Mickaël Délis © David Délis
© David Délis

Mickaël Délis : « C’est une ode à la pluralité, à la nuance dans un monde encore trop binaire »

Le comédien explore, à travers trois seuls-en-scène autofictionnels, le vaste sujet de la masculinité. Qu’est-ce qui fait le mâle sans faire de mal ? Après avoir joué l’intégrale de sa réjouissante Trilogie du troisième type au Théâtre de la Reine Blanche à Paris, il poursuit l’aventure dans leur théâtre d’Avignon, au Festival Off, avec ce marathon de 4h20 (pauses comprises).
3 juillet 2025
Pourquoi êtes-vous parti à la rencontre du troisième type ?

Mickaël Délis : Parce que le « type » en moi avait besoin d’autres propositions, d’autres projections que celles que la littérature, le théâtre ou la culture me proposaient. En regardant autour de moi, je remarquais une sorte de monotype, de prototype. Et j’avais envie que ce prototype devienne pluriel. En explorant la question du masculin, je me suis rendu compte qu’il n’y avait pas que mon père absent, mais des pères différents ; pas seulement mon frère blanc et hétéro, mais d’autres frères possibles. Et que le petit bonhomme fragile, féminin, qui ne rentre pas dans les codes, pouvait lui aussi être une figure légitime du type masculin. Voilà le point de départ.

Et cela donne un spectacle en trois parties, abordant des thèmes précis : la virilité (Le Premier Sexe), la performance (La Fête du Slip) et la paternité (Les Paillettes de leur vie), chacun avec un sous-titre évocateur. Comment tout cela vous est-il venu ?
Le Premier Sexe ou l'arnaque de la virilité de Mickaël Délis © Marie Charbonnier
Le premier sexe de Mickaël Délis © Marie Charbonnier

Mickaël Délis :
J’aime bien jouer avec les éléments de langage existants. Je voulais faire du Deuxième Sexe un Premier. En prépa, j’ai adoré les cours sur Simone de Beauvoir. Je me suis demandé pourquoi Jean-Paul Sartre, alors qu’il partageait sa vie avec elle, n’avait pas lui aussi écrit Le Premier Sexe ? J’avais mon titre ! Avec mon attachée de presse, on a imaginé le sous-titre, La Grosse Arnaque de la Virilité, pour donner une touche plus pop. J’ai toujours besoin d’un socle critique solide en toile de fond, mais je cherche à en faire un objet théâtral accessible. L’humour est une des clés que j’utilise pour cela.

Avec le deuxième volet, La Fête du Slip, ou le Pipo de la Puissance, on entre vraiment dans le dur. La fête du slip est une expression un peu beauf, mais le spectacle ne pouvait pas se réduire à un cliché de ceinture. Le sous-titre, Le Pipo de la Puissance, avec son allitération en P, met le spectateur sur la piste de la performance, au-delà de la simple blague potache.

Les Paillettes de leur vie renvoie aux flacons dans lesquels on conserve le sperme. Mais je pensais aussi à la phrase devenue virale d’Inès Reg : « C’est quand que tu vas mettre des paillettes dans ma vie, Kevin ? » J’avais envie de détourner cette phrase, d’en élargir le sens. C’est ainsi qu’est né le troisième volet.

La Rencontre du troisième type parle d’un homme du début du XXIᵉ siècle qui s’assume, qui croise des personnes plus modernes que lui, d’autres plus conservatrices…
La fête du slip - Mickaël Délys © Marie Charbonnier
La fête du slip de Mickaël Délis © Marie Charbonnier

Mickaël Délis : Totalement. C’est une ode à la pluralité, à la nuance, dans un monde encore très binaire : masculin/féminin, fort/faible, hétéro/homo… L’éventail est tellement plus large. Dans les personnages que je convoque, il y a des figures anciennes – le psy, le père, le prof – mais aussi des personnes plus jeunes, de ma génération ou d’une autre, qui annoncent un autre monde.

