Un paysage désolé, presque absurde, s’étend face aux spectateurs. La scène, recouverte de terre, est traversée par un chemin sinueux. À jardin, une petite maison brute, sans style, n’offre qu’une seule pièce. De l’intérieur, on ne perçoit que des ombres. Une jeune femme rousse, enceinte, vêtue d’une chemise de nuit, en sort, tenant un sac poubelle. Dans un silence absolu, elle traverse lentement le plateau avant de retourner s’enfermer dans ce refuge fragile.
Naissances, présences, disparitions
Puis surgit une vieille dame, peut-être son double plus âgé. Hagarde, elle traverse l’espace avant de disparaître. Un hurlement viscéral déchire alors le silence. La femme rousse est sur le point d’accoucher. C’est un cri venu des profondeurs. Une silhouette en robe blanche, Vasiliki Driva, semblable à une ménine de Velázquez, s’approche pour l’aider. L’instant bouleverse. C’est douloureux. Magnifique.
Tout s’éclipse. La vieille femme revient, encore plus courbée. Un jeune homme – son fils, peut-être son petit-fils – la porte dans ses bras avec une tendresse infinie. Il la déshabille, la lave. Le geste est pur, d’une beauté rare. Celui qui a été nourri devient celui qui soigne, celui qui accompagne les derniers pas.
On devine une campagne reculée, peuplée d’âmes fragiles et de spectres. Pourtant, la vie traverse le plateau de part en part, jaillit à chaque tableau. Des garçons nus s’embrassent. Une jeune femme passe sur un vélo. Tout se joue au ralenti. L’amour circule. Maternel, filial, sororal, amoureux. Une longue cérémonie prend forme, celle des femmes qui élèvent, nourrissent, transmettent. Mami n’est pas seulement un spectacle, c’est une offrande. Une nouvelle mythologie matriarcale. Une religion du lien.
Une poésie du geste et du silence
Mario Banushi compose un poème pictural. On pense à Romeo Castellucci, à Dimitris Papaioannou pour la mise en scène, à Botticelli, Bosch, Klimt ou Magritte pour les tableaux. Chaque geste, chaque posture évoque une œuvre. Il n’y a pas de mots, mais une poésie du mouvement. La joie s’invite, la tragédie aussi. On s’aime, on se déchire. Un jeune éphèbe découvre son homosexualité. Une femme aimante, Eftychia Stefanou, encaisse en silence un pincement au cœur.
Le spectacle est nourri d’une histoire intime. La mère de Banushi était sage-femme. Elle est présente dans chaque tableau. La mère devient celle qui allaite, qui protège, qui transmet. Elle est là, dans chaque personnage féminin : la grand-mère, la nourrice, l’aimante, l’amante. Toutes ces femmes qui ont élevé le jeune homme sont magnifiées, parfois nues, dans leur vérité la plus simple.
Fresque vibrante
Et puis, dans ce maelström d’images, Mario Banushi entre en scène. Il découpe une vieille photo, comme on couperait un lien. Il coupe le cordon, puis disparaît. Le temps des adieux est venu. Autour du corps inerte de la grand-mère, une procession s’organise. Chacun dépose un accessoire, un élément de décor. Une offrande. Tout ce qui a construit ce poème vibrant, ce chant d’amour muet.
Ici, il ne s’agit pas seulement des femmes, mais des mères, toutes les mères, même celle qui n’ont pas enfanté. Et la nudité, splendide, transcende les liens sacrés de la famille. Sans un mot, le spectacle mêle gestes, images, danse, langage du corps et de l’âme. De la naissance au deuil, le spectacle trace un voyage feutré, sensuel, sacrificiel, où chacun peut projeter ses émotions, ses désirs, ses fantômes. Malgré le temps qui s’étire, Mami est un moment de beauté pure.
Mami de Mario Banushi
Gymnase du lycée Aubanel – Festival d’Avignon
du 13 au 18 juillet 2025
durée 1h10 environ
Tournée
22 et 23 juillet 2025 au GREC Festival (Barcelone, Espagne)
14 au 16 août 2025 au Noorderzon Festival de Groningen (Pays-Bas)
9 au 11 octobre 2025 au & Espoo Theatre – Espoonteatteri (Helsinki, Finlande)
9 au 16 avril 2026 à l’Odéon – Théâtre de l’Europe (Paris, France)
24 et 25 avril 2026 au Teatros del Canal (Madrid, Espagne)
Création et mise en scène de Mario Banushi
Avec Vasiliki Driva, Dimitris Lagos, Eftychia Stefanou, Angeliki Stellatou, Fotis Stratigos, Panagiota Υiagli
Scénographie et costumes de Sotiris Melanos
Musique et son de Jeph Vanger
Lumière et dramaturge de Stephanos Droussiotis
Collaborateurs artistiques- Aimilios Arapoglou, Thanasis Deligiannis
Assistanat à la mise en scène- Theodora Patiti
Régie lumière de Marietta Pavlaki
Régie son de Kostas Chaidos
Assistanat plateau – Sofia Theodorou