Impossible d’échapper au regard. En fond de scène, quatorze miroirs renvoient au public sa propre image, celle d’une foule dense et compacte, face à elle-même. Un léger murmure flotte dans l’air, bientôt balayé par une musique lancinante qui impose le silence et annonce le début de ce bal d’ombres.
Les silhouettes se dédoublent à l’infini, happées dans un jeu de reflets vertigineux. Ils sont cinq sur scène, mais pourraient être cent, mille. Disloqués, démultipliés, leurs corps forment une masse, s’agrègent en groupe. Le geste de l’un déclenche, comme un battement d’aile de papillon, le mouvement de l’autre.
Une foule organique et mouvante
Tout devient affaire de chaînes, de cascades gestuelles, d’actions et de réactions. À travers cette mécanique collective, Pierre Pontvianne explore les comportements de la foule et invente une œuvre kaléidoscopique. Son écriture ample et précise, d’une fluidité remarquable, fait surgir tour à tour la joie, la peine, le désir d’union ou de séparation dans cette liesse populaire. Sur le plateau, un monde entier se déploie. Les corps s’attirent, s’écartent, se repoussent, se déchirent. De quintette en quatuor, de trio en duo, parfois jusqu’au solo, l’individu affronte le groupe, le couple se confronte à la solitude, la distension répond à l’unisson.
Comme dans la vie, les émotions se télescopent. La joie affleure, la mélancolie surgit, la tension monte, parfois jusqu’à l’agressivité. Pontvianne saisit chaque nuance avec une précision organique, des pulsations de la masse aux élans fragiles d’une communion. Du charnel à la friction, chaque geste raconte un état, un instant.
Une transe hypnotique
Vêtus de noir et de bleu profonds, les cinq interprètes — Jazz Barbé, Louise Carrière, Thomas Fontaine, Héloïse Larue et Clément Olivier, tous remarquables — semblent portés, presque transportés, par les nappes sonores conçues et compilées par le chorégraphe lui-même. Corps liquides, mouvants, impalpables, c’est dans cette fluidité des gestes que réside toute la force et la puissance chorégraphique de La Liesse.
En apparence, tout semble simple. Les danseurs ondulent, tissent des mouvements en synergie ou en opposition. Peu à peu, tous convergent avant de s’effacer dans un dernier ressac, laissant l’individu seul, emporté dans une forme de transe. La dernière image, portée par la mélopée électro lounge entêtante de Weaving Part. 3, où résonnent les chants poignants de Sanam Sandy Chamoun d’après un poème de Paul Chaoul, évoque une fin de cycle, une époque qui s’achève, un monde qui vacille. Tout ralentit jusqu’à l’extinction brutale des feux. Le silence retombe.
La Liesse de Pierre Pontvianne
Théâtre de la Vignette – Montpellier danse
du 24 au 26 juin 2025
durée 1h00
Tournée
18 au 21 novembre 2025 à la Comédie de Saint-Étienne, Saint-Étienne
29 janvier 2026 au Dôme Théâtre, Albertville
Chorégraphie de Pierre Pontvianne
Assistante, collaboratrice, complice – Laura Frigato
Avec Jazz Barbé, Louise Carrière, Thomas Fontaine, Héloïse Larue, Clément Olivier
Musique de Sanam, Sandy Chamoun, d’après un poème de Paul Chaoul Weaving Part. 3, collab. Aho Ssan, Ka Baird, Resina ; Trois Liesses, Pierre Pontvianne
Conception sonore, costume de Pierre Pontvianne
Lumière de Victor Mandin
Décor, accessoires de Pierre Treille