Ma Jeunesse exaltée, Olivier Py © Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon

Ma Jeunesse exaltée d’Olivier Py, la pesanteur et la grâce

Tournée de Ma Jeunesse exaltée, spectacle-somme insolent, créé pour sa dernière année à la tête du Festival d'Avignon, par Olivier Py.

Ma Jeunesse exaltée, Olivier Py © Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon

Pour sa dernière année à la tête du Festival d’Avignon, Olivier Py crée Ma Jeunesse exaltée, spectacle-somme dans lequel un arlequin et un poète se font les reflets contradictoires de l’auteur. Provocatrice, indécise et insolente, la pièce nous relâche après dix heures avec une certitude : quelque chose bouge.

C’est l’un des événements de ce 76e Festival d’Avignon, d’une part parce qu’elle célèbre la dernière année d’Olivier Py à la tête du festival, d’autre part parce que sa durée — huit heures sans les entractes — la classe parmi les deux pièces-fleuve de cette édition, aux côtés du beau Nid de cendres de Simon Falguières. Ma jeunesse exaltée réitère (avec quand même quatorze heures en moins) le format colossal de La Servante, première pièce avignonnaise de l’auteur et metteur en scène, créée en 1995 dans ce même gymnase du lycée Aubanel. Elle va même jusqu’à lui emprunter son décor modulable en bois verni, réemployés avec succès par le scénographe Pierre-André Weitz.

Le poète et sa muse
Ma Jeunesse exaltée, Olivier Py © Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon

Dans un petit lit aux draps défaits se rencontrent Arlequin et le poète Alcandre, amants liés par une dépendance mutuelle archétypale : d’un côté, la jeunesse muse, vitalité retrouvée de l’écrivain échoué ; de l’autre, la figure tutélaire retrouvée d’un orphelin, indispensable regard aimant. Arlequin livre des pizzas pour gagner sa croûte, mais sa place est ailleurs, dans la poétique, qui n’est pas seulement le poème, mais qui est une manière de vivre, s’accomplissant dans une suite de « canulars » fomentés avec Alcandre dont les victimes seront l’Église, la politique et le grand capital. Soit un destin messianique de sauveur du théâtre, avec quatre jeunes comédiens pour apôtres.

Avec ses mille costumes à losanges (certains pailletés, un autre en noir et blanc), Arlequin apparaît comme un démon, une créature surréaliste dont jaillit en continu un filet de fluides, bave, morve, sueur et sperme, traversé d’un tressaillement incessant de la première heure à la dixième. Bertrand de Roffignac est impressionnant dans cette performance, qui ne se résume pas à une démonstration de force. Il incarne la secousse de la pièce, le geste de Py agitant les restes de sa propre œuvre et de celles des grands (Virgile, Shakespeare, Rimbaud) pour voir si peut encore en sortir quelque chose qui serait capable de se dresser contre le cynisme ambiant.

Machine abstraite
Ma Jeunesse exaltée, Olivier Py © Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon

Ce n’est pas pour rien qu’Olivier Py a fait enfiler à son protagoniste le costume de ce personnage bouffon et populaire. L’Arlequin de la pièce est un prisme, une machine abstraite à travers laquelle les matières théâtrales passent comme des humeurs, et qui fait exister autant de régimes dramaturgiques : le manifeste, la poésie, la satire, la tragédie, etc. Il déroule çà et là une logorrhée-signature prise dans ses raisonnements sans fin, à la recherche d’une pensée à prescrire pour se sauver sans jamais pouvoir s’arrêter sur une conclusion satisfaisante. À d’autres endroits, le texte devient pamphlétaire, voire limite démago, comme ce discours sur le théâtre populaire, un peu péremptoire, dans l’incohérence duquel Py se prend les pieds.

