Régis Vlachos - Jacques et Chirac © Amandine Gaymard
© Amandine Gaymard

Régis Vlachos : Pour la fronde et pour le rire

Son biopic jubilatoire sur Chirac revient pour la troisième année au Festival Off d’Avignon, à La Luna. Pour l'occasion, l’artiste se confie sur son parcours, sa relation à la scène et à l’écriture.
7 juillet 2025
Vos débuts

Votre premier souvenir dart vivant ? Une scène, une émotion, un moment marquant ?
C’est souvent le rire qui me marque, comme une empreinte indélébile parce que ma mémoire cherche à fuir le drame… Mais ça c’est perso… Je n’allais pas au théâtre avec mes parents, mais au collège à Marseille, on nous a amenés voir Les trois mousquetaires au théâtre de la Criée. Je me souviens de crises de rire, d’être tombé plusieurs fois de mon siège tellement je m’esclaffais, de cris de joie à faire se retourner les rangées devant moi. Il faudrait que je fasse des recherches sur qui avait fait cette mise en scène (NDLR Marcel Maréchal). J’avais 14 ans…

Jacques et Chirac - Régis Vlachos © Fabienne Rappeneau
Avec Charlotte Zotto et Marc Pistolesi dans « Jacques et Chirac » © Fabienne Rappeneau

Quest-ce qui vous a poussé à choisir cette voie ?
Un peu le hasard. Un prof d’éco au lycée qui avait une très mauvaise mémoire me demande une fin d’après-midi, après son cours, si je voulais toujours faire du théâtre… Je ne lui avais jamais parlé de ça, je n’avais jamais fait de théâtre si ce n’est une scène des Femmes savantes au collège parce que j’étais forcé par la prof… Au lieu de lui répondre : « mais je ne vous ai jamais dit ça », je lui dis « oui » et me voilà recommandé à une formidable troupe de théâtre amateur qui cherchait son Astrov pour Oncle Vania de Tchekhov. Ils m’ont tout de suite adopté. J’étais dans mon rôle, allez savoir pourquoi, et je n’ai plus quitté les planches du fait de diverses rencontres qui m’y ont toujours reconduit… Jusqu’à ce que j’en fasse mon métier… Très tard.

Pourquoi ce métier ?
De par mes études de philosophie, mon militantisme politique pas très à droite, j’ai toujours beaucoup lu et surtout été imprégné d’idées qui ne m’ont jamais lâché. Un jour, j’ai lu un ouvrage de philosophie politique qui s’ouvrait sur la citation du Galilée de Brecht : « Je crois en la douce violence de la raison sur les hommes. » Je me suis dit qu’un jour j’aimerais porter ne serait-ce que cette phrase à la scène. Mais bon, quarante-trois personnages, 4h30 de « jambon historique » comme disait le camarade Bertolt !

Alors une semaine d’ennui féroce – c’est souvent ce qu’il faut pour écrire – j’en fais une adaptation pour cinq comédien.ne.s, un cabaret très drôle d’1h15. Ce fut un succès pendant trois ans, 250 représentations. Mais surtout, dès le départ un ami metteur en scène m’a dit : « Tu sais ce n’est pas qu’une adaptation, c’est un travail d’auteur ! ». Me voilà auteur, ah bon ! Et depuis, avec ma compagnie, on ne joue que des textes que j’écris. Finies les fausses adaptations !

Cabaret Louise - Régis Vlachos © Xavier Cantat
Avec Charlotte Zotto dans « Cabaret Louise » © Xavier Cantat

Ce sont des coups de foudre intellectuels et charnels qui me font écrire. Comme quand je lis, un jour de mes vingt ans, un livre sur la Commune de Paris et où je tombe sur les propos de Louise Michel à son procès : « Puisque les cœurs qui battent pour la liberté n’ont droit qu’à un peu de plomb, j’en réclame une part, moi : tuez-moi si vous êtes des hommes ». Comment peut-on dire une phrase aussi forte… Je me suis dit qu’un jour j’en ferai un spectacle. Et ce fut, bien plus tard, Cabaret Louise.

