Il faut grimper sur plusieurs centaines de mètres, puis faire la queue pendant une bonne heure, pour avoir une chance de voir l’émouvant Comme Ali, un spectacle à mi-chemin entre le stand-up et le théâtre, écrit et incarné par la militante écologiste Fatima Ouassak. Véritable star de ce début de festival de la Cité, la Française s’est inspirée des émeutes — plutôt, des révoltes —, qui ont suivi le meurtre du jeune Nahel Merzouk par un policier de Nanterre.
Seule face à son micro sur un plateau presque nu, elle raconte devant un public grouillant et conquis l’adolescence abîmée d’Ali, un jeune de banlieue, fictif cette fois-ci, dont le seul moyen d’exprimer sa colère contre les injustices qu’il subit est d’incendier la gendarmerie de son quartier. Parce que « quand on est Arabe, on n’est jamais vraiment un enfant » dans les yeux des autres, mais toujours un délinquant en puissance. Mettre le feu, c’est dire non. Standing ovation des spectateurs, qui se lèvent comme un seul homme pour applaudir.
Performances en plein air
Cette première performance, puissante sur le fond et parfois balbutiante dans sa forme, est à l’image de cette édition 2025 du festival : engagée et décidée à faire de la place à de nouveaux auteurs, parfois éloignés des scènes conventionnelles. Une position appuyée d’entrée de jeu par la directrice de l’événement, Martine Chalverat, lors de la cérémonie d’ouverture. « Nous pensons que l’art peut être une manière de résister à l’indifférence, de s’opposer à la régression de nos démocraties, des droits des minorités, des femmes, des migrants, à la régression de la liberté académique et culturelle », assène-t-elle devant un parterre d’officiels et de professionnels. Se succèdent ensuite à la tribune plusieurs responsables politiques suisses, qui dénoncent le génocide en cours à Gaza, la montée de l’extrême droite, l’importance de la culture pour nous aider collectivement à résister.
Toute la semaine, la ville de Lausanne a vibré au cœur de ce Festival, sorte « d’anti-Avignon » revendiqué : performances gratuites et en plein air, accessible à tous et à tous les âges. Parmi la foule qui s’est pressée dans tout le cœur de ville pour assister à l’événement, des enfants venus voir Le Royaume de Kensuké, une fable itinérante et tendre sur le naufrage d’un jeune homme, recueilli par une sorte de Robinson Crusoé japonais. Même rengaine Place du Château, où les artistes suisses Julian Vogel, Marc Oosterhoff et Simone Aubert se sont emparés d’une immense sculpture disposée dans l’espace public pour une performance à la lisière du cirque, de la magie et de la danse.
Résister
Résister aux normes les plus ternes, ce fût aussi le programme d’Armour, performance du duo de circassiens belges Arno Ferrera et Gilles Polet, dont les mouvements de danse et postures burlesques évoquent avec beaucoup d’autodérision la masculinité, la sexualité des hommes, ses normes et ses interdits. Un homme est-il vraiment libre de se mouvoir quasi nu, d’effleurer, voire d’empoigner carrément le corps d’un autre ? C’est ce que semblent interroger les artistes. Les liens qui nous relient — ou ce qui nous éloigne des autres —, sont également au cœur de Spring is possible, concert-performance signée du duo belge Dag Taeldeman et Andrew Van Ostade. Le spectacle, qui a pris la forme d’une grande transe musicale, chorégraphiée par des musiciens et des danseurs, relevait d’un drôle de rituel, revigorant.
Festival de la Cité de Lausanne
Du 1er au 6 juillet 2025