La pièce brille lorsqu’elle verse dans la satire la plus franche, avec une table réunissant un évêque, un ministre (de la culture) et un président (représentant du capital) autour de mets cannibales — cœur, cerveau, phallus. Ce jeu de massacre, aussi purement jouisseur qu’allégorique, résonne comme un bel hommage à toute une tradition de comique grotesque, vil et carnavalesque dont Arlequin est l’un des symboles. Ici, la vilaine Cène, assortie des numéros de fessées, de déjections et d’une danse de curé en culotte de dentelle, rappelle aussi une insolence post-soixante-huitarde, celle d’un Copi ou, au cinéma, d’un Ferreri.

« Quelque chose vient »
Ma Jeunesse exaltée, Olivier Py © Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon

Durant huit heures d’élaborations philosophiques, parfois pesantes, Ma Jeunesse exaltée se contredit allègrement et érige en principe cette irrésolution, ne trouvant d’absolu que dans le théâtre et dans une réponse weilienne à l’atermoiement religieux — une acceptation de l’absence dans laquelle se retrouve la capacité d’agir, et qui se résume dans les trois mots inscrits au-devant de la scène pendant toute la durée du spectacle : « Quelque chose vient ».

C’est par les moyens du théâtre et l’hédonisme déployé sur scène que la pièce, en dernier ressort, réussit à ne pas s’enferrer dans une posture figée. Grâce également à l’énergie et au talent de ses comédiens. Le reste de la jeune garde (Eva Rami, Pauline Deshons, Émilien Diard-Detœuf, Geert Can Herwingen) se défend avec panache. Et on saluera le plaisir halluciné que nous procurent Céline Chéenne, complice de Py depuis La Servante, extraordinaire en bonne sœur émancipée et en tragédienne en bout de course, ainsi qu’Olivier Balazuc, homme d’église si grotesque qu’il en devient inquiétant. Xavier Gallais, lui, émeut lorsqu’il se souvient des années sida, en porteur d’une irréparable blessure générationnelle.

À la clé de cette longue entreprise, une alternative : rejoindre et se faire entendre d’une jeunesse idéale, porteuse en germe d’une insoumission populaire, ou sombrer dans l’impuissance du vieux poète ringard qui ne parle plus à personne. Olivier Py sait ce double tranchant, le met en scène et s’en joue. Assumer le risque de se vautrer, loin des sentiers du bon goût, voilà comment il imagine l’arlequinade. Certains verront dans cette insolence une façon de se dédouaner ; on peut y voir une réussite.

Samuel Gleyze-Esteban – Envoyé spécial à Avignon

Ma Jeunesse exaltée d’Olivier Py
Théâtre des Amandiers de Nanterre
7 avenue Pablo Picasso
92000 Nanterre.
Du 11 au 19 novembre 2023.
Samedi et dimanche à 11h.
Durée 11h entractes compris.

TNP de Villeurbane
8 Pl. du Dr Lazare Goujon
69100 Villeurbanne
Samedi 25 et dimanche 26 novembre 2023 à 11h.

Festival d’Avignon
Gymnase du lycée Aubanel
14 rue Palapharnerie
84000 Avignon

Jusqu’au 15 juillet 2022 à 14h

Texte et mise en scène Olivier Py.
Avec Olivier Balazuc, Damien Bigourdan, Céline Chéenne, Pauline Deshons, Emilien Diard-Detoeuf, Xavier Gallais, Geert van Herwijnen, Julien Jolly, Flannan Obé, Eva Rami, Bertrand de Roffignac, Antoni Sykopoulos
Scénographie, costumes et maquillage Pierre-André Weitz
Lumière Bertrand Killy
Son Rémi Berger Spirou
Chansons originales (paroles et compositions) Olivier Py 
Composition et percussions Julien Jolly
Composition et arrangements Antoni Sykopoulos
Assistanat à la mise en scène Guillaume Gendreau
Assistanat aux costumes Nathalie Bègue

Crédit photos © Christophe Raynaud de Lage

Print Friendly, PDF & Email

Laisser un commentaire

Your email address will not be published.

Contact Form Powered By : XYZScripts.com