Il a cette façon calme et posée de parler qui donne envie de tendre l’oreille. Comme s’il composait déjà, dans l’instant, les harmoniques d’un dialogue. Camille Rocailleux est de ceux pour qui la musique n’est pas un métier, mais une manière d’être au monde. Compositeur, percussionniste, metteur en scène, il s’est construit au carrefour des disciplines, entre l’énergie du plateau, le souffle du texte et la pulsation du rythme.
Un désir hérité

« Je crois vraiment que je suis né de deux parents très attirés par les domaines artistiques, mais qui n’ont jamais osé franchir le pas », confie-t-il. « J’ai hérité de leur désir de faire de la musique quelque chose d’important, d’oser en faire l’axe principal de mon activité. » Ce legs, loin d’être un poids, s’est mué en évidence. « C’est une passion qui m’a très vite attrapé. J’ai tout de suite ressenti l’immensité des choses que ça pouvait m’offrir. »
Avec un père philosophe et jazzman amateur, et une mère dans l’administration théâtrale, Camille grandit au cœur des arts vivants. Enfant, il assiste aux répétitions d’Olivier Perrier, Jean-Louis Hourdin ou Didier-Georges Gabily. « Je me souviens de la danse butô. Quand on découvre ça sur un plateau, enfant, c’est vraiment marquant. »
Percussion instinctive
Premier choc instrumental, la percussion. « Je me souviens d’une initiation où l’on essayait plusieurs instruments. On m’avait fait souffler dans un cor, ça ne marchait pas. Mais cette salle remplie de gamelles, de sonorités… là, j’ai accroché tout de suite. » Le professeur, Daniel Ardaillon, joue un rôle décisif. « Il nous a mis d’emblée dans un bain créatif, de concerts, de collectif. C’était une deuxième famille pour moi. »
Mais très vite, les percussions ne suffisent plus. « J’écoutais les cordes, j’étais émerveillé. J’avais envie d’écrire pour les autres instruments. » L’envie d’orchestration prend forme, notamment au CNSMD de Lyon, où il côtoie d’autres instrumentistes. « On faisait de la musique de chambre, de l’orchestre symphonique. C’était une immersion totale. »
Composer pour la scène

C’est le théâtre qui va ouvrir la voie. « J’ai commencé avec Yannick Jaulin, conteur en résidence à la Scène nationale d’Angoulême. » Ils s’enferment deux jours dans un studio. « Il m’a raconté ses histoires, j’ai laissé l’imaginaire faire le reste. Quelle narration musicale, j’aimerais avoir en parallèle à son récit ? »
De cette approche intuitive, Camille Rocailleux tire une méthode. « Il faut apprendre à ne pas capturer l’émotion, à ne pas surligner, à ne pas prendre le texte en otage. C’est une vraie écoute. » Jaulin l’embarque sur une quinzaine de spectacles. Plus tard, il rencontre Yves Beaunesne pour qui il compose la musique d’Ella, adapté du texte d’Herbert Achternbusch, de Ruy Blas, créé en extérieur à Grignan, et dernièrement, celle du Procès de Jeanne.
Écouter, détourner, réinventer
Pour cette dernière pièce, « le texte n’était pas une œuvre théâtrale au départ, mais un matériau historique, celui du procès. Il fallait que la musique trouve sa place. » Camille Rocailleux échange longuement avec Judith Chemla, Yves Beaunesne et Marion Bernède, qui a travaillé à l’adaptation. « J’essaie toujours de me nourrir au maximum avant d’écrire : la scénographie, les partis-pris visuels, les volontés de chacun. » Il détourne les codes médiévaux, mélange les influences. « Judith était sensible à ça : entendre des échos anciens glisser vers autre chose. »
Ses références ? « Stravinsky pour le rythme, Mahler pour l’orchestration, Monteverdi pour la simplicité qui touche directement le cœur. » Et cette habitude de la musique contemporaine, chez les percussionnistes, qui élargit les possibles. « On a accès à une palette sonore immense. »
Créer dans la friction

Sur scène, Camille aime croiser les langages. « Dans Ella, tout était fabriqué en live. Il fallait produire chaque son avec précision, en connexion étroite avec le texte. » Il sourit. « Il y a des soirs où on s’embarque un peu plus, d’autres où on est plus au son. C’est le jeu du live. »
Avec ÉLÖ !, il pousse plus loin encore ce goût de la friction entre texte et musique. « C’est une fable musicale sur la difficulté à dire “je t’aime”, pensée pour les ados, ce moment de métamorphose où on a besoin de recevoir de l’amour pour pouvoir en donner. » Trois générations, trois personnages : une grand-mère cantatrice, son fils, sa petite-fille. Le chant, là encore, tisse le lien. « Celui de la grand-mère est toujours présent, comme un moteur intime. Il fait partie de leur imaginaire. »
Une chanteuse lyrique, Camille Brault, incarne cette voix. À ses côtés, on trouve des circassiens, des comédiens et des musiciens. Le texte d’Adrien Cornaggia évolue au plateau. « Adrien est resté avec nous pendant toute la résidence. On a ajusté, coupé, recomposé ensemble. »
Composer, diriger, transmettre
Dans sa compagnie, Camille Rocailleux revendique la liberté. « Je viens avec des compositions, mais jamais figées. Je suis toujours prêt à reconfigurer. Il faut que les interprètes puissent s’emparer du matériel. » La mise en scène se nourrit du travail musical, et inversement. « C’est une forme très souple. »
Selon les projets, il adapte son rôle. « Dans ma compagnie, j’ai le final cut. Quand je compose pour un metteur en scène, je me mets au service de sa vision. Dans une maison d’opéra, la musique redevient centrale, incontestée. » À chaque fois, un autre équilibre. Un autre langage.
Mais toujours la même exigence d’écoute. « Composer, c’est faire parfois un pas de côté, tout en défendant une vision, un regard. Et trouver le bon cadre pour que l’autre puisse s’y glisser sans perdre de vue la démarche, la finalité du projet. »
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Le procès de Jeanne, d’après les minutes du procès de condamnation de Jeanne d’Arc -1431
Théâtre des Bouffes du Nord
Du 29 janvier au 16 février 2025
Durée 1h30
Tournée
27 mai 2025 au Théâtre Impérial de Compiègne
Dates passées
4 mars 2025 à l’Espace Michel-Simon, Noisy-le-Grand
8 mars 2025 à l’Opéra de Vichy
11 et 12 mars au Grand R, Scène nationale de La Roche-sur-Yon
19 et 20 mars au Théâtre de Caen
25 mars 2025 au Centre d’Art et de Culture, Meudon
Conception Judith Chemla et Yves Beaunesne
Mise en scène d’Yves Beaunesne
Musique Camille Rocailleux
Livret Marion Bernède
Avec Judith Chemla et les musiciens Mathieu Ben Hassen, Emma Gergely, Robinson Julien-Laferrière, Etienne Manchon, Marie Salvat et Hippolyte De Villèle
ÉLÖ ! d’Adrien Cornaggia – CIE E.V.E.R
Création le vendredi 19 janvier à la M270 à FLOIRAC (33)
Tournée
27 juin 2025 à La Java des Baleines, Saint-Clément des baleines (17)
5 au 23 juillet 2025 – Jours impairs au Théâtre du Train Bleu à Avignon (84), Hors les murs, Tiers-Lieu La Respélid’ / Carmel