Vanessa Amaral dans Pratique de la ceinture, Ô ventre © © Elsa Biyick
Vanessa Amaral dans Pratique de la ceinture, Ô ventre © Elsa Biyick

Vanessa Amaral : Une artiste qui en a dans le ventre

Dans le cadre de Premiers printemps au Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis, la comédienne porte à la scène son premier texte. En s’emparant d’un sujet qu’elle connaît trop bien – le fibrome utérin –, elle esquisse en creux un état des lieux de l’hôpital public.

Votre premier souvenir d’art vivant ?
Une photo de la chanteuse Aaliyah dans La Reine des damnés, son regard possédé. Et cette artiste, tout court : sa voix, son aura, sa puissance. Mon tout premier album perso, avec les morceaux We Need a Resolution, I Refuse, Rock the Boat.

Qu’est-ce qui vous a poussée à choisir cette voie ?
L’espace de liberté, de sociabilité, de fun, d’amitié que ça procurait. Et plus tard, une forme d’engagement citoyen : porter une parole publique pouvant faire média, au moyen de fables, de fictions, de témoignages, de performances.

© Elsa Biyick

Pourquoi ce métier ?
Je suis d’abord comédienne, par la pratique, la répétition. Le texte est à la fois un présent et un outil. Je m’appuie dessus, je mène l’enquête autour pour interpréter. Je m’invente une histoire.

Dans mon parcours, notamment au GEIQ Compagnonnage et dans la jeune troupe des Îlets dirigée par Carole Thibaut, j’ai été invitée à travailler un point de vue d’acteur·rice qui participe à la confection de son rôle. Une conscience de sa présence, de son corps, au service scénique d’une histoire qu’on raconte.

Et puis, cultiver les questions en creux : que dire et partager ? Pourquoi prendre la parole ? Quelle nécessité ? Mon travail de mise en scène en découle : pointer les tabous, mettre en lumière la parole étouffée en déployant des fictions du réel.

Votre tout premier spectacle ?
À la fin du CM2, premier spectacle de théâtre en classe… et une chanson écrite et interprétée pour l’occasion. J’évoquerais aussi Narmol de Solenn Denis, premier texte que j’ai mis en scène, puis corde.raide de debbie tucker green, que j’ai co-signé avec Caroline Boisson.

Récemment, l’écriture s’en mêle, pour œuvrer à des récits peu partagés socialement. Pratique de la ceinture, Ô ventre est mon premier texte destiné à la scène, au sein de la compagnie Bleu Gorgone, dont je porte les projets.

Votre plus grand coup de cœur scénique ?
Rébecca Chaillon. Un laboratoire de jeu à La Bellone (Bruxelles), en mars 2024 : Performer l’intime. Le groupe formé là-bas avec elle. J’aime cette artiste, son œuvre, sa sororité. Carte noire nommée désir fait partie des pièces qui m’ont éveillée ces dernières années.

Pendant le stage, j’ai réactualisé une performance de Chris Burden, Shoot. Je me suis entourée de supports radiophoniques, d’objets dans ma valise, du contexte des violences policières récentes, pour traverser cette œuvre où l’artiste, au service de sa performance, devient le sujet que l’on vise.

vanessa Amaral dans Pratique de la ceinture, Ô ventre © © Elsa Biyick
© Elsa Biyick

Quelles rencontres ont marqué votre parcours ?
Je pense spontanément à mes nouvelles collaborations, sublimées par le travail photographique d’Elsa Biyick.

Inês Mota à la scénographie, Tom Beauseigneur au son, Suzanne Devaux aux costumes, Myriam Adjallé à la lumière, Ana Mathyas à la création vidéo pour Pratique de la ceinture, Ô ventre.

Ana est une artiste visuelle noire, d’origine brésilienne. Elle travaille sur le temps, l’extractivité de la terre dans un héritage postcolonial toujours actif aujourd’hui. Son univers est immersif, organique, il représente les corps de la diaspora africaine.

Nous nous sommes rencontrées lors de l’une de ses performances visuelles, Tu Sile, pour laquelle j’ai tourné. Une énergie posée, un univers complexe et hypnotique. Un travail et une personne inspirante.

Où puisez-vous votre énergie créative ?
Les chansons tristes, l’expérience de l’injustice. Le service public que j’ai côtoyé en travaillant dans des institutions médico-sociales et hospitalières.

L’individu, sa construction – du noyau familial à son environnement social – et le rapport aux injonctions sont un fil rouge dans mes choix de pièces.

Pour écrire Pratique de la ceinture, Ô ventre, les ouvrages Une poupée en chocolat d’Amandine Gay, Endométriose et fibromes utérins d’Aïssatou Sidibé et Marie-Josée Thibert m’ont donné l’élan d’aborder cette pathologie au théâtre. Ce sont les premiers écrits que j’aie rencontrés sur le sujet. J’ai ensuite découvert l’existence d’associations constituées de personnes concernées, permettant de partager les vécus, les expériences thérapeutiques, d’organiser une prévention solidaire, une éducation à la santé – comme Fibrome Info France ou Vivre 100 fibromes.

© Elsa Biyick

En quoi ce que vous faites est essentiel à votre équilibre ?
Le travail m’apporte un horizon, des perspectives, des rendez-vous. Parfois, une sensation de vie augmentée.

Que représente la scène pour vous ?
La scène, et même le bâtiment théâtre, donnent parfois l’impression de retrouver une maison, où qu’on soit. La règle du jeu posée entre espace de représentation et espace d’écoute instaure une discussion tacite entre scène et salle. J’évolue aussi dans les