Comment avez-vous découvert le texte d’Aurore Paris ?
Vincent Menjou-Cortès : Aurore avait vu un de mes films, un moyen-métrage qui a fait écho à ce qu’elle était en train d’écrire. Elle m’a envoyé sa pièce, sans autre demande que celle d’un regard. Je me suis mis à la lire un soir, tranquillement chez moi, et à la moitié, j’ai commencé à pleurer. Je ne parle pas d’une émotion furtive, mais d’un bouleversement physique. J’ai lu la seconde moitié les yeux noyés, puis j’ai pleuré à gros sanglots encore dix minutes après avoir tourné la dernière page. Je n’avais jamais vécu ça. Alors je me suis dit qu’il fallait y consacrer du temps, de la vie, du théâtre.
Vous la connaissiez avant ?
Vincent Menjou-Cortès : À peine. Nous étions au Conservatoire en même temps, sans nous y croiser vraiment. Mais j’étais très proche de Thibault, son compagnon. Un jour, ce dernier m’a proposé un rôle dans une autre pièce d’Aurore. Le personnage ne m’attirait pas, mais j’avais repéré un autre rôle très fort, qui, malheureusement, était destiné à un autre comédien. Thibault m’a alors confié qu’Aurore travaillait justement sur un autre texte centré sur ce personnage-là, et qu’elle rêvait que je l’incarne. Le soir même, je lisais Ce pays qui nous était destiné. Et tout s’est aligné. En lisant ses mots, j’avais déjà l’impression de la connaître. Nous sommes devenus des amis très proches. Comme si la pièce nous avait précédés.
Dans ce spectacle, vous êtes à la fois sur scène et à la mise en scène. Comment avez-vous trouvé l’équilibre entre ces deux positions ?
Vincent Menjou-Cortès : Ce n’est pas une posture que je revendique. C’est né d’un besoin, celui d’être au plus près du texte, et surtout de ce lien très particulier qui nous unit avec Vanessa Fonte. Nous partageons une histoire commune qui remonte à loin. Nous étions ensemble à l’école Claude Mathieu, où pour payer les cours, nous nous retrouvions trois fois par semaine pour faire le ménage du lieu. Puis, nous sommes entrés en même temps au Conservatoire et, dans la foulée, nous sommes partis en tournée durant un an avec Michel Bouquet et son Malade imaginaire…
Toutes ces expériences, nous ont rapprochés et on fait naître entre nous une confiance absolue, un langage tacite. Ce qui permet, en tant que metteur en scène, d’accueillir pleinement ce qu’elle propose en tant qu’actrice. Pas de filtre. Elle m’a donné accès à ses instincts, et ma responsabilité, c’était de les sublimer. À deux, on a travaillé comme si nos pensées étaient connectées.
C’est ce lien qui vous a décidé à travailler avec elle sur ce projet ?
Vincent Menjou-Cortès : C’était une évidence humaine. Dans l’écriture d’Aurore, tout ce qui n’est pas dit est essentiel. Et avec Vanessa, on sait écouter les silences. On a cette complicité rare, presque une chambre secrète qui n’a pas besoin de clé. J’aurais pu choisir une excellente comédienne, mais ce n’est pas ce qu’il fallait. Il fallait une personne avec qui je partage un monde. Et il se trouve que Vanessa est une immense actrice, et une amie intime. Je ne voulais pas jouer une relation. Je voulais qu’elle soit déjà là.
La scénographie est très particulière. Vous avez situé l’action dans une chambre funéraire. Pourquoi ce choix ?
Vincent Menjou-Cortès : Je voulais éviter le piège du réalisme. Un décor naturaliste au théâtre, c’est souvent déceptif. Il ne suffit jamais à convaincre, et surtout, il enferme l’imaginaire. J’ai cherché un lieu entre sacré et concret. Quelque chose de poreux, de flottant. Le funérarium s’est imposé à moi. Pas un lieu de mort clinique, mais une chambre funéraire avec un lit, une table basse, des bougeoirs… Autant d’objets qui appartiennent à la fois à la vie et au deuil. C’est un espace-limite. Les spectateurs peuvent croire qu’ils sont chez Anna, dans un monastère, ou ailleurs. Ce n’est pas important. Ce qui compte, c’est que leur imagination circule.
Le texte évoque aussi le théâtre, le cinéma, l’écriture… Comment avez-vous abordé cette mise en abyme ?
Vincent Menjou-Cortès : C’était un point de départ pour la mise en scène. J’ai imaginé qu’on se trouve dans le rêve de Louis, mon personnage. Anna le convoque dans un théâtre pour rejouer leur dernière entrevue. Il y a une forme de lucidité dans le jeu, une conscience du public, sans briser complètement le quatrième mur. Comme le dit Aurore dans le texte, certaines choses sont plus supportables lorsqu’elles sont partagées devant un public. Le théâtre devient alors le lieu de la réactivation, de la reviviscence.
La lumière aussi raconte quelque chose. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Vincent Menjou-Cortès : Pendant toute la pièce, on est dans un éclairage LED, froid, presque artificiel. Et à la toute fin, on passe à une lumière chaude, des filaments, une ampoule nue. C’est très simple, mais cela crée un basculement. On revient ici et maintenant. Le temps du spectateur commence. Plus rien ne se joue, mais tout peut se repenser. C’est un sas, un moment sanctuarisé pour qu’ils reviennent sur ce qu’ils viennent de voir, sur ce qu’ils ont perdu, aimé, laissé derrière eux. Je crois que le théâtre peut offrir ça.
C’est une pièce très intérieure, très sensible, presque fragile. Comment l’avez-vous travaillée au plateau ?
Vincent Menjou-Cortès : On a beaucoup lu, longtemps. On a joué la pièce en lectures publiques avant même de passer au plateau. Quand on a enfin posé le texte sur une table, on le connaissait par cœur. Ensuite, le travail a été de l’ordre de l’écoute absolue, presque télépathique. Pas d’effets, pas d’ambiance plaquée. Ce qui comptait, c’était la pensée. Que le texte vive dans nos pensées, à chaque seconde. Le théâtre, ici, n’est pas un lieu de démonstration, mais de présence. Ce qui se joue entre les mots, c’est là que tout se vit.
Ce pays qui nous était destiné d’Aurore Paris
Création le 12 mars 2025 à la Scène nationale du Sud-Aquitain
11 • Avignon – Festival Off Avignon
Du 5 au 24 juillet 2025 – relâche vendredi
à 18h35
durée 1h20
Mise en scène de Vincent Menjou-Cortès – Cie Salut Martine
Avec Vanessa Fonte & Vincent Menjou-Cortès
Scénographie de Fanny Laplane