Votre tout premier spectacle ? Une anecdote marquante ?
Justement dans mon premier spectacle, Oncle Vania, je me souviens toujours de ce monologue fameux quand Astrov passionné en oublie de séduire Éléna qui ne demande que ça. « Ici dans cette maison j’ai ma table à moi dans la chambre d’Ivan Petrovitch. Quand je suis à bout de fatigue, proche de l’abrutissement complet, j’accours ici… » Il sort une espèce de carte IGPN et s’ensuit une critique de l’industrialisation qui détruit la faune et la flore.

Je m’aperçois que j’ai oublié de placer sur scène mon bâton qui me permet de désigner la carte où sont dessinées les époques de la forêt. Ce bâton est au pied de la scène qui est surélevée. Sûr de moi, tout en poursuivant mon monologue, je m’approche du bord de scène pour le ramasser et je me ramasse la gueule pitoyablement ! Heureusement que c’était champêtre et qu’il y avait beaucoup d’herbes. Je ne me démonte pas et je poursuis mon monologue comme s’il ne s’était rien passé. Malgré le public hilare en ce moment plutôt dramatique, j’arrache une touffe d’herbes et je continue : « le vert sombre et le vert clair indique la forêt, là où le vert est hachuré de rouge il y avait des cygnes, des élans, des chevreuils… ». Ma partenaire était au bord du fou rire, le public aussi mais je n’ai rien lâché !

Passions et inspirations
Régis Vlachos - Photo de l'affiche Dieu est mort
Photo pour l’affiche de son spectacle « Dieu est mort » (2017 à 2023 au Festival Off Avignon)

Votre plus grand coup de cœur scénique ?
La mémoire souvent s’arrête au temps pas trop passé, enfin la mienne ! Catarina ou la beauté de tuer des fascistes en 2023 aux Bouffes du Nord à Paris, de Tiago Rodrigues. Je suis resté 2h30 la bouche ouverte d’admiration pour ce texte éblouissant. Je me demandais comment on peut écrire un texte aussi beau et puissant, politique et clairvoyant. Et pourtant c’était en portugais surtitré.

Quelles belles rencontres ont marqué votre parcours ?
Je n’ai pas de nom en particulier, quoique je les cite un peu plus loin. Je parlerais plus de la rencontre dans ce métier, elle est si rare à l’endroit même où l’on joue, et pas forcément dans les lieux annexes. La rencontre au bord de la scène, aux alentours du théâtre… Là où l’on croise les comédien.ne.s avant de jouer parce qu’ils sortent de scène et que c’est à notre tour. Ou l’inverse. Suivant le théâtre, ce sont des promiscuités de loges très touchantes. Ce sont aussi des croisements récurrents en parade à Avignon. J’ai rencontré beaucoup de camarades comme cela, à force de se croiser dans la galère de cet exercice, le tractage, qui nous rapproche, nous fait déconner.

Où puisez-vous votre énergie créative ?
Dans les livres. Une phrase peut me donner une énergie créatrice ou être à l’origine d’un commencement. Pour Jacques et Chirac, avant toute réflexion sur le spectacle, je le voyais déjà rentrer dans le public et serrer des mains sur Gérard Lenorman, « Si j’étais président », et puis s’asseoir sur un chiotte… Un trône ! Si vous tenez à une réponse un peu bucolique, je dirai que parfois je m’arrache de mon bureau et je file dans le bois de Vincennes pour m’aérer, faire venir l’inspiration, prier les esprits de Shakespeare et Molière !

En quoi ce que vous faites est essentiel à votre équilibre ?
Je ne me contente pas de jouer, des milliers le font mieux que moi, mais je porte à la scène des choses qui me tiennent à cœur, qui viennent de mes tripes. Des sujets délicats, très documentés qui sont portés par le burlesque. Des choses qui n’ont pas encore été écrites, portées à la scène ; et que je me dois de créer. Dieu est mort par exemple, Chirac et la Françafrique, La commune de Paris et l’autogestion aujourd’hui… C’est une vraie joie, et donc un équilibre.

L’art et le corps
Régis Vlachos - Little Boy

Que représente la scène pour vous ?
Vu ce que je joue, des choses personnelles et parfois très intimes. C’est un lieu d’exhibition, une mise à nue. C’est aussi une envie, un besoin tout en étant à la fois une peur, une crainte, un défi permanent pour chercher, sans jamais l’atteindre, la présence, la vérité. C’est le lieu de la prise de risque, la mise en danger de son talent ou de ses failles de jeu.

