Folkå de Marcos Morau © Rahi Rezvani
Folkå de Marcos Morau © Rahi Rezvani

À Nancy, le NDT2 fait son sidérant show

Pour son troisième et dernier programme de la saison, le Ballet de Lorraine, en coréalisation avec l'Opéra national de Lorraine, accueille le Nederlands Dans Theater 2 avec deux courtes pièces, l’une signée Marcos Morau, l’autre Botis Seva. Un choc visuel qui fait salle comble ! 

À peine entrée en fonction, Maud Le Pladec imprime son cap à la tête du CCN – Ballet de Lorraine. Fidèle à son engagement pour les langages chorégraphiques contemporains, elle initie un nouveau cycle d’invitations : chaque saison, une compagnie étrangère dialoguera avec la troupe nancéienne. Geste d’ouverture et de circulation, ce programme croisé vise à décentrer les regards, à mettre en lumière d’autres approches du mouvement et d’autres rapports au monde. Pour cette première édition, c’est le NDT2 qui ouvre le bal. Et avec lui, un souffle venu de La Haye où l’exigence technique épouse l’expérimentation.

Filiale jeune du Nederlands Dans Theater, le NDT2 n’est plus seulement une pépinière de talents, : c’est un territoire de recherche à part entière. Un collectif de jeunes interprètes aux trajectoires internationales, qui brillent autant par leur rigueur que par leur capacité à incarner des écritures complexes. À Nancy, ils affrontent deux univers que tout oppose ou presque : Folkå de Marcos Morau et Watch Ur Mouth de Botis Seva. L’un s’ancre dans une abstraction très construite, l’autre dans une physicalité rageuse. L’un compose, l’autre décharge, mais tous deux révèlent les multiples facettes de ce groupe d’interprètes d’exception.

Folkå de Marcos Morau © Rahi Rezvani
Folkå de Marcos Morau © Rahi Rezvani

Avec Folkå créé en novembre 2021, Marcos Morau poursuit son exploration d’un théâtre visuel aux allures de songe. Chorégraphe valencien à la tête de La Veronal, il construit sur la composition musicale envoûtante de Juan Cristobal Saavedra une pièce d’une redoutable précision. Chaque geste semble issu d’un système codé, quasi algorithmique, où le motif se décline, se diffracte, se contredit. La partition scénique fonctionne par surgissements, par séquences éclatées, comme si le temps lui-même se fragmentait. Le groupe y est sculpté comme une matière plastique : figures géométriques mouvantes, déploiements synchroniques, surgissements décalés. Les corps deviennent surface, texture, volume. Ils évoquent tour à tour des rituels païens, des icônes distordues, des tableaux expressionnistes.

La force de cet impromptu chorégraphique réside dans cette capacité à faire du déséquilibre un principe moteur. Rien n’est naturaliste ici le corps est stylisé, volontairement rendu monstrueux. Les visages tordus, les postures anguleuses, les arrêts nets instaurent une étrangeté fondamentale. Le spectateur est pris dans un flux d’images où l’émotion naît non de la narration, mais de l’organisation du mouvement, du choc entre précision extrême et charge symbolique. L’espace devient un théâtre mental, traversé de présences ambiguës, entre créatures de mythe et pantins désarticulés. Une abstraction hantée, profondément suggestive.

Watch Ur Mouth de Botis Seva © Rahi Rezvani
Watch Ur Mouth de Botis Seva © Rahi Rezvani

Face à cette architecture chorégraphique millimétrée, Watch Ur Mouth de Botis Seva, dont la première a eu lieu à La Haye, le 27 mars dernier, tranche par sa frontalité. Ici, le geste est brut, pulsionnel, enraciné dans les langages du hip-hop, du krump, du théâtre physique. L’énergie circule comme une onde nerveuse entre les huit interprètes, tendus entre éclats collectifs et solos en rupture. Le chorégraphe britannique travaille sur la respiration, l’articulation des silences, le choc entre relâchement et explosion. La pièce semble répondre à une dramaturgie intérieure : celle d’un combat pour se faire entendre, d’un cri retenu trop longtemps, d’une parole muselée ou du moins observée ou jugée par d’autres.

La structure de la pièce, bien que linéaire, voire itérative, joue sur des intensités variables, des syncopes rythmiques, des arrêts suspendus. Le groupe s’y recompose sans cesse, entre solidarité et tension, comme traversé par un tiraillement entre appartenance et individualité. Si la pièce perd un peu de souffle dans sa dernière partie, sa force expressive, elle, demeure intacte. Et révèle une autre facette du NDT2 : sa capacité à faire résonner les colères du monde dans la chair du mouvement.

Dans ces deux univers si éloignés, une constante : la qualité plastique et dramatique des lumières de Tom Visser. Sculptant les corps, creusant les ombres, il transforme le plateau en une zone de vertige, entre clair-obscur et transparence. La lumière devient partenaire de jeu, écriture à part entière, et donne une densité supplémentaire à chaque tableau.

Avec cette soirée en miroir, le NDT2 impressionne par sa maturité, son intelligence scénique, sa capacité à épouser des formes aussi différentes que celles de Morau et Seva sans jamais se diluer. Cette virtuosité-là n’est pas seulement technique, : elle est sensible, pensée, investie. Une qualité rare, qui fait de cette soirée un moment d’exception ! 


Programme 3 du Ballet de Lorraine
Compagnie invitée NDT2
Opéra national de Lorraine
1 Rue Sainte-Catherine
54000 Nancy
les 7 et 9 mai 2024


Folkå de Marcos Morau
Durée : 26 minutes
Avec 14 interprètes de la Nederlands Dans Theater – NDT 2
Création le 4 novembre 2021 à Amare, Den Haag (NL)


Watch Ur Mouth de Botis Seva
Avec 8 danseur·euse·s de la NDT2
Durée : 25 minutes
Première le 27 mars 2025 à La Haye (Pays-Bas)

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