Je me souviens, quand j’ai assuré pendant un an et demi la direction artistique du concours interconservatoires au Théâtre du Rond-Point, certaines classes étaient composées de personnes noires, trans, non-binaires. Quinze ans plus tôt, quand j’étais élève, les classes étaient bien plus monochromes et genrées, souvent issues de la bourgeoisie culturelle. Quel bonheur de constater, à l’échelle d’un conservatoire, que le corps social se pluralise.

J’ai récemment échangé avec un sexologue gestaltiste après un bord plateau. Il avait vu l’intégralité de la trilogie. Il m’a dit qu’au début, je brossais le portrait d’un homme un peu différent, mais encore dans un certain archétype, et qu’au fil des spectacles, je proposais des figures de plus en plus diverses. C’est aussi la force de la trilogie : elle permet de développer un nuancier, de déployer une myriade de personnages, de présenter des masculinités multiples.

Et aussi des féminités, avec notamment la figure de votre mère, présente dans chaque volet, et dans le dernier, les copines. On touche au vivre-ensemble, non ?

Mickaël Délis : On a connu un choc systémique immense avec le mouvement MeToo, puis avec des affaires comme le procès de Mazan dernièrement. Il y a des prises de conscience. On a l’impression qu’on avance, même si parfois, on fait quarante-cinq pas en arrière, avec des figures comme Poutine, Trump et compagnie. Cela dit, il y a une réalité : des mecs de bonne volonté, un peu paumés, dépassés, qui ne savent pas comment faire, mais qui essaient. Et ça, c’est très touchant. Je voulais les inclure, eux aussi, pour questionner : comment fait-on société ensemble ? C’est un grand chantier.

Et oui, les personnages féminins qui ont croisé ma route, souvent des femmes que j’ai admirées, m’ont beaucoup inspiré. Pour dépasser le clivage féminisme/virilisme ou masculinisme, il faut viser un humanisme plus grand. Si les hommes ne sont pas les alliés des femmes – et inversement –, on n’y arrivera pas.

Qu’y a-t-il de jouissif dans l’exercice théâtral de l’autofiction ?
Les paillettes de leur vie ou la paix déménage - Mickaël Délis © Marie Charbonier
Les paillettes de leur vie de Mickaël Délis © Marie Charbonier

Mickaël Délis : Le plaisir de l’autofiction, en tout cas tel que je l’aborde, est de faire cet aller-retour entre l’échelle micro de l’intime et l’échelle macro de l’universel ; de prendre sa vie comme matériau et de le tordre suffisamment pour que tout le monde puisse s’y retrouver en impliquant notamment de la théorie et de la pensée critique.

Par ailleurs, après avoir perdu mes parents cette année, le fait de pouvoir être entouré sur scène des personnes si chères qui ont disparu est très jubilatoire. C’est quand même quelque chose d’assez dingue que permet le théâtre que de pouvoir ressusciter ses morts et d’être entouré exclusivement de gens que j’aime. L’amour est un des gros terreaux de cette trilogie. Je convoque mon frère, mon psy qui est parti, mes parents, mes amis, des profs qui ont été hyper importants, et cela permet d’être dans une sorte de plaisir permanent qui fait que tu peux inviter encore plus de gens dans ta réflexion. C’est un exercice extraordinaire !

Vous êtes en forme pour attaquer ce marathon ?

Mickaël Délis : J’ai la chance d’avoir, pour le troisième volet, en co-metteur en scène, Clément le Disquay qui vient de la danse et du sport de haut niveau, il est hyper exigeant sur le soin et l’accompagnement physique. Alors, j’ai des rendez-vous kiné, je dois faire vraiment gaffe à mon sommeil et à la manière de me nourrir. Quand j’ai interrogé Élise Noiraud qui est passée par la trilogie à Avignon, elle m’a dit que j’entrais un peu au monastère, pas d’alcool, pas de sorties jusqu’à pas d’heures. Mais que cela valait le coup… Après l’expérience des intégrales à Paris, qui était intense en émotion, je suis très impatient de retrouver ça.


La trilogie du Troisième Type de et par Mickaël Délis
Avignon Reine Blanche – Festival Off Avignon
Du 5 au 23 juillet 2025 à 18h30 (Le Premier Sexe), à 20h (La fête du slip), à 21h30 (Les paillettes de leur vie), relâche le jeudi

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