Il suffit parfois d’un soir pour comprendre que l’on n’est pas au bon endroit. Le constat tombe comme une gifle sur Alex, une vingtaine d’années, un petit copain, un appart à deux et un premier CDI. Ce soir-là, la jeune fille rangée fait la fête dans l’un de ces bars parisiens où toutes les femmes ont « les cheveux longs avec des reflets blonds », comme au retour des vacances. Des filles comme elle, en somme. Pourtant, le malaise est là. La sensation d’être une imposture, que la vie d’éternelle « bonne élève » s’est prolongée jusque dans les schémas de vie les plus traditionnels. Et puis, il y a les filles du troquet d’en face. Leurs crânes rasés, leurs piercings. Les mousquetons accrochés à la ceinture. Autant de corps façonnés par et pour le regard des femmes. Désobéissants, radieux.
Déjouer les schémas
Il ne faut pas un quart d’heure à Alex, incarnée par la très juste Pauline Legoëdec, pour poser les bases de ce récit d’émancipation au ton si précis. Porté par la belle plume de Morgan·e Janoir, qui finira aussi par investir la scène, L’Ouvrir déjoue avec malice toutes nos attentes. Non, Alex, qui finit par entrer dans le bar d’en face, ne tombera pas amoureuse d’une femme. Pas dans le spectacle, en tout cas. Pourtant, oui, elle se découvrira bien lesbienne. Mais ce qui compte le plus ici, ce n’est pas l’histoire d’amour. C’est plutôt le plaisir de jouer collectif. Par exemple, se faire raser le crâne par une amie. Ou porter l’un de ces soutiens-gorge qui aplatissent la poitrine et dessinent aux femmes une silhouette androgyne. Ici, pas de mise en scène grandiloquente non plus, simplement les notes aux accents électro de Valentine Gérinière qui accompagnent cette émancipation joyeuse.
Car si les récits de “coming out” sont presque devenus un genre en soi, on passe parfois un peu vite sur le “coming in”, étape pourtant essentielle qui consiste à prendre conscience de sa propre homosexualité. Et qui implique, quand on est une femme, de faire table rase d’une éducation toute entière tournée vers les hommes. C’est à cet endroit que L’Ouvrir va, avec délicatesse. Parce qu’ouvrir un peu la fenêtre — et avec elle, le champ des possibles — est parfois le meilleur moyen de trouver enfin sa place.
L’Ouvrir de Morgan·e Janoir
Le 11 Avignon – Festival Off Avignon
Du 5 au 24 juillet, relâche les 11 et 18 juillet
Durée 55mn.
Texte & mise en scène de Morgan•e Janoir
Avec Pauline Legoëdec, Valentine Gérinière et Morgan·e Janoir
Création musicale de Valentine Gérinière
Création lumière de Titiane Barthel