qui au sur de Tom Lanoye, mise ne scène d'Aurore Fattier © Prunelle Rulens
© Prunelle Rulens

« Qui a peur », le vain jeu de massacre théâtral d’Aurore Fattier

En s’emparant du corrosif texte du dramaturge belge néerlandophone, Tom Lanoye, la nouvelle directrice de la Comédie de Caen rate sa cible et la mise en abîme de l’art dramatique vire au boulevard. 

Sur le papier, rien à dire. Écrit sur mesure pour une distribution flamande, Qui a peur, le huis-clos tragicomique de Tom Lanoye, dramaturge réputé chez nos amis belges, confronte les points de vue et met en exergue les dissensions entre un couple de comédiens usés par leur métier et un autre frais et moulu tout juste sorti de grandes écoles théâtrales. Si la situation vous semble familière, normale, elle est une variation de la pièce Qui a peur de Virginia Wolf ? d’Edward Ashbee, rendu célèbre en 1966 par le film de Mike Nichols, dans lequel s’affronte avec maestria Elizabeth Taylor et Richard Burton. 

Tout comme leurs mythiques modèles dont ils incarnent les personnages depuis plus de vingt ans dans un petit théâtre de province, Koen (de Sutter) et Claire (Bodson) sont ensemble à la scène et à la ville. Épuisés, vidés, ils semblent au bout du chemin. Entre eux, les derniers feux de la passion ont laissé place à l’amertume, l’acrimonie, l’écœurement. Chaque parole adressée à l’autre est chargée de bile, d’acide et d’alcool. L’arrivée de deux jeunes comédiens issus de la diversité Leïla Chaarani et Khadim Fall – , seul moyen pour le vieux couple d’obtenir des subventions pour continuer à jouer encore et toujours la même pièce, ne va rien arranger. Le jeu de massacre ne fait que commencer. Il sera cinglant et n’épargnera personne, ni les êtres, ni l’institution. 

De sa plume acérée bien que facile, Tom Lanoye explore les zones grises du théâtre, en dénonce les dérives. Asphyxié par ses bonnes intentions — parité, discrimination positive, etc. —, mais aussi par son paternalisme, qui frôle souvent le harcèlement sexuel, et sa versatilité quant aux formes et aux œuvres, le système a bien du mal à se renouveler. Malheureusement, la mise en scène d’Aurore Fattier, qui est loin d’être inintéressante, surfe sur les poncifs sans jamais arriver à s’en détacher. L’utilisation superflue autant qu’anecdotique de la vidéo ne fait que renforcer l’effet téléfilm qui vire au boulevard tant la distribution est inégale.

Pourtant, l’idée de mettre le spectateur dans les coulisses en voyeur de ces duels verbaux à fleuret moucheté, où il est difficile de dénouer le vrai du faux tant la frontière entre fiction et réalité est tenue, est plutôt ingénieuse. Mais voilà : surjeu par ici, intensité exacerbée par là, quatrième mur hyper-présent — l’écran noir transparent qui sépare la scène de la salle ne fait rien à l’affaire — et second degré plus caricatural que comique plombent l’ensemble et laissent un goût amer d’inachevé ou plus exactement de ne pas être en phase avec le public français. Quel gâchis !


Qui a peur de Tom Lanoye
Création au théâtre Varia en février 2022
Théâtre 14
20 avenue Marc Sangnier
75014 Paris

jusqu’au 25 mai 2024
Durée 1h30 environ

Tournée
12 au 15 novembre 2024 à la Comédie de Caen – CDN de Normandie

27 novembre 2024 à la Maison de la Culture d’Arlon
27 mai 2025 à la Comédie de Reims – CDN

Mise en scène d’Aurore Fattier
Traduction française d’Aurore Fattier et Koen de Sutter
Avec Claire Bodson, Leïla Chaarani, Koen De Sutter, Khadim Fall
Scénographie et Costumes de Prunelle Rulens
Images & Vidéo de Gwen Laroche
Son deLaurent Gueuning
Lumière de Franck Hasevoets
Régie Lumière de Tom Van Antro
Régie son de Jean-Philippe François
Coach Vocal – Saskia Brichart

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