort, Tom Guichard, le monsieur loyal de la manifestation, « il y a du level ! »
Comme traverser par les beats et le vibes qui font vibrer les haut-parleurs, les participants se donnent à fond, multiplient les figures de styles. Torsions des corps, jeux de jambes rapides, bras virevoltants, c’est tout le lexique chorégraphique de la street dance qui s’exprime dans ces face-à-face joyeux et survoltés. À chaque passage, la température monte, mais voilà, il n’en restera qu’un ou une. C’est le game ! les dés sont jetés, que le meilleur gagne….
Corps à découvert
Au Pacifique CDNC, l’ambiance est diamétralement opposée. Après les cris, les encouragements d’un public en délire, place à la douceur d’une intimité partagée entre un ou une performeur.se. Musique douce, envoûtante, Ève Magot ménage ses effets. Ils sont multiples mais tous tournés vers le bien-être de l’autre. Sculpturale, vêtue d’une simple robe débardeur noire. Elle prend le temps de mettre en condition cet autre, pour qui dans quelques instants elle va danser dans le plus simple appareil. Rien de vulgaire, de racoleur, simplement un instant rare, singulier entre deux êtres, deux âmes.
Après avoir installé son spectateur unique dans une sorte de couche au plafond de verre. L’artiste se dévêtit, s’installe au-dessus. Aucune musique ne vient perturber cette communion, ce face-à-face, où l’un et l’autre s’abandonnent. Éve Magot, ou l’un des trois autres interprètes qui se partagent ce plateau translucide, offre son corps sous toutes les coutures sans pudeur certes, mais sans trivialité non plus. Le regard de l’hôte scrute cette peau dans les moindres détails, se pose sur tel tatouage, tel grain de beauté, s’en nourrit dans une sorte de contemplation hypnotique, de rêve doux à peine érotique. Plus politique que sexuel, le propos est ailleurs dans l’acceptation de l’autre, le don de soi. Véritable plongée dans deux intimités, celle de l’artiste, ainsi que dans la sienne propre, Le temps de rien touche au sensible, à l’humain. C’est beau, c’est troublant, c’est une expérience à vivre dans l’abandon le plus total et laisser les émotions déborder !
Soli mémoriels
À la MC2, Ruth Childs et Jan Martens présentent deux soli, le premier Fantasia est introspectif, l’autre un hommage vibrant à l’immense claveciniste d’origine polonaise Élisabeth Chojnacka, décédée à Paris en 2017. Chacun à sa manière déploie une écriture personnelle, une œuvre qui dit beaucoup d’eux-mêmes. Plongeant dans ses souvenirs d’enfance, la chorégraphe anglo-américaine, artiste associée du CCN, s’appuie sur de grands morceaux de musique classique qui ont bercé sa jeunesse pour esquisser un autoportrait perruqué plein de fantaisie. Une manière bien à elle de se présenter aux grenoblois.
Élisabeth Chojnacka a laissé une trace indélébile dans l’histoire de la musique contemporaine, en faisant du clavecin, un instrument de la création musicale contemporaine. Avec plus d’une centaine d’œuvres, écrites spécialement pour elle, elle reste encore aujourd’hui une artiste rare, une interprète de génie. Sa manière de parler de son art, d’attaquer les partitions avec une tendre férocité, ne pouvait qu’intéresser Jan Martens. Avec une belle humilité, il donne vie à quelqu’un de ses plus fameux enregistrements, en souligne l’agilité, la hardiesse, la fougue, la fulgurance. Comme porté par les sons cristallins, aigues, presque métalliques, le chorégraphe flamand habite le plateau et invite à découvrir cette femme d’exception, cette virtuose peu connue des non-initiés.
La nuit est tombée depuis un moment. À l’arrière de la MC2, au niveau du quai de déchargement d décor, Katerina Andreaou jette avec Rave to lament, les prémices d’une soirée qui s’annonce explosive. Gestes impulsifs, mouvements compulsifs, corps percutés par les musiques tout droit sortie d’une rave party des années 1990, elle entre en transes et invite le public à communier. Performance éphémère, singulière, elle annonce le DJ set à venir. Au bar de la MC2, le son électro pulse. Aymeric Bergada du Cadet est déjà aux manettes, il sera suivi de DouceSoeur et de Mensonges qui mèneront les festivaliers, nombreux, jusqu’à 3 heures du matin.
Véritable marathon chorégraphique, Impact Festival est une belle réussite. Les Grenoblois sont au rendez-vous, curieux de découvrir le tout nouveau duo à la tête du CCN. Sans trop s’avancer, la greffe semble avoir pris. Il ne reste plus qu’à Souhaiter à Aina Alegre et Yannick Hugron de continuer de faire des étincelles….
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Grenoble
Impact Festival
du 16 au 17 septembre 2023
CCN de Grenoble
MC2 de Grenoble
4 Rue Paul Claudel
38100 Grenoble