Aina Alegre et Yannick Hugron © Pascale Cholette

Aina Alegre – Yannick Hugron, un duo tout-terrain à la tête du CCN de Grenoble

À quelques heures du lancement de l'IMPACT Festival, Aina Alegre et Yannick Hugron évoquent leur projet pour le CCN de Grenoble.

Aina Alegre et Yannick Hugron © Pascale Cholette

Après l’ère Ouramdane-Bourgeois, le CCN de Grenoble retrouve une direction à deux têtes. Avec l’arrivée en janvier 2023 du binôme Aina Alegre, chorégraphe, et Yannick Hugron, danseur, l’institution s’ancre un peu plus dans le territoire et entend se fait écho des différents métiers qui composent l’art de la danse. Rencontre à la veille du de l’IMPACT Festival, événement qui ouvre la saison culturelle grenobloise.

© Pascale Cholette

Comment vous êtes-vous rencontrés ? 

Yannick Hugron : Avec Aina, nous avons fait connaissance en 2015. Nous étions tous les deux interprètes pour Jamais assez de Fabrice Lambert, présenté au Gymnase du Lycée Aubanel dans le cadre du Festival d’Avignon. Très vite, on s’est bien entendu. Nous avons commencé à échanger sur nos pratiques, notre métier. De fil en aiguille, nous sommes devenus amis. À cette époque, elle commençait à développer ses propres pièces. Ensemble, nous avons beaucoup parlé de ce que signifiait créer aujourd’hui et comment s’intégrer dans un système français, qui lui était encore étranger. Logiquement, nous avons eu l’envie de travailler ensemble. Ce fut chose faite, quand la SACD et le Festival d’Avignon lui ont proposée de participer à Vive le Sujet ! en 2020, qui en raison du covid a été décalé à l’année suivante. C’est ainsi qu’est né Étude 4, Fandango et autres cadences, notre première vraie collaboration. 

Qu’est-ce qui vous a donné envie de candidater ensemble au CCN de Grenoble ? 
Étude 4 Fandango et autres cadences d'Aina Alegre © Christophe Raynaud de Lage
Étude 4 Fandango et autres cadences d’Aina Alegre © Christophe Raynaud de Lage

Yannick Hugron : C’est vraiment une proposition qui vient d’Aina. Se produisant en France depuis quelques années, elle réfléchissait depuis un moment à la gouvernance de ces institutions, à la manière d’aborder aujourd’hui le soutien à la danse et à la création. Elle est donc venue me chercher, en proposant de postuler ensemble pour diriger le CCN de Grenoble. J’ai été très touché par sa demande d’autant que je trouvais intéressant que, pour une fois, un interprète soit intimement associé à ce type de poste réservé normalement à des chorégraphes. Je me suis beaucoup questionné sur ma légitimité, mais j’ai repensé à ce que j’observais depuis un moment dans le milieu de la danse, à la problématique pour un chorégraphe d’être à la fois dans le créatif et l’administratif. Il est souvent compliqué pour eux de mener de front la lourdeur des missions qui incombent aux CCN et de s’épanouir complétement dans leur travail artistique. Et je reste persuadé, sinon je n’aurais pas accepté de postuler avec Aina, qu’un interprète a complètement les compétences pour justement remplir les missions de ces institutions, notamment concernant le maillage territorial, la mise en place d’ateliers, de workshop, etc. J’ai commencé ma carrière à Grenoble aux côtés de Jean-Claude Gallotta, il était donc cohérent que je revienne travailler ici. 

Aina Alegre : j’ai découvert Grenoble en mars 2022 quand j’ai été sollicitée par le Pacifique CDCN et le musée dauphinois pour développer un projet in situ. Je ne connaissais pas du tout la ville. J’ai donc pris le temps de la découvrir, d’autant que cela coïncidait avec l’appel à candidature. J’ai voulu voir si je pouvais me projeter, si je pouvais comprendre son fonctionnement, sa diversité culturelle portée par des lieux emblématiques de la danse comme la MC2, l’Hexagone, le Pacifique CDCN, la Rampe, etc. Mais ce qui m’a tout de suite attiré, c’est le fort lien avec l’environnement, la nature, la montagne. Elle est partie intégrante de l’agglomération. Assez rapidement, j’ai eu l’intuition que c’était un élément qui devait faire partie du projet que je voulais défendre. 

