Pour renouveler ses publics, le théâtre prend de plus en plus souvent la tangente : il sort de ses murs pour aller à la rencontre des territoires. Depuis bientôt deux mois, la jeune troupe de la Comédie de Caen, dirigée par la metteuse en scène Aurore Fattier, sillonne la Normandie et ses établissements scolaires pour y présenter le deuxième épisode de son spectacle itinérant, Paysage avec traces. Ce vendredi d’avril, rendez-vous est donné dans l’auditorium du lycée agricole Le Robillard, à Lieury, où la majorité des élèves se forment aux métiers de l’élevage. Un public tout désigné pour ce spectacle volontairement burlesque, dont l’objectif revendiqué est de « soulever des questionnements sur notre rapport aux animaux, sans jamais dire ce qu’il faudrait penser ».
Trio de philosophes

Inspiré des travaux de Vinciane Despret, Corine Pelluchon et Jocelyne Porcher — trois philosophes et sociologues qui ont en commun d’avoir beaucoup écrit sur les animaux — Paysage avec traces se propose d’explorer la notion, aussi vaste que floue, de « chez soi ».
Sur scène, les comédiennes Roxane Coursault, Juliette Lamour et Charlaine Nezan (formidable) incarnent, en blouses blanches et perruques volontairement grotesques, ces trois penseuses dans une vraie-fausse conférence aux accents décalés.
Face public, comme livrant une leçon à plusieurs voix, nos simili-philosophes développent une réflexion sur ce que signifie être « ancré » dans un territoire — pour les humains comme pour les bêtes. Micro en main, la version scénique de Vinciane Despret, cheffe de file des « théro-linguistes » (linguistes qui s’intéressent aux origines du langage, précise-t-elle), explique que les animaux devraient « rendre » les noms qu’Adam leur a donnés pour se renommer eux-mêmes à partir des sons qu’ils produisent et des choses qu’ils aiment. En fond de salle, des images de la Normandie défilent, conférant une touche poétique au propos. Cette première partie, un peu mièvre, effleure des concepts que l’on sent complexes, sans toutefois leur donner le temps de s’ancrer pleinement.
La dispute

Cette séquence un brin maladroite laisse vite la place à une autre, plus théâtrale et plus classique. Sans crier gare, deux des trois conférencières, Jocelyne Porcher et Corine Pelluchon, se disputent vertement sur scène au sujet de l’élevage des animaux. Ce débat — très houleux, et tout aussi instructif — a réellement eu lieu : consigné dans l’ouvrage Pour l’amour des bêtes (éd. Mialet-Barrault, 2022), il oppose les deux chercheuses sur ce que serait la bonne pratique de l’élevage animalier.
Tandis que la première estime normale de tuer les animaux que l’on élève, l’autre s’insruge : «Une relation de travail qui finit par l’égorgement d’un des deux partenaires, c’est quand même un peu difficile à justifier, non?»
Au cœur de cette dispute tragi-comique — qui expose, avec un didactisme salutaire, les arguments pour et contre l’élevage —, la double de Vinciane Despret, irrésistible, mime une crise d’angoisse et tente en vain de calmer le jeu. Si le débat reste ouvert, il a au moins le mérite, ici, d’élargir les perspectives.
Emma Poesy
Paysages avec traces — épisode 2 : Normandie de Vinciane Despret, Corine Pelluchon &Jocelyne Porcher
Comédie de Caen
Présenté en itinérance dans plusieurs lieux de Normandie
En tournée
13 mai 2025 à L’Atelier à Hérouville-Saint-Clair (14)
Ven. 16 mai 2025 au Cinéma Le Normandy à Thury-Harcourt (14)
21 et 23 juin 2025 Au Théâtre des Cordes à Caen (14)
Dates passées
31 mars 2025 à la Maison de l’étudiant – Université de Caen (14)
03 avril 2025 au lycée agricole de Vire (14)
04 avril 2925 au lycée agricole de Mesnil-sur-Iton (27)
22 avril 2025 au lycée agricole de Brémontier-Merval (76)
24 avril 2025 au lycée agricole de Saint-Lô-Thère (50)
25 avril 2025 au lycée agricole de Lieury (14)
26 avril 2025 à la Salle des fêtes de La Cambe (14)
7 mai 2025 à l’ITEP de Baron-sur-Odon (14)
Mise en scène d’Aurore Fattier
Collaboration artistique – Arthur Verret
avec Roxane Coursault, Juliette Lamour, Charlaine Nezan
Régie générale – Thomas Parisot
Lumière et régie – Édouard Gravier