Mort(s) suréaliste(s) à Toulouse

Au ThéâtredelaCité, Choé Dabert met en scène les jeunes de l'AtelierCité dans une pièce de Laura Wade.

Avec les sept jeunes comédiens de l’AtelierCité, dispositif d’insertion professionnelle permettant de vivre au rythme d’une saison du Centre dramatique national Toulouse-Occitanie, Chloé Dabert s’empare de la comédie  noire à l’humour grinçant « so english » de Laura Wade. Dans un décor immaculé, elle donne corps à l’incongru et invite à plonger dans le monde de l’absurde. 

Des coffrages de bois, style containers, servent d’unique décor. Tout est blanc, tout est parfaitement aligné. Le lit, la chaise, rien ne vient déranger cette parfaite harmonie, sauf, peut-être ce pied, étrange, saugrenu, qui dépasse du drap.  Alors que doucement la salle bascule dans l’obscurité, que le silence se fait, quelqu’un frappe à la porte. Mais quelle porte ? Sortant d’une des caisses rectangulaires, une jeune femme blonde (Maud Gripon), entre dans cette chambre de fortune. Armée d’un seau, d’un plumeau, elle s’apprête à faire le ménage. La présence de cette masse humaine dans le lit, perturbe sa routine. Que faire ? Du bruit, bien sûr. Rien ne se passe. Elle approche. L’homme (Adrien Guitton) dans le lit est décédé. Pas de panique. En toute logique, elle lui parle. Faute de réponse, avant de quitter la chambre de prévenir qui de droit, elle réunit quelques indices – les somnifères qu’il a ingérés à haute dose, la lettre qu’il a laissée pour sa compagne, etc. -, et  imagine ce qui a pu lui arriver. Fin de saynète, elle disparaît. Le mort reprend vie. C’est une autre histoire qui commence. Celle de Jim, notre suicidaire.

Ainsi de suite, enchevêtrant passé, présent, futur, les histoires de trois Cadavres qui respirents’enchaînent, se chevauchent, s’entrecroisent à la façon d’un dessin surréaliste d’Escher. Ni début, ni fin, le récit se construit à la manière des illusions d’optique de l’artiste néerlandais. Jeune fille (Maud Gripon) égorgée, abandonnée dans un buisson par un serial killer (Thibaut Prigent), femme étranglée (Sélène Assaf) par son conjoint (Thomas Bellein) qui ne supporte plus d’être son putching-ball ou homme lambda (Adrien Guitton) ne voulant plus de la morosité de sa vie, les morts se suivent, incohérentes, extravagantes, mais ne se ressemblent pas. Toutes ont un lien entre elles, mais rapidement, la chronologie se brouille pour ne laisser place qu’à un conte macabre, fantastique et absurde. 

S’emparant de cette pièce surréaliste de Laura Wade, portée pour la première fois à la scène en France, Chloé Dabert esquisse le portrait singulier d’une société individualiste où la mort est d’un commun, d’un banal. Elle n’effraie plus, n’émeut pas. Elle agace surtout, elle excite les sens, fait bander, elle empêche de travailler. Forçant le trait de l’incongruité, la metteuse en scène, directrice de la Comédie de Reims, signe un spectacle à contre temps, à contre jeu. L’effet surprend, car il met un temps à s’installer. Une fois, la mécanique huilée, c’est un festival de situations plus ubuesques les unes que les autres, d’absurdité hilarante. Tout va à vaut l’eau, tout part en vrille. Seule la grande faucheuse y retrouve avec une certaine délectation ses petits. 

Soumise à la déroutante épreuve du jeu décalé, la jeune garde du ThéâtredelaCitéSélène Assaf, Thomas Bellein, Maud Gripon, Adrien Guitton, Thibaut Prigent, Simon Ribet et Mélissa Zehner ne démérite pas et donne à cette farce noire qui fait la part belle à l’humour anglais, un je-ne-sais-quoi de charmant, sympathique, fort plaisant. Si quelques ajustements sont à prévoir pour en fluidifier la rythmique, la pièce, encore en rodage, fait sonner haut l’écriture de Laura Wade, particulièrement savoureuse. 

De ce moment suspendu, de cette agréable soirée, on retient tout particulièrement la présence scénique d’Adrien Guitton. Parfaitement à l’aise avec la prose absurde de la dramaturge anglaise, comme les faux poissons du bocal où il tente de se noyer, il insuffle à son personnage une mélancolique des plus surréalistes. Ses deux acolytes, Mélissa Zehner et Simon Ribet ne sont pas en reste. 

Des corps qui respirent est une équipée certes encore fragile mais avec un bien beau potentiel ! Souhaitons donc longue route à ces sept jeunes interprètes, l’avenir devrait leur sourire !

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Toulouse


Des corps qui respirent de Laura Wade 
Une Création de l’AtelierCité 
Le CUB – ThéâtredelaCité
1, rue Pierre Baudis
31000 Toulouse
Jusqu’au 14 juin 2019


Traduction de Blandine Pélissier et Kelly Rivière 
Mise en scène de Chloé Dabert assistée de Caroline Chausson
Avec les comédien.ne.s de l’AtelierCité 2018-19 – Sélène Assaf, Thomas Bellein, Maud Gripon, Adrien Guitton, Thibaut Prigent, Simon Ribet & Mélissa Zehner 
Scénographie et costumes de Marie La Rocca 
Son de Géraldine Belin 
Lumières de Michel Le Borgne 
Réalisation des costumes par les Ateliers du ThéâtredelaCité sous la direction de Nathalie Trouvé 
Réalisation du décor par les Ateliers du ThéâtredelaCité sous la direction de Claude Gaillard 

Crédit photos © François Passerini

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