Jogging, Hanane Hajj Ali © Marwan Tahtah

Hanane Hajj Ali rhabille Médée en Jogging

Dans Jogging, la comédienne et dramaturge Hanane Hajj Ali explore les névroses et l'inconscient de son pays, le Liban, en passant par la figure mythologique de Médée. Et signe ainsi un manifeste d'insoumission, dépouillé et impur.

Jogging, Hanane Hajj Ali © Marwan Tahtah

Dans Jogging, la comédienne et dramaturge Hanane Hajj Ali explore les névroses et l’inconscient de son pays, le Liban, en passant par la figure mythologique de Médée. Et signe ainsi un manifeste d’insoumission dépouillé et impur.

Une couture secrète a tenu ensemble de nombreuses œuvres de ce 76e Festival d’Avignon : celui de la filiation, des relations entre parents et enfants, compliquées ou absentes. Il y avait l’Arlequin orphelin de Ma Jeunesse exaltée, l’enfant deux fois abandonné du Septième Jour. Il y a aussi, au centre de trois créations moyen-orientales, des maternités contrariées : les mères pleurant du lait dans Milk du palestinien Bashar Murkus, la tante d’Ali Chahrour à la recherche de son fils parti pour le Jihad dans Du temps ou ma mère racontait, et la Médée revisitée de Hanane Hajj Ali dans Jogging, un seul-en-scène qu’elle tourne depuis 2016 et réajuste (sans doute trop légèrement) au fil des années.

Seule en scène et peu d’autres choses
Jogging, Hanane Hajj Ali © Marwan Tahtah

La comédienne a quelque chose de séduisant, dès les premières secondes où, fidèle au programme athlétique du titre, elle s’entraîne au sol tout en exerçant sa prononciation dans une liste à la Prévert tournée au vinaigre : « Kh r f (sénile)- Kh r k (violé) – Kh r m (pénétrer) – Kh r a (merde) ». Nous voilà embarqués dans une pure performance de comédienne, une partition acérée pour soliste cinquantenaire, évacuation de rancœurs et de contrariétés tues en tant qu’artiste libanaise.

Les deux œuvres de ce Festival issues du pays du Cèdre ont en commun de travailler à leur manière une forme dépouillée. Ce théâtre de peu était animé, chez Chahrour, par la voix et la danse. Dans Jogging, c’est l’incarnation successive de différents alter ego qui habite le plateau, alors que seuls quelques accessoires et des bouteilles d’eau disposées en rectangle font office de décor. Hanane Hajj Ali se balade dans ce demi-vide avec une aisance joyeuse, et finit par se couvrir le visage d’un blanc tragique, comme la Médée müllerienne de Valérie Dréville.

Benjamin à Beyrouth
Jogging, Hanane Hajj Ali © Marwan Tahtah

Jogging noue ainsi plusieurs Médées, l’originale et ses doubles contemporains, autour d’une question : comment ce qui arrive à Beyrouth et dans tout le Moyen-Orient renseigne les destinées de ces avatars modernes de la mère infanticide ? En d’autres termes, quels malheurs politiques et sociaux peuvent se loger derrière l’image ce crime fondamental ? Yvonne, une Libanaise empoisonnant ses enfants et elle-même en vengeance d’un mari infidèle, et Zahra, une militante de la banlieue sud de Beyrouth dont les trois fils sont morts à la guerre, sont ces avatars de Médée dont la comédienne porte les masques.

La trame desserrée et lâche de la pièce évoque sciemment le flot de pensées qui s’écoule de l’esprit de son autrice pendant une course dans les rues de Beyrouth. N’y aurait-il pas dans Jogging quelque chose du Walter Benjamin de Sens unique ? Avec pour différence que les façades abîmées de la capitale libanaise amènent la baladeuse à une introspection.

L’ouvrage phare de Benjamin oscillait entre théorie et littérature, avec une forme horizontale, composée de vignettes toutes voisines les unes des autres. Hanane Hajj Ali, elle, fait se côtoyer le théâtre de stand-up et le théâtre grec dans une forme volontiers impure. Une seconde, elle va chercher le public pour lui faire lire une lettre ou lui offrir de la salade de fruits. L’autre, elle se retrouve à terre, le visage couvert d’un tissu, à sonder les profondeurs de l’abjection humaine. La comédienne est tout cela à la fois. Sur scène, elle a beaucoup d’une diva. Soit une forme d’insoumission joyeuse et esthète à tous les ordres du monde, qu’importe la licence.

Samuel Gleyze-Esteban – Envoyé spécial à Avignon

Jogging de Hanane Hajj-Ali
Festival d’Avignon
Théâtre Benoît-XII
12 rue des Teinturiers
84000 Avignon

Texte, conception Hanane Hajj Ali
Dramaturgie Abdullah Alkafri
Direction artistique, scénographie Éric Deniaud
Lumière Sarmad Louis, Rayyan Nihawi
Son Wael Kodeih
Costumes Kalabsha, Louloua Abdel-Baki

Avec Hanane Hajj Ali

Crédit photos © Marwan Tahtah

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