Les folles passions ibériques de Beaunesne soufflent sur Grignan

Au château de Grignan, Yves Beaunesne donne vie à un Ruy Blas tout feu, tout flamme.

Devant l’imposante et magnifique façade du Château de Grignan, Yves Beaunesne s’empare avec finesse et modernité de Ruy Blas de Victor Hugo. Gommant les lourdeurs romantiques de la pièce, il livre un spectacle fort, puissant sur les dérives du pouvoir et la lutte des classes. Un très bon cru estival ! 

Le soleil décline lentement donnant à la pierre blanche du château des nuances mordorées. Une voix lointaine rompt le silence. C’est celle de Don Salluste (épatant Thierry Bosc). Il bougonne, râle. La reine (enflammée Noémie Gantier), lassée de son comportement envers ses suivantes, lui impose le mariage avec la dernière jeune fille qu’il a déshonorée ou alors c’est la disgrâce. Refusant une mésalliance, pas le choix, il doit s’exiler, laisser tous ses titres de noblesse, tous ses privilèges. Mais chez le grand d’Espagne déchu, la vengeance est un plat qui se mange glacé. Il va montrer à cette petite princesse allemande évaporée, un peu trop guindée, ce qu’il en coûte de se mesurer à sa personne dont il a une haute opinion. 

Le plan est tout trouvé. Son valet, le doux et romantique Ruy Blas (impressionnant François Deblock) s’est amarouché de la belle souveraine. Le Faisant passer pour son neveu, Don César, il lui offre la gloire, le pouvoir et surtout un chemin tout tracé vers le cœur de la Reine. Au-delà de toute espérance, son machiavélique dessein prend forme. C’est sans compter sur la droiture du jeune homme, sa pudeur. 

Avec beaucoup d’ingéniosité, Yves Beaunesne s’empare de ce drame romantique par excellence. Écrit dans le but de dénoncer la corruption, la privatisation du pouvoir politique sous le règne de Louis-PhilippeRuy Blas est avant tout une tragicomédie historique aux vers quelques peu grandiloquents et ampoulés. Comptant les derniers jours des Habsbourg sur le trône d’Espagne, qui a coups- de mariages consanguins, ont fini par donner naissance à une ribambelle de dégénérés, qui laissent les rênes du gouvernement à d’autres, des ministres qui n’ont d’autres buts que s’enrichir aux dépends des autres, du peuple. 

Ruy Blas, c’est aussi une histoire d’amour. Celle d’un simple roturier et d’une reine malheureuse, enfermée dans une étiquette trop rigide et un mariage qui ne convient pas à ces humeurs passionnées. Mettant en avant cet emprisonnement étouffant, par une magistrale entrée de la Reine sur le plateau, rappelant quelques tableaux de Velasquez, Yves Beaunesne fait de cette princesse emmurée vivante, une exaltée. Éprise de liberté, mais ne connaissant rien aux usages de l’amour, elle se laisse emporter par une folie douce presque outrancière dès que les premiers signes d’une inclinaison embrasent son cœur. Dans ce rôle, Noémie Gantier excelle. Si, en ses jours de premières, elle force encore un peu le trait, sa présence, son interprétation sur le fil séduit et envoûte. Face à Elle, François Debock est un Ruy Blas, tout feu, tout flamme. Se prenant au jeu du justicier, il tient tête au grands d’Espagne et laisse libre court à sa fureur face à l’inégalité flagrante qui sévit à la cour d’Espagne, mais s’incline en bon chevalier servant pour l’honneur d’une femme. 

Avec habilité, Yves Beaunesne adapte le texte de Victor Hugo. Il le dépoussière, lui ôte son ton sirupeux pour mieux le faire entendre. Les mots résonnent magistralement devant le parvis de ce château où a séjourné régulièrement la célèbre épistolière, la Marquise de Sévigné. Portant une attention toute particulière à la direction d’acteurs, le metteur en scène à la tête de la Comédie Poitou-Charentes signe un Ruy Blas particulièrement savoureux porté par une troupe de comédiens très talentueux. Tous brillent dans leurs emplois, de Zacharie Feron, hilarant en valet quelque peu benêt, à Marine Sylf, dont la voix ensorcelante n’a rien à envier à sa présence scénique, en passant par Fabienne Lucchetti, parfaite en douairière hiératique autant qu’en religieuse perverse, pour ne citer qu’eux. 

Ces fêtes nocturnes 2019 s’ouvrent donc sous de bien beaux augures. Un festival d’été à (re)découvrir au plus vite.

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé Spécial à Grignan


Ruy Blas de Victor Hugo 
Les fêtes nocturnes de Grignan
Château de Grignan
26230 Grignan
Jusqu’au 24 août 2019
Durée 2h10

Tournée 
Du 8 au 10 octobre 2019 au Théâtre d’Angoulême, Scène nationale
Du 16 au 19 octobre 2019 à Odyssud, Blagnac
les 5 et 6 novembre 2019 au Théâtre Firmin Gémier / La Piscine, Scène nationale, Chatenay-Malabry
Du 12 au 15 novembre 2019 au Théâtre de Liège
Du 19 au 23 novembre 2019 au Théâtre du Jeu de Paume, Aix-en-Provence
Le 36 novembre 2019 au Théâtre de L’Olivier, Istres
Les 05 et 06 décembre 2019 au Théâtres de la Ville de Luxembourg
du 16 au 20 décembre 2019 à La Manufacture, Centre dramatique national, Nancy
Du 8 au 18 janvier 2020 au Théâtre de la Croix Rousse, Lyon
Du 22 au 26 janvier 2020 au Théâtre Montansier, Versailles
Les 7 et 8 février 2020 au Théâtre Molière, Scène nationale de Sète
Le 11 février 2020 à la Maison des Arts du Léman, Thonon-les-Bains
Du 26 février au 15 mars 2020 au Théâtre Gérard Philipe, Centre dramatique national, Saint-Denis
Le 20 mars 2020 au Théâtre Louis Aragon, Tremblay-en-France
Les 24 et 25 mars 2020 au Théâtre Auditorium de Poitiers, Scène nationale


Adaptation et mise en scène d’Yves Beaunesne assisté de Pauline Buffet, Jean-Christophe Blondel et Laure Roldàn
Avec Thierry Bosc, François Deblock, Zacharie Feron, Noémie Gantier, Fabienne Lucchetti, Maximin Marchand, Guy Pion, Jean-Christophe Quenon, Marine Sylf et les musiciennes, Anne-Lise Binard et Elsa Guiet
Dramaturgie de Marion Bernède 
Scénographie de Damien Caille-Perret 
costumes de Jean-Daniel Vuillermoz 
Lumières de Nathalie Perrier 
Création musicale de Camille Rocailleux 
Maquillages, coiffures et masques de Cécile Kretschmar
Maître de chant Haïm Isaacs

Crédit photos © Guy Delahaye

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