Quelles en sont les grandes lignes ? 
This is not « an act of love and resistance » d’Aina Alegre © Phile Deprez
This is not « an act of love and resistance » d’Aina Alegre © Phile Deprez

Yannick Hugron : Elles sont indubitablement liées à nos deux métiers. L’important était pour nous de mettre en avant l’art chorégraphique sous toutes ses formes, ainsi que toutes les pratiques, tous les emplois artistiques et techniques qui œuvrent au développement et au déploiement de la danse, de la performance, de l’art chorégraphique dans ce qu’il a de plus large. Il était aussi important pour nous d’orienter notre projet vers les publics, de nourrir des relations plus étroites avec eux, d’aller sur le territoire à leur rencontre, de proposer des ateliers autour du travail du corps, des costumes, de la lumière, de leur permettre d’entrevoir ce qui se passe en coulisses. 

Aina Alegre : C’est un maillage subtil entre les missions du CCN et ce que nous nous voulions apporter à l’institution. Nous avons donc repensé la manière d’accueillir les résidences d’artistes, la façon d’où nous pourrions soutenir et accompagner plus efficacement la production et la diffusion des œuvres. Actuellement, les pièces chorégraphiques ont des vies, à de rares exceptions près, assez courtes. C’est donc quelque chose à laquelle nous souhaitons essayer de remédier. Si nous n’avons pas de mission de diffusion, avec Yannick, ils nous semblaient intéressant de poursuivre le travail fait par la direction précédente et de maintenir un temps fort, où l’on pourrait présenter artistes et œuvres. C’est que nous faisons avec l’IMPACT Festival, qui ouvre la saison. 

Vous êtes en poste depuis un peu plus de huit mois. Quel est votre ressenti entre ce que vous aviez imaginé et la réalité ? 
R-A-U-X-A d’Aina Alegre © Jan Fedinger
R-A-U-X-A d’Aina Alegre © Jan Fedinger

Aina Alegre : nous sommes passés par plusieurs étapes. Dans un premier temps, en tant que chorégraphe, j’ai beaucoup réfléchi à la manière dont je pouvais utiliser tous ces outils à ma disposition, non pas pour moi, mais pour diffuser l’art chorégraphique. En tant qu’artiste, ce type de structure est essentiel. Nous avons besoin de lieux où l’on peut réfléchir, travailler, créer. Je me suis premièrement questionnée sur la meilleure façon de répondre aux besoins actuels des artistes. Puis est venu le temps de trouver comment rendre visible un espace, qui n’a pas de lieu propre, qui est hébergé par une autre structure, comment montrer au public la diversité des métiers liés à l’art chorégraphique. Avant d’arriver nous avions beaucoup d’idées, un projet ambitieux qui se voulait le plus large possible, il a fallu donc rapidement s’atteler à le mettre en place, à attaquer tous les fronts en même temps.  

Yannick Hugron : Très vite, nous avons dû nous mettre en lien avec les autres structures du territoire, pour évoquer la meilleure manière de travailler ensemble. Nous avons dû combiner héritage et ambition propre, et nous adapter à une maison déjà en marche. Il était donc important de prendre le temps de rencontrer l’équipe en place, de voir comment nous pouvions avancer de concert. Puis nous avons pris le pouls de la ville, essayer de mieux cerner les besoins des chorégraphes locaux comme internationaux, les nécessités réelles en danse du territoire. 

