L’auteur belge francophone Alex Lorette fait jaillir de son écriture une réflexion sur le harcèlement, cette haine que les jeunes retournent trop souvent contre l’un des leurs. Marie Gaultier s’est emparé de ce texte saisissant pour nous proposer une machine à jouer redoutable autour d’un sujet des plus actuels.

© Romain Mulochau

Camille a quinze ans. Elle est mal dans sa peau et timide. Mais n’est-ce pas le lot de tous les adolescents ? Le passage de l’enfance à cette période où l’acné fait des ravages n’est pas aisé. En soi, Camille est une jeune fille comme les autres ! Alors pourquoi, comme Marion 13 ans, a-t-elle été désignée comme tête de turc ? Pourquoi, une bande de « petits cons », se prenant pour les merveilles du monde, a-t-elle besoin de martyriser un plus faible ? Qu’avait ce vilain petit canard de différent ? Rien. Et même si elle en avait, en quoi ça gêne ? Ils la traitent de moche, de grosse, de sale cochonne… Mais pourquoi la brebis galeuse désignée par le groupe n’a-t-elle pas réagi et s’est-elle laissée martyriser ? Le groupe sait reconnaître le faible et n’attaque pas au hasard…

On ne doit pas mourir à quinze ans !

C’est là que l’auteur ajoute une métaphore formidable, en mettant en parallèle l’histoire d’Albi, une petite truie albinos. La nature n’aime pas la disharmonie ! Ses congénères l’ont exclu de l’auge parce qu’elle n’est pas viable. Pourtant, jusqu’à l’abattoir, la petite cochonne va se battre et prouver la force de sa différence.

Marie Gaultier intervient régulièrement dans les établissements scolaires où elle apporte aux lycéens les bienfaits du théâtre. En cherchant un texte à leur faire travailler, elle déniche la pièce d’Alex Lorette, qui n’a jamais été montée en France. La matière est tellement belle qu’elle s’en empare pour offrir à un public d’adolescents, mais également aux adultes, cette œuvre contemporaine « en lien direct avec leurs préoccupations et leur quotidien ».

Une écriture efficace

En s’adressant à eux, la metteuse en scène a conçu son spectacle de telle manière qu’elle peut le présenter dans divers lieux, allant de la salle de théâtre à la salle de sport. Il est donc toute sa place dans la salle de la Maif, dans le cadre de sa programmation au Train Bleu pendant le Off d’Avignon.

Sur scène, trois filles et un garçon. Ils incarneront Camille tour à tour. Cette idée est géniale, car la jeune fille prend ainsi plusieurs visages, plusieurs corps et attitudes physiques. Cette représentation souligne la diversité des victimes. Les mêmes comédiennes et comédien se glissent dans tous les personnages qui composent l’histoire — la bande, la mère, le directeur de l’école, l’amie imaginaire et bien évidemment les petits cochons. C’est un véritable tourbillon dans lequel on se laisse porter aisément. Le ton est celui de l’humour. Il permet non pas de prendre une distance, mais de recevoir comme une gifle tout ce que l’auteur souligne sur cette cruauté gratuite.

L’énergie de la jeunesse

Avec ses portiques métalliques mouvants qui inscrivent les lieux, ses costumes accrochés à des esses de boucher et qui, dès que les artistes les enfilent, dessinent le personnage, la mise en scène est une totale réussite. Manon Charrier, Benjamin Lamy Berrué, Alice Le Bars et Zélie Thareaut, sortis récemment des conservatoires de région d’Angers et de Nantes, ont du talent à revendre. On leur souhaite une belle carrière.

Marie-Céline Nivière – Envoyée spéciale à Avignon

Mouton noir d’Alex Lorette
Festival Off Avignon – Théâtre du Train Bleu
La Maif
139 avenue Pierre Sémard 84000 Avignon.
Du 7 au 26 juillet 2023 à 11h30, relâche les 13 et 20 juillet.
Durée du spectacle 1h30, (2h20 avec le trajet A/R gratuit en navette depuis le TTB).
À partir de 12 ans.

Conception et mise en scène Marie Gaultier.
Avec Manon Charrier, Benjamin Lamy Berrué, Alice Le Bars, Zélie Thareaut.
Lumière de Natalie Gallard.
Musique d’Arnaud Coutancier.
Régie d’Alexandre Mornet et Romain Mulochau.
Texte édité chez Lansman.