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La pitié dangereuse ou la polyphonie cinglante des attractions désastre

Au théâtre des Gémeaux, Simon McBurney s'empare magistralement de La pitié dangereuse de Zweig

Tout se précipite, se mélange en un flot torrentiel et virevoltant qui nous entraîne au bord d’un précipice vertigineux, grisant qui engloutit notre héros et le monde asphyxié qui l’a vu naître. S’appropriant l’unique roman achevé de Zweig, Simon McBurney signe un spectacle coup de poing qui met en lumière nos lâchetés faussement altruistes et réveille nos consciences. Brillant !

À l’instar du public qui s’installe, les sept comédiens de la Schaubühne prennent possession de la scène. Imperceptiblement, chacun s’approprie son espace. Puis, la salle plonge dans l’obscurité ne laissant qu’un halo de lumière qui n’éclaire qu’une unique silhouette. Celle d’un homme, un voyageur dont la voix claire rompt le silence. Il raconte comment sur le quai d’une gare, il a fait la rencontre d’un jeune homme au regard triste, un soldat à l’âme troublée dont l’histoire à bouleverser à jamais sa perception du monde et du rapport aux autres.

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Fringuant officier autrichien, Hofmiller semble hanté par la terrible mésaventure qu’il a vécue quelques années auparavant alors que la Première Guerre mondiale venait d’éclater. En garnison dans quelques bourgades du confins de la Hongrie, il s’acoquine bien malgré lui avec le châtelain des lieux, un certain Kekesfalva, un riche parvenu, dont les origines douteuses de sa fortune entachent le clinquant plumage. Voulant se faire bien voir, le fier jeune homme séduit à son corps défendant la fille paralysée de ce dernier. Par pitié, gonflé d’héroïsme et de romantisme, il lui laisse croire qu’il pourrait l’épouser et finit dans un tragique aveu de lâcheté par la pousser au suicide.

S’emparant du roman noir et acide de Stefan Zweig, Simon McBurney en souligne toute la beauté âpre, toute l’intensité trouble. Loin d’une reconstitution, il préfère transposer le récit de ce drame dans une réalité intemporelle. Mêlant les effets, il s’amuse des styles et des artifices et nous entraîne au plus près de la nature humaine. Créant en tourbillon émotionnel allant de la froideur à la compassion brûlante, il dévoile avec une rare précision, une singulière maîtrise, comment les bons sentiments, la pitié peuvent blesser plus sûrement, plus cruellement, plus mortellement que l’indifférence. Il sublime le récit ciselé, poétique du dramaturge autrichien pour en révéler la férocité.

Décor minimaliste, jeux de lumière, interprétation au cordeau, tout est fait pour saisir le spectateur et l’emmener au plus prés des faiblesses de l’âme humaine. En véritable virtuose, Simon McBurney signe un spectacle manifeste, un pamphlet humaniste et vibrant qui dénonce les hypocrisies, les faux-semblants et les afflictions d’une société d’apparence. Il fait tomber le masque d’un monde aux abois.

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Si l’on est totalement conquis par cette version radicale et moderne de l’unique roman achevé de Zweig, c’est aussi grâce à la présence lumineuse, au talent des comédiens de la Schaubühne de Berlin. Totalement investis, ils se glissent avec une étonnante et fascinante facilité dans les différents rôles qu’ils leur sont confiés.

La pitié dangereuse façon Mc Burney est un morceau de bravoure bouleversant, une leçon de théâtre qui ébranle nos consciences et réveille notre humanité.

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore


La pitié dangereuse de Stefan Sweig
Festival d’Automne
Hors les murs du théâtre de la Ville
Théâtre des gémeaux
49 Avenue Georges Clemenceau
92330 Sceaux
Jusqu’au 24 septembre 2017
Du jeudi au samedi à 20h 45 et le dimanche à 17h
Durée 2h00

version de Simon McBurney, James Yeatman, Maja Zade & l’ensemble des acteurs
mise en scène de Simon McBurney en collaboration avec James Yeatman
décors d’Anna Fleischle
costumes d’Holly Waddington
lumières de Paul Anderson
son de Pete Malkin assisté de Benjamin Grant
vidéo de Will Duke
dramaturgie de Maja Zade
avec Marie Burchard, Robert Beyer, Johannes Flaschberger, Christoph Gawenda, Moritz Gottwald, Laurenz Laufenberg, Eva Meckbach

Crédit photos © Gianmarco Bresadola

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