Après la répétition / Persona de Bergman, Mise en scène d'Ivo Van Hove © Marie Clauzade
© Marie Clauzade

Au Printemps des comédiens, Ivo Van Hove met le théâtre face à son miroir 

À Montpellier, le metteur en scène néerlandais ouvre la 37e édition du Printemps des comédiens, en remontant en langue française, dix ans après leur création, deux scénarios d’Ingmar Bergman ayant pour point commun la mise en abîme de l’art dramatique.

Le domaine d’O est en fête. Le public, en grand nombre, est venu investir la pinède qui borde le théâtre Jean-Claude Carrière et l’amphithéâtre. Plus une table n’est libre. Les conversations vont bon train. Les mines sont réjouies, détendues. Il y a quelques heures à peine sous un soleil de plomb, le coup d’envoi de la 37e édition du Printemps des Comédiens vient d’être donné par son directeur Jean Varela. Pour ouvrir le bal d’une programmation autant éclectique qu’alléchante, il souhaitait mettre en lumière une production maison, la (re)création par Ivo Van Hove du diptyque Bergmanien, Avant la répétition/Persona. Fasciné par l’œuvre du cinéaste suédois dont il a déjà monté en 2005 les Scènes de la vie conjugale puis, en 2009, Cris et chuchotements, le directeur artistique du Toneelgroep Amsterdam plonge à nouveau dans son univers fait de tensions et de troubles, mais cette fois avec une distribution française. 

Les tourments de l’âme humaine
Après la répétions / Persona d'Ingmar Bergman - Mise en scène d'Ivo Van Hove © Marie Clauzade
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Comme toujours chez Bergman, il est question de fantômes, de passé venant tourmenter le présent, d’âmes torturées, d’emprise et d’amours houleuses. L’atmosphère est toujours lourde, pesante, insidieuse. Une matière qu’Ivo Van Hove aime travailler, porter au plateau avec distance, distillant ainsi froidement, imperceptiblement le poison de la folie, de la prédation, de manipulation. En faisant se répondre dans un face-à-face oppressant Avant la répétition, scénario écrit en 1984 pour la télévision, et Persona, film sorti en salles en 1966le metteur en scène invite à une plongée apnéique au cœur d’une nature humaine exaltée, celle des artistes, des gens de théâtre. 

Sur le papier, cette balade dans les coulisses et les méandres d’une profession de paraître à tout pour séduire et emporter, d’autant que la version néerlandaise, présentée notamment en 2013 à la Maison de la Culture de Créteil, avait fait sensation. Dix ans ont passé, le monde a changé, Ivo Van Hove n’est plus l’artiste rare qu’il était à l’époque sur les scènes françaises. En collant au présent sa mise en scène d’hier sans changer de point de vue, de déplacement ni d’intention, il s’enferme dans un schéma récurrent qui manque d’un souffle nouveau, d’une impulsion en écho aux temps actuels.

Berling et son double

Quand on pénètre dans l’amphithéâtre, Charles Berling, qu’Ivo Van Hove avait mis en scène en 2017 dans le percutant Vu du pont d’Arthur Miller, est déjà sur scène. Confortablement installé dans un canapé blanc défraîchi depuis longtemps, il ne perçoit pas l’agitation qui l’entoure tant il est absorbé par la lecture du texte du Songe d’August Strindberg, pièce que son personnage est en train de monter. Comédien et metteur en scène lui-même, il joue, en se glissant dans la peau de ce directeur de lieu, artiste de renom ciselé par Bergman, de la perméabilité entre fiction et réalité et crée l’illusion. Avec l’arrivée d’une jeune comédienne (Justine Bachelet, vue récemment à l’Odéon dans La Ménagerie de verre aux côtés d’Isabelle Huppert) à qui il a confié le rôle principal, l’atmosphère se tend. La loge grise et impersonnelle devient un terrain de bataille, un huis-clos étouffant hanté par les spectres du passé, des sentiments amoureux confus et des jeux malsains de séduction, de pouvoir, de chantage et de manipulation. Encore fragile en ce soir de première, cet Avant la répétition est certes de belle facture, mais micros mals réglés, manque de recul face à l’actualité et jeu désaccordé entre voix et corps n’arrivent pas à embarquer tout à fait. 

Bercot en prise avec ses démons

Après l’entracte, une chaise et une table meublent la déshérence d’une scène nue. En fond de plateau, la porte s’ouvre. Deux femmes en sortent, l’une en peignoir, l’autre en tenue passe-partout. Le ton est donné. Nous sommes dans une clinique psychiatrique. Après une représentation d’Électre, une comédienne de renom (intense Emmanuelle Bercot) s’est enfermée dans une forme de mutisme stérile. Son infirmière, la candide Alma (Justine Bachelet) va tout faire pour la sortir de cet état catatonique et tenter de comprendre l’élément qui a déclenché cette crise aigüe. Mettant l’acteur, en l’occurrence les deux actrices, au cœur de sa création, Ivo Van Hove signe une œuvre vertigineuse autant que clinique qui mène au bord du précipice et de la folie. 

Nue, offerte en pâture à tous les regards, allongée tel un corps mort sur une table d’autopsie, Emmanuelle Bercot habite avec fièvre et fragilité ce double en proie à ses propres tourments. Irradiante, elle ne fait qu’un avec son personnage. Plus cérébrale qu’Avant la répétitionPersona se déplie tel un poème visuel et minimaliste. Lumières blafardes, miroir d’eau enserrant la scène empêchant tout échappatoire à ce duo féminin, où on finit par ne plus savoir qui, de la patiente ou de la soignante, vampirise l’autre, Ivo Van Hove et son fidèle scénographe Jan Versweyveld triturent jusqu’à l’os l’œuvre de Bergman et offrent une succession d’images cinématographiques aussi sublimes que sidérantes.

Est-ce l’adaptation (le texte a été traduit en français par Daniel Loayza) façon copier-coller, ou le jeu très différent entre les actrices néerlandaises et françaises, difficile à dire, mais la magie n’opère pas comme en 2013. L’uppercut est moins… percutant. Cette recréation laisse sur sa faim. Espérons qu’avec le temps, les échos du monde franchissent l’espace scénique et donnent à ces deux chefs-d’œuvre de Bergman, toute la densité dramatique qu’ils méritent. 

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Montpellier

Après la répétition / Persona d’Ingmar Bergman
Printemps des comédiens
Amphithéâtre
Domaine d’O
178 Rue de la Carriérasse 
34090 Montpellier
Jusqu’au 4 juin 2023
Durée 3h environ avec entractre

Tournée 
du 28 septembre au 1er octobre 2023 à Châteauvallon-Liberté – Scène Nationale, Toulon
du 6 au 25 novembre 2023
 au Théâtre de la Ville, Paris
les 6 et 7 décembre 2023
 à Points communs – Nouvelle Scène Nationale de Cergy-Pontoise et du Val d’Oise, Cergy
les 22 et 23 mars 2024
 à La Filature – Scène Nationale de Mulhouse
les 11 et 12 avril 2024
 à la MC2 : Grenoble
les 16 et 17 mai 2024
 au Volcan- Scène Nationale du Havre

Mise en scène d’ Ivo van Hove assisté de Matthieu Dandreau
Avec Emmanuelle Bercot, Charles Berling, Justine Bachelet et Elizabeth Mazev
Dramaturgie de: Peter van Kraaij
Traduction de Daniel Loayza
Scénographie et Lumieres de Jan Versweyveld 
Costumes d’An D’Huys 
Conception Sonore de Roeland Fernhout 
Assistant Lumières – Dennis van Scheppingen 
Assistant décors et scénographie – Bart Van Merode
Assistante costume-: Anna Gillis, Sandrine Rozier
Directeur Technique – Nicolas Minssen
Directeur Technique Adjoint –  Matthieu Bordas  
Administration Technique – Anne Puccinelli
Régisseur général : William Guez
Régisseuse lumière : Cathy Gracia
Régisseur plateau : Jérémie Angouillan
Régisseur son : Samuel Pionnier
Régisseur vidéo : Pierre Vidry
Accessoiriste : Sébastien Grange
Habilleuse : Lucie Lizen
Maquilleuse/Perruquière : Marine Piette

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