Où ressentez-vous, physiquement, votre désir de créer et de jouer ?
Ce sont deux choses différentes pour moi. Le désir de créer peut être derrière un bureau à lire, à écrire le prochain spectacle. Je mets souvent de la musique quand j’écris, ce que j’imagine comme morceau dans le spectacle, même si je ne fais pas la mise en scène et que le metteur en scène ne retiendra pas cette chanson de Michel Sardou que je fous partout ! D’abord pour me moquer de moi et parce que, dans un spectacle, c’est drôle Sardou ! Bref quand j’écris et que je mets de la musique, ce désir de créer je le ressens dans mes jambes, avec cette envie permanente de me lever, comme une agitation, un manque de concentration, ou plus simplement l’envie de danser sur Être une femme !

Mais le désir de jouer c’est autre chose. Je le ressens sur le sternum, à l’endroit du trac ou de l’angoisse. Un ami metteur en scène, assez lacanien à deux balles, m’a fait remarquer, quand je lui faisais part de ce trac au sternum, que ce dernier était l’anagramme de munster… Super !

Rêves et projets

Collaboration rêvée : Avec quels artistes aimeriez-vous travailler ?
Oh tout simplement avec celles et ceux avec qui j’ai travaillé et je travaille. Ça a tout d’abord été la rencontre avec Christophe Luthringer il y a treize ans pour La Vie de Galilée. C’est un vrai directeur d’acteurs qui par des détours, des métaphores, des images, de la poésie, de la respiration, amène le comédien dans la justesse et l’énergie du personnage. Il en a fallu pour que j’interprète Galilée ! Et c’est aussi un metteur en scène incroyable et fantasque. Il en fallait de l’imagination, pour faire de cette œuvre un cabaret burlesque qui ne trahit jamais le propos.

Régis Vlachos - Jacques et Chirac © Charlotte Zotto
Avec Charlotte Zotto et Marc Pistolesi, dans les loges avant une représentation de « Jacques et Chirac » © DR

En ce moment, la collaboration rêvée, c’est avec Marc Pistolesi et Charlotte Zotto. On joue ensemble depuis dix-sept ans avec Charlotte ! Et j’ai rencontré Marc en 2018 pour qu’il mette en scène Cabaret Louise. Aujourd’hui on joue à trois dans Jacques et Chirac, où il a fait une mise en scène complètement barrée et tellement cohérente. À chaque fois qu’il lui venait une idée de mise en scène c’était une illustration de la formule : « Jusqu’où il est possible d’aller trop loin ». Cette expression définit pour moi l’art, le théâtre : penser autrement, décaler le réel.

Si tout était possible, à quoi rêveriez-vous de participer ?
On est dans la science-fiction, alors allons-y ! Si j’étais un immense acteur, jeune, beau, musclé, intelligent, sachant chanter, je rêverais de jouer dans Starmania avec Thomas Jolly ! Chanter les chansons qui ont bercé mon enfance… Pendant le Front populaire, vous vous rappelez ?

Si votre parcours était une œuvre dart, laquelle serait-elle ?
Waou ! Je dirais Triste Tropiques, non pas pour le titre mais pour ce que raconte Lévi-Strauss dans la permutation des valeurs. Quand je suis entré dans ce métier, c’était pour moi une découverte de valeurs différentes, notamment l’individualité, la solitude de l’acteur dès qu’il n’est plus dans un projet intermittent. Il y a dans de livre une phrase qui me fascine aussi, peut-être j’en ferai un spectacle : « La grandeur indéfinissable des premiers commencements ». Ça vaut pour l’amour, pour la naissance d’un projet sur scène…


Jacques et Chirac de Régis Vlachos
La Luna Festival Off Avignon
Du 5 au 26 juillet 2025 à 13h25, relâche les mardis.
Durée 1h25.

Adaptation de Charlotte Zotto.
Mise en scène de Marc Pistolesi.
Avec Marc Pistolesi, Régis Vlachos, Charlotte Zotto.
Décor de Jean-Marie Azeau.
Lumières de Thomas Rizzotti.
Costumes de Coline Faucon et Louis Antoine Hernandez.
Chorégraphie de Mathilde Ramade.
Création son et vidéo de Cédric Cartaut.
Illustration et graphisme d’Emmanuelle Broquin et Cédric Cartaut.

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