Ma forêt fantôme © Corinne Marianne Pontoir

En plein cœur de la Forêt Fantôme de Denis Lachaud

Au Théâtre de Belleville, Vincent Dussart s’est emparé du texte de Denis Lachaud, rappelant à notre souvenir ce fléau qui raya de la carte des vivants toute une génération qui ne demandait qu’à vivre.

Ma forêt fantôme © Corinne Marianne Pontoir

Après le Festival Off d’Avignon, Vincent Dussart s’installe au Théâtre de Belleville avec Ma forêt fantôme de Denis Lachaud, rappelant à notre souvenir un fléau qui raya de la carte des vivants toute une génération qui ne demandait qu’à aimer et vivre.

Après La Magie lente, où il explorait les vérités enfouies dans le subconscient à travers le viol, Déraisonnable, sur la bipolarité, et Jubiler, sur la construction d’un amour après cinquante ans, Denis Lachaud revient sur les années Sida. Sa pièce est construite en plusieurs strates. Car lorsque la maladie et la mort s’installent, tout est bouleversé. Il y a donc l’histoire de Jean et celle de sa sœur. Tous les deux y sont confrontés : pour lui, c’est le Sida, pour elle, Alzheimer dont est atteint son époux. Ils doivent faire face avec leurs mots et leurs silences. Difficile lorsque l’on est issu d’une famille où les gestes de tendresse n’ont pas été appris.

Que sont mes amis devenus ?
Ma forêt fantôme de Denis Lachaud - mise en scène de Vincent Dussart © Corinne Marianne Pontoir
© Corinne Marianne Pontoir

Il y a le parcours de vie de Jean. Parcours qui s’est vu modifié au fil des décès dus au Sida, celui de ses amis et surtout de son compagnon, Nicolas. Jean est celui qui vit encore, entouré d’une forêt de fantômes. Il est séropositif depuis le tout début de l’épidémie, mais la maladie n’a pas eu raison de lui. Comment vivre avec cette idée d’avoir eu la chance que tant d’autres non pas eu ? C’est pour cela qu’il garde bien au chaud ce carnet où sont inscrits le nom et les dates de naissance de toutes ses connaissances disparues. Sa lecture des noms, telle une litanie, est bouleversante. Par la voix de Jean, l’auteur fait revenir à notre présent ces anonymes du passé, permettant ainsi aux plus anciens dans la salle de faire leur propre devoir de mémoire.

Le récit est construit à partir de flash-backs qui se répètent. Le principe peut surprendre, mais il permet de comprendre ce qui s’est vraiment passé. Ce qui a été dit et ce qui a été tu. Cela fait sentir cette complexité des rapports entre le frère et la sœur, entre l’époux de celle-ci et Nicolas. On sent alors cette solitude dans laquelle Jean se trouve enfermé. On retiendra la scène finale, où l’avenir se fait promesse d’un bonheur retrouvé. Car parler des morts, c’est chercher une consolation, mais aussi retrouver l’espoir.

Une mise en scène vivifiante`
Ma forêt fantôme © Corinne Marianne Pontoir
© Corinne Marianne Pontoir

Vincent Dussart, défendu par le Groupe des 20 Théâtres en Île-de-France, s’est emparé de ce texte avec talent. Il a le sens des images. Avec ses couleurs rouge et or, ses pétales qui tombent sur le plateau, son dispositif scénique est impressionnant. Comme il est beau, ce parterre de fleurs suspendu tel un lustre au plafond, qui oblige les protagonistes à lever les yeux lorsqu’ils se recueillent ! C’est en relevant la tête que l’on avance ! Sa direction d’acteurs est également formidable. Le corps y a tout autant sa place que la parole. Et quelle belle idée d’avoir rajouté ce personnage énigmatique, haute stature au crâne rasé et au torse nu, juché sur ses talons. Patrice Gallet, tel le fantôme d’un faune sorti de ces années Palace, accompagne le recuit de sa guitare et de ses chants.

Des personnages inspirés

Dans le rôle de Jean, l’instituteur sérieux et dévasté par la tragédie de son époque, Xavier Czala est admirable. Son émotion à fleur de peau s’additionne subtilement à l’expression d’une rage de vivre. Sylvie Debrun, que l’on a pu voir récemment dans l’Antigone de Laurent Hattat et Emma Gustafsson, est parfaite dans le personnage de cette femme qui n’a jamais su s’effacer face à son mari. Ce dernier, droit et implacable, est très finement incarné par Patrick Larzille. Sans jamais tomber dans le pathos et se révélant d’une belle sensibilité, Gautier Boxebeld donne toute son émotion au personnage de Nicolas. La scène où il expose sa peur de mourir est remarquable. On sort de ce spectacle secoué d’émotions, mais surtout avec une irrésistible envie de vivre.

Marie-Céline Nivière

Ma forêt fantôme de Denis Lachaud
Théâtre de Belleville
16, passage Piver
75011 Paris.
Du 9 au 30 avril 2023.
Lundi à 19h, mardi à 21h15, dimanche à 17h.
Durée 1h20.

Mise en scènede Vincent Dussart.
Avec Gautier Boxebeld (en alternance avec Guillaume Clausse), Xavier Czapla, Sylvie Debrun, Patrice Gallet et Patrick Larzille.
Scénographie, costumes et lumières d’Anthony Pastor et Rose-Marie Servenay.
Chorégraphie de France Hervé
Musique de Patrice Gallet.

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