Un vrombissement emplit la salle. Une voix résonne dans la pénombre. Elle parle arabe. Au fond de la scène, des mots en français et en anglais sont projetés en lettres blanches, comme un fil tendu entre le public et l’interprète qui entre en scène. Qui sommes-nous ? Qui est-il ? Peut-on vraiment comprendre ce que l’on ne parle pas ? Une langue nous échappe-t-elle si l’on ne la maîtrise pas ? Et le corps, lui, peut-il dire ce que les mots taisent ?

Mohamed Toukabri ouvre son nouveau solo sur une série de questions, d’interrogations sur le langage et la compréhension. Dans Every-body-knows-what-tomorrow-brings-and-we-all-know-what-happened-yesterday, il raconte son propre rapport à la langue, à l’altérité — et au corps dans tout cela. Mais ce qu’il met en jeu dépasse largement l’intime. Il interroge ce que nous attendons — parfois exigeons — de l’autre. Pourquoi faudrait-il que chacun nous ressemble pour être accepté ?
Une danse affranchie des cadres
Sur scène, le danseur belgo-tunisien habite l’espace avec une intensité vibrante. Son corps fend l’air, sculpte le silence. Il puise dans un vocabulaire chorégraphique pluriel. Du krump aux danses de rue, du classique aux arts martiaux, ses gestes dessinent une danse sans cloison.
Soutenu par les textes et la voix d’Essia Jaïbi, il passe d’un état à l’autre. Après avoir dansé à visage découvert, il se masque pour laisser son corps seul en dialogue avec le public. Une manière de dire, sans les mots, ce que les stéréotypes ou les hiérarchies voudraient réduire au silence.
Dans cette performance portée par une énergie d’urgence, Mohamed Toukabri démantèle les hiérarchies inscrites dans les corps. Il crée un espace où les traditions dialoguent sans s’annuler, où les danses habituellement reléguées en marge peuvent tenir tête aux formes académiques sacralisées.
Une invitation à réimaginer

Le titre, long comme une ritournelle, résonne aussi comme un avertissement. L’histoire est là, tapie dans les gestes d’aujourd’hui. Chaque danse transmise, chaque code entretenu ou oublié, façonne le paysage de demain. Et nous sommes toutes et tous impliqués dans cette réécriture.
Ce solo n’apporte pas de réponses. Mais il ouvre un espace où l’imaginaire peut se décoloniser, où l’on peut réapprendre à voir, à écouter. L’artiste revendique ici une voix chorégraphique propre, ancrée, mais libre.
Encore fébrile, bien que le geste soit maîtrisé, la performance instille en chacun de nombreux questionnements sur notre manière de regarder l’autre. La confrontation avec le public devrait permettre d’affiner les contours, de fluidifier les enchaînements et de déployer toute la force du propos.
Ce moment suspendu, où la lumière — crue, tamisée ou irisée — redéfinit en permanence un terrain de jeu mouvant, agit comme une invitation à traverser les frontières, à accueillir les corps et les langues dans toute leur complexité. À laisser chaque danse, chaque histoire, exister pleinement.
Every-body-knows-what-tomorrow-brings-and-we-all-know-what-happened-yesterday de Mohamed Toukabri
Création les 11 et 12 juin 2025 à la Friche la Belle de Mai – Grand plateau, dans le cadre des Rencontres à l’Échelle
durée 1h environ
Tournée
24 juin 2025 aux Latitudes Contemporaines, Lille
4 et 5 juillet 2025 aux Julidans, Amsterdam (Pays-Bas)
10 au 19 juillet 2025 aux Hivernales, dans le cadre du Festival d’Avignon
20 septembre 2025 au KAAP – Bruges (Belgique)
23 et 24 octobre 2025 au beursschouwburg, Bruxelles (Belgique)
29 et 30 octobre 2024 au Viernulvier, Gant (Belgique)
5 novembre 2025 au Theater Antigone, Courtrai (Belgique)
20 novembre 2025 au Corso, Anvers (Belgique)
22 novembre 2025 au CC Sint-Niklaas, Sint-Niklaas (Belglque)
27 novembre 2025 au CC De Factorij – Zaventem (Belgique)
24 au 28 mars 2026 au Théâtre Les Tanneurs, Bruxelles (Belgique)
Concept et chorégraphie de Mohamed Toukabri
Texte et voix d’Essia Jaïbi
Conception sonore d’Annalena Fröhlich, DEBO Collective
Design graphique et animation d’Alyson Sillon
Dramaturgie d’Eva Blaute
Scénographie et création lumière de Stef Stessel
Technicien en éclairage de Matthieu Vergez
Regard extérieur de Radouan Mriziga
Costumes de Magali Grégoir