Dans quelques heures, le festival Impact va être lancé. Comment l’avez-vous pensé ?
Le Temps de Rien D'Ève Magot © Vincent VDH
Le Temps de Rien d’Ève Magot © Vincent VDH

Yannick Hugron : Ce nouveau temps fort s’appuie sur les fondations d’un événement qui existait déjà et s’appelait le Grand Rassemblement. Il était très important de garder ce moment à part dans la saison, car il fait le lien avec le public, avec la ville. Nous en avons repensé les contours. Avec Aina, nous souhaitions lui donner une dimension de traversée. C’est pour cette raison que nous l’avons concentré sur 24 heures durant lesquelles les festivaliers peuvent se confronter à des esthétiques très différentes. 

Aina Alegre : Nous avons surtout voulu lui donner une autre identité artistique plus en lien avec nos propres aspirations. L’IMPACT festival est donc né de notre désir de favoriser la rencontre entre les œuvres, les artistes et le public. Nous nous sommes donc concentrés sur ce que signifie recevoir une œuvre chorégraphique dans l’espace public, sur une place, dans un musée, dans une salle de spectacle… Et comment la perçoit-on le jour, la nuit, si on est seul ou des dizaines face à l’œuvre, si on est partie intégrante de la proposition ou juste observateur…. Soirée DJ set au rythme des sons électro de Aymeric Bergada du CadetDouceSoeur et Mensonges, œuvre intimiste pour un spectateur, comme la performance d’Ève MagotLe temps de rien, training, workshop, pour permettre une mise en corps et en mouvement du public sont les principaux moments qui composent la programmation de ce temps fort.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de présenter Etude 4, Fandango et autres cadences, pièce qui vous réunit tous les deux au plateau ? 

Aina Alegre : nous ne sommes pas encore connus du public grenoblois, il était donc évident que nous devions nous présenter, non seulement en tant que personne, mais aussi qu’en tant artiste. Par ailleurs, c’est l’une de mes rares pièces qui peut très bien fonctionner dans un espace muséal. C’était aussi une manière de poursuivre la collaboration amorcée, il y a plus d’un an, avec le musée dauphinois. C’est une première approche. Dans le courant de la saison, les spectateurs pourront aussi découvrir à la MC2, R.A.U.X.A et This is not « an act of love and resistance » une pièce que j’ai créé en 2022. Ce sont des rendez-vous importants, qui vont permettre petit à petit de faire connaissance avec les habitants. Par ailleurs, je travaille aussi à la mise en place en juin prochain de la reprise de Parades & Désobéissances, que j’ai présentée au Festival de Marseille cet été. 

À votre projet, y a-t-il des artistes associés ? 
Fantasia de Ruth Childs © Marine Magnin
Fantasia de Ruth Childs © Marine Magnin

Aina Alegre : pour les deux années à venir, c’est-à-dire jusqu’à 2025, nous avons décidé de nous associer avec l’Anglo-américaine Ruth Childs, qui présente d’ailleurs lors du festival, son solo Fantasia. Tout au long de cette collaboration, elle sera à nos côtés notamment pour faire un travail sur le territoire. Puis nous avons déjà choisi, celui qui lui succédera. Ce sera Jan Fedinger, artiste visuel spécialisé tout particulièrement dans les lumières. Il permettra notamment de mettre en avant tout le volet concernant les métiers autour de l’art chorégraphique. 

Yannick Hugron : Sa présence est d’autant plus intéressante qu’au-delà de son propre travail, il collabore à de nombreux projets artistiques. Ce qui nous permettra de faire venir d’autres chorégraphes. Cela est aussi un moyen de requestionner le rôle, la place de l’artiste associé dans une maison tel qu’un CCN, de s’interroger sur toute la partie pédagogique de nos missions. 

Quand est-il des artistes en résidence ? 

Yannick Hugron : Tout au cours de l’année, nous accueillerons sept artistes et leur équipe en résidence. Nous sommes en train d’étudier les dossiers et voir à quel endroit nous sommes le plus utiles. Nous avons reçu de nombreuses sollicitations, l’objectif est de faire en sorte que les projets que nous recevrons correspondent à ce que l’on essaye de construire pour le CCN, un pôle pluridisciplinaire. 

Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore 

IMPACT Festival
Du 16 au 17 septembre 2023
CCN de Grenoble
4 Rue Paul Claudel, 38100 Grenoble

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