Camille Rocailleux © Alice Rocailleux
Camille Rocailleux © Alice Rocailleux
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Camille Rocailleux, le son en partage

Alors que Le Procès de Jeanne, création d’Yves Beaunesne dont il a composé la musique, achève sa tournée, le musicien et metteur en scène prépare ÉLÖ !, une performance hybride à découvrir cet été au Théâtre du Train Bleu, à Avignon.

Il a cette façon calme et posée de parler qui donne envie de tendre l’oreille. Comme s’il composait déjà, dans l’instant, les harmoniques d’un dialogue. Camille Rocailleux est de ceux pour qui la musique n’est pas un métier, mais une manière d’être au monde. Compositeur, percussionniste, metteur en scène, il s’est construit au carrefour des disciplines, entre l’énergie du plateau, le souffle du texte et la pulsation du rythme.

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Ella d’Herbert Achternbusch, mise en scène d’Yves Beaunesne © Guy Delahaye

« Je crois vraiment que je suis né de deux parents très attirés par les domaines artistiques, mais qui n’ont jamais osé franchir le pas », confie-t-il. « Jai hérité de leur désir de faire de la musique quelque chose dimportant, doser en faire laxe principal de mon activité. » Ce legs, loin d’être un poids, s’est mué en évidence. « Cest une passion qui ma très vite attrapé. Jai tout de suite ressenti limmensité des choses que ça pouvait moffrir. »

Avec un père philosophe et jazzman amateur, et une mère dans l’administration théâtrale, Camille grandit au cœur des arts vivants. Enfant, il assiste aux répétitions d’Olivier PerrierJean-Louis Hourdin ou Didier-Georges Gabily« Je me souviens de la danse butô. Quand on découvre ça sur un plateau, enfant, cest vraiment marquant. »

Premier choc instrumental, la percussion. « Je me souviens dune initiation où lon essayait plusieurs instruments. On mavait fait souffler dans un cor, ça ne marchait pas. Mais cette salle remplie de gamelles, de sonorités… là, jai accroché tout de suite. » Le professeur, Daniel Ardaillon, joue un rôle décisif. « Il nous a mis demblée dans un bain créatif, de concerts, de collectif. C’était une deuxième famille pour moi. »

Mais très vite, les percussions ne suffisent plus. « J’écoutais les cordes, j’étais émerveillé. Javais envie d’écrire pour les autres instruments. » L’envie d’orchestration prend forme, notamment au CNSMD de Lyon, où il côtoie d’autres instrumentistes. « On faisait de la musique de chambre, de lorchestre symphonique. C’était une immersion totale. »

Le Procès de Jeanne
Le procès de Jeanne d’Yves Beaunesne © Guy Delahaye

C’est le théâtre qui va ouvrir la voie. « Jai commencé avec Yannick Jaulin, conteur en résidence à la Scène nationale dAngoulême. » Ils s’enferment deux jours dans un studio. « Il ma raconté ses histoires, jai laissé limaginaire faire le reste. Quelle narration musicale, j’aimerais avoir en parallèle à son récit ? »

De cette approche intuitive, Camille Rocailleux tire une méthode. « Il faut apprendre à ne pas capturer l’émotion, à ne pas surligner, à ne pas prendre le texte en otage. Cest une vraie écoute. » Jaulin l’embarque sur une quinzaine de spectacles. Plus tard, il rencontre Yves Beaunesne pour qui il compose la musique d’Ellaadapté du texte d’Herbert Achternbusch, de Ruy Blascréé en extérieur à Grignan, et dernièrement, celle du Procès de Jeanne.

