Fabio Marra arrive au Crowne Plaza République, son casque de vélo à la main, et s’excuse d’avoir dépassé de deux minutes l’heure du rendez-vous. Il a été arrêté par une voisine et comme il le souligne, « difficile de lui dire que je ne pouvais pas lui parler ». Et il rit. Cet éternel jeune homme aux allures d’Arlecchino, souriant, curieux, attentif, possède tous les atouts de la belle personne.
La fascination des grands fondateurs
Pourquoi a-t-il débarqué en 2005 à Paris pour suivre les cours de la prestigieuse École Jacques Lecoq ? « Parce qu’un jour, alors que je faisais du cabaret, un monsieur m’a adressé vers une école de théâtre à Naples qui était assez atypique, dirigée par Michele Monetta qui utilisait la méthode d’Étienne Decroux. Je dois beaucoup à ce grand pédagogue qui nous parlait de Copeau, Artaud, de la France. J’étais fasciné. C’est ça qui m’a envoyé en France. » Parlant à peine le français, il se dirige vers une école « corporelle ». Il tente sa chance chez Lecoq. « J’ai passé là-bas une très belle année de formation. »
Un jour, il pousse la porte en toile du Cirque Moreno Borman pour demander « un emploi de balayeur et ils m’ont embauché comme clown. J’ai fait une saison et demie là-bas. C’est une belle histoire que je raconterai un jour. » Il y met surtout en pratique tout ce qu’il avait appris chez Lecoq et perfectionne son français.
L’écriture comme une évidence
Dès son adolescence, il possédait des cahiers dans lesquels il notait des idées. Puis il a écrit des scènes de cabaret. « C’était une pratique comme ça. Je ne lui donnais pas d’importance. Jusqu’à ma première pièce. » Nous sommes en 2007, il fonde sa compagnie Carrozzone Teatro pour monter Teresina, le spectacle qui le fait connaître. Dans ce spectacle, il rendait hommage à la Commedia dell Arte, dans un style à la fois burlesque et tragique. « C’était aussi une solution pour peu parler sur scène. Le théâtre masqué, corporel, permettait de me faire comprendre. Au fur et à mesure, alors que j’apprenais à m’exprimer mieux, j’ai pu insérer des phrases plus complexes. »
Un style qui s’impose
Dès cette première œuvre, où il était question d’une jeune mère célibataire et d’un jeune candide et rêveur, il aborde une histoire sociétale. Ce qu’il va retrouver totalement dans sa troisième pièce, La Naïve. Cette comédie à l’italienne, tirant tantôt vers la farce, tantôt vers le réalisme, fait songer à la grande époque du cinéma italien de Vittorio De Sica, Roberto Rosselini, Dino Risi, Ettore Scola, Mario Monicelli. « Je suis particulièrement attaché à cette période. Mais c’est vrai que parfois, j’aimerais être identifié comme un auteur, un auteur contemporain. »
Ce néoréalisme italien, auquel les journalistes l’ont souvent attaché, est une couleur que l’on retrouve dans toutes ses œuvres : Dans les chaussures d’une autre, qui traitait de l’identité, Ensemble, du handicap, Un pas après l’autre, de la déconnexion au monde. « Dans, ma dernière pièce, La couleur des souvenir, et même sur mes futurs projets, je suis en train de m’en détacher pour chercher autre chose. »
Des personnages attachants
Ce qu’on aime aussi chez cet auteur, metteur en scène et comédien, c’est cet attachement à dépeindre les situations et les personnages. Il s’écrit des rôles de garçons lunaires, toujours des êtres en décalage avec la vie, qui font songer à Pierre Etaix. Il y a du Prévert dans sa poésie. « Les sensibles ou les hypersensibles font partie du décor. On ne les voit pas. Et pourtant, si on pouvait leur donner la parole, ils ont une vision assez importante à écouter. J’ai tendance à me mêler des choses qui ne me regardent pas et à aider quelqu’un en difficulté. Je suis attiré par les injustices et tout ce qui y ressemble… Pour moi, la condition des femmes est une autre injustice. Cela signifie qu’elles ne sont pas assez représentées sur scène. » Et c’est pour cela qu’il leur écrit de magnifiques rôles.
Un auteur qui sait écrire pour les femmes
Deux comédiennes ont compté dans sa carrière. La première est Sonia Palau, qui est de tous ses spectacles. Il a fait sa connaissance lors d’une porte ouverte de l’Académie internationale des arts du spectacle de Carlo Boso. La jeune comédienne y jouait un monologue. Il lui demande si elle est partante pour travailler avec lui sur un spectacle qu’il n’avait pas encore écrit. Elle le suit et ce sera le début de cette belle aventure. « Je lui dois tout parce que c’est déjà une personne extraordinaire et une comédienne incroyable. » À la fin de l’exploitation de Teresina, c’est elle qui le pousse à écrire une autre pièce.
La grande Catherine
Et il y a la grande rencontre avec Catherine Arditi. Celle-ci s’est faite grâce à Rachel Arditi, la petite sœur. Elle jouait au Poche-Montparnasse Au Bois lacté de Dylan Thomas, une des dernières mises en scène de Stephan Meldegg. Lui jouait dans la petite salle une reprise de Teresina. Les Tesson lui avaient toujours promis que s’ils ouvraient un théâtre, ils le programmeraient. « Rachel est venue dans la loge après avoir assisté au spectacle. Elle était en larmes. » Plus tard, il lui parle d’Ensemble et lui envoie le texte. « Sans me prévenir, elle l’a donné à Catherine qui m’appelle, je pense que c’est une blague. C’est une personne extraordinaire, c’est une comédienne magnifique. »
Comme Catherine Arditi aime le dire, elle a trouvé son auteur. Il est vrai qu’il lui écrit des personnages sur mesure. Ils en sont à trois collaborations, Ensemble, Un pas après l’autre et La couleur des souvenirs. « On aurait pu en faire plus, mais il faut que les pièces tournent. » Il l’embarque au Festival Off Avignon, où aucun festivalier n’a pu échapper à la manière très personnelle, dans l’esprit du théâtre des tréteaux, qu’est celle de Fabio Marra.
Aux couleurs de la famille et de l’humain
La famille est un sujet récurrent dans les pièces de l’auteur. « On essaye toujours de fuir les choses, mais il n’y a rien à faire. On raconte toujours la même histoire en quelque sorte, parce que l’on parle de nous sans le savoir. À chaque fois je me dis : Bon, ça suffit les rapports familiaux, ça suffit la famille, je vais écrire autre chose ! » En parlant de famille, La couleur des souvenirs aurait dû réunir Catherine à son frère Pierre Arditi. C’est même ce dernier qui lui avait demandé de lui écrire une pièce pour eux.
C’est alors qu’arrive, pour le rôle du frère, Dominique Pinon. « Il est incroyable. C’est un peu comme Catherine au masculin ! Ils sont d’une générosité folle. Pour moi, les regarder jouer tous les soirs, c‘est une leçon de théâtre. Je suis admiratif du travail que font Dominique et Catherine, mais aussi Floriane (Vincent) et Aurélien (Chaussade) ». Cela lui permet aussi d’aller du côté des théâtres subventionnés, avec la Comédie de Picardie et le Théâtre des Halles qui ont coproduit le spectacle. C’est dans ce dernier lieu que la pièce est créée au Festival Off Avignon en 2023. Après une belle tournée de « presque cinquante dates », dans des salles qui ont souvent rajouté des représentations, ils arrivent au Théâtre du Balcon. « Les réservations frémissent déjà sur les dates du festival. Moi, ça m’émeut, il y a comme un attachement avec le public ! »
À la conquête de l’Italie
Si cette œuvre diffère des précédentes par sa structure, elle n’en demeure pas si éloignée. Il y est toujours question d’héritage familial, de rejet, de solitude, de la difficulté à se dire les choses. Elle diffère par le traitement. « J’avais envie vraiment d’épurer le plateau, de trouver quelque chose de plus codifié. D’ailleurs, la mise en scène que je vais faire d’Ensemble, en Italie, ne ressemble pas du tout à ce que j’ai fait il y a dix ans. » Il est ému de rentrer par la grande porte dans son pays et de vivre l’aventure avec Sonia Palau.
Cette version italienne, coproduite par le Théâtre National de Florence, Ente Teatro Cronaca et Mat Scène Productions, avec Laura Morante, verra sa première exploitation à Rome, au Teatro Quirino – Vittorio Gassman, avant d’entamer une tournée de deux ans. Il raconte amusé que lors de la présentation de saison à « Roma », il était si troublé que les mots en français surgissaient à la place de l’Italien !
La couleur des souvenirs, texte et mise en scène de Fabio Marra.
Théâtre du Balcon – Festival Off Avignon
Du 5 au 26 juillet 2025 à 11h30, relâche Jeudi
Durée 1h30.
Avec Dominique Pinon, Catherine Arditi, Fabio Marra, Sonia Palau, Floriane Vincent, Aurélien Chaussade.
Scénographie d’Audrey Vuong.
Costumes d’Alice Touvet.
Lumière de Kelig Le Bars.
Vidéo d’Italo Scialdone, Denis Parrot, Antonio Carola, Jean Ledieu et Guillaume Glad.
Musiques deClaudio del Vecchio.
Création sonore de François Galarneau.
Régie générale de Pierre Mille.
Accessoires de Dimitri Lenin.
Tableaux de Pasquale Mascoli et Alexander Fadeev.