Antigone © Jérôme Lefèvre

Toujours aussi vivace, le « non » d’Antigone continue de résonner

Qui est mieux placé qu’Antigone pour parler aux jeunes de la cité et des cités, au citoyen que nous sommes !

Antigone © Jérôme Lefèvre

Mêlant théâtre et danse, la parole et le corps, Laurent Hatat et Emma Gustafsson réveillent la pièce de Sophocle et renvoient les problématiques soulevées par Antigone au cœur de notre époque.

© Jérôme Lefèvre

Le malheur, Antigone le connaît bien. Pas facile d’être de la famille des Labdacides ! Tout n’y est que drame. Son père Œdipe a épousé Jocaste, qui n’est autre que sa propre mère ! Apprenant l’horrible vérité, il s’en crève les yeux. Ses deux frères, Polynice et Etéocle, chacun fort de son droit à régner sur Thèbes, se sont entretués. Et voilà que son oncle Créon, devenu roi, décide que le traître Polynice n’aura pas de sépulture. Devant l’injustice de cet ordre, Quitte à y laisser sa vie, Antigone va passer outre l’interdit royal et faire vaciller le pouvoir. Lorsque celui-ci cède, c’est trop tard, le drame est joué.

La désobéissance civile
Antigone de Sophocle - Mise en scène de Laurent Hatat  © Jérôme Lefèvre
© Jérôme Lefèvre

Qui est mieux placé qu’Antigone pour parler aux jeunes d’hier et d’aujourd’hui, aux citoyens que nous sommes ! Car elle est cette jeune femme qui osa défier l’autorité contre l’injustice. Parce qu’elle refuse le bonheur que lui impose une société dont elle n’accepte pas les codes, elle a choisi de résister. Ce personnage vieux de plus de 2 500 ans n’a rien perdu de sa force juvénile pour dire au monde son refus. Anouilh l’avait fort bien compris. Créée en pleine Occupation Allemande, sa version de la tragédie de Sophocle faisait écho à la Résistance. Aujourd’hui, en ces temps de troubles que traversent notre époque, la Compagnie Anima Motrix se sert de la pièce pour questionner notre rapport à la loi, à l’obéissance, à la foi, à la différence, à la filiation et à l’amour.

La nouvelle traduction d’Irène Bonnaud et Malika Hammou est remarquable. Les mots nous parviennent sans l’entrave de la poussière du passé. Et quelle bonne idée d’avoir commandé à l’autrice Julie Ménard d’y apporter sa touche, que l’on retrouve surtout au service du chœur. Une ouverture pour une compréhension accessible à ce qui est raconté. Les spécialistes y reconnaîtront même des références à Anouilh. La musique a son importance. Accompagnant, la tragédie, l’œuvre de Laurent Pernice, de toute beauté, envoûte assurément.

Le sang et les ténèbres
Antigone de Sophocle - Mise en scène de Laurent Hatat © Jérôme Lefèvre
© Jérôme Lefèvre

Les rideaux rouges se lèvent et s’envolent telles des voiles, laissant apparaître un plateau nu à perte de vue, éclairé par un subtil jeu de lumières, signé Anna Sauvage. Le sol est couvert d’une cendre noire sous laquelle transparaît un sol rougeoyant. Les pas des artistes y creusent les sillons de la tragédie qui se jouent devant nous. On songe à la lave d’un volcan prêt à l’éruption. Les acteurs et actrices sont vêtus d’un simple pantalon et d’un tee-shirt, comme ceux que l’on porte au quotidien. Ils apparaissent groupés, formant ainsi le chœur, chacun s’en détache lorsqu’il doit incarner son personnage. Ce traitement chorégraphique du groupe produit son effet. Soulevant ainsi l’importance de faire corps face à l’adversité. Le mélange des genres, danse et théâtre, permet une fluidité aux sentiments exprimés.

Une troupe au diapason

Mathilde Auneveux incarne une Antigone à la fois fragile et déterminée. Si tout tourne autour du choix de son acte, elle n’est pas ici placée sur le piédestal de l’égérie. Avec son allure de garçon manqué, elle ne manque ni de charme ni de sensibilité. La délicieuse Flora Chéreau est tour à tour la belle et douce Ismène et la magnifique Eurydice. Avec la grâce d’un grand danseur et le talent d’un grand comédien, Samir M’Kirech donne à Hémon une force touchante. Dans le rôle du vieux Tirésias, Bouba Landrille Tchouda est excellent. Quant à Claire-Lyse Larsonneur, qui interprète plusieurs rôles, l’étendue de sa palette de jeu est étonnante. Elle est impayable de drôlerie en garde dépassé par les événements.

Quant à Créon, sans qui Antigone ne serait pas ce qu’elle est, le choix de le faire jouer par une comédienne peut surprendre au début. Il est le pouvoir, celui imaginé par un monde fait par les hommes. Il est totalitaire, intransigeant et surtout misogyne. Sylvie Debrun est d’une droiture et d’une sincérité telles, qu’une fois la surprise passée, on en oublie que c’est une femme. Cela donne à la scène finale, lorsque Créon a compris son malheur et laisse parler son cœur, des accents bien prenants. La carapace de mâle est tombée, sa vulnérabilité féminine, peut apparaître.

L’entrelacement du corps et de la parole

Après Histoire de la violence et Le corps utopique, Laurent Hatat et Emma Gustafsson poursuivent leur complicité artistique en nous proposant un spectacle fort qui nous rappelle ce que nous sommes, des êtres libres et que comme Antigone nous devons encore oser de dire : Non ! Après un passage à la scène nationale du Trident de Cherbourg, où nous avons assisté à une représentation, le spectacle s’installe pour quelques dates au centre dramatique du Théâtre du Nord à Lille avant de partir en tournée à l’automne prochain.

Marie-Céline Nivière – Envoyée spéciale à Cherbourg

Antigone de Sophocle
Théâtre du Nord
4 place du Général de Gaulle
56026 Lille.
Du 29 mars au 1er avril 2023
Durée 1h40.

Conception et mise en scène Emma Gustafsson & Laurent Hatat,
assisté à la mise en scène par Mathias Zakhar
Traduction Irène Bonnaud et Malika Hammou,
augmentée de textes commandés à Julie Ménard
Avec Mathilde Auneveux, Flora Chéreau, Sylvie Debrun, Bouba Landrille Tchouda, Claire-Lyse Larsonneur, Samir M’Kirech.
Création musicale de Laurent Pernice.

Création lumière d’Anna Sauvage.
Régie générale et plateau de Roméo Rebiere.
Régie son de Marie Mouslouhouddine.

Crédit photos © Jérôme Lefèvre.

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