Pour cette dernière pièce, « le texte n’était pas une œuvre théâtrale au départ, mais un matériau historique, celui du procès. Il fallait que la musique trouve sa place. » Camille Rocailleux échange longuement avec Judith Chemla, Yves Beaunesne et Marion Bernède, qui a travaillé à l’adaptation. « Jessaie toujours de me nourrir au maximum avant d’écrire : la scénographie, les partis-pris visuels, les volontés de chacun. » Il détourne les codes médiévaux, mélange les influences. « Judith était sensible à ça : entendre des échos anciens glisser vers autre chose. »

Ses références ? « Stravinsky pour le rythme, Mahler pour lorchestration, Monteverdi pour la simplicité qui touche directement le cœur. » Et cette habitude de la musique contemporaine, chez les percussionnistes, qui élargit les possibles. « On a accès à une palette sonore immense. »

 © C. Barbier
ÉLÖ ! d’Adrien Cornaggia, mise en scène de Camille Rocailleux © C. Barbier

Sur scène, Camille aime croiser les langages. « Dans Ella, tout était fabriqué en live. Il fallait produire chaque son avec précision, en connexion étroite avec le texte. » Il sourit. « Il y a des soirs où on sembarque un peu plus, dautres où on est plus au son. Cest le jeu du live. »

Avec ÉLÖ !, il pousse plus loin encore ce goût de la friction entre texte et musique. « Cest une fable musicale sur la difficulté à dire je taime”, pensée pour les ados, ce moment de métamorphose où on a besoin de recevoir de lamour pour pouvoir en donner. » Trois générations, trois personnages : une grand-mère cantatrice, son fils, sa petite-fille. Le chant, là encore, tisse le lien. « Celui de la grand-mère est toujours présent, comme un moteur intime. Il fait partie de leur imaginaire. »

Une chanteuse lyrique, Camille Brault, incarne cette voix. À ses côtés, on trouve des circassiens, des comédiens et des musiciens. Le texte d’Adrien Cornaggia évolue au plateau. « Adrien est resté avec nous pendant toute la résidence. On a ajusté, coupé, recomposé ensemble. »

Dans sa compagnie, Camille Rocailleux revendique la liberté. « Je viens avec des compositions, mais jamais figées. Je suis toujours prêt à reconfigurer. Il faut que les interprètes puissent semparer du matériel. » La mise en scène se nourrit du travail musical, et inversement. « Cest une forme très souple. »

Selon les projets, il adapte son rôle. « Dans ma compagnie, jai le final cut. Quand je compose pour un metteur en scène, je me mets au service de sa vision. Dans une maison dopéra, la musique redevient centrale, incontestée. » À chaque fois, un autre équilibre. Un autre langage.

Mais toujours la même exigence d’écoute. « Composer, cest faire parfois un pas de côté, tout en défendant une vision, un regard. Et trouver le bon cadre pour que lautre puisse sy glisser sans perdre de vue la démarche, la finalité du projet. »


Le procès de Jeanne, d’après les minutes du procès de condamnation de Jeanne d’Arc -1431
Théâtre des Bouffes du Nord
Du 29 janvier au 16 février 2025
Durée 1h30

Tournée
27 mai 2025 au Théâtre Impérial de Compiègne

Dates passées
4 mars 2025 à l’Espace Michel-Simon, Noisy-le-Grand
8 mars 2025 à l’Opéra de Vichy
11 et 12 mars au Grand R, Scène nationale de La Roche-sur-Yon
19 et 20 mars au Théâtre de Caen
25 mars 2025 au Centre d’Art et de Culture, Meudon


Conception Judith Chemla et Yves Beaunesne
Mise en scène d’Yves Beaunesne
Musique Camille Rocailleux
Livret Marion Bernède 
Avec Judith Chemla et les musiciens Mathieu Ben Hassen, Emma Gergely, Robinson Julien-Laferrière, Etienne Manchon, Marie Salvat et Hippolyte De Villèle


ÉLÖ ! d’Adrien Cornaggia – CIE E.V.E.R
Création le vendredi 19 janvier à la M270 à FLOIRAC (33)

Tournée
27 juin 2025 à La Java des Baleines, Saint-Clément des baleines (17)
5 au 23 juillet 2025 – Jours impairs au Théâtre du Train Bleu à Avignon (84), Hors les murs, Tiers-Lieu La Respélid’ / Carmel

Bande-Annonce de ÉLÖ ! d’Adrien Cornaggia, mise en scène de Camille Rocailleux © CIE E.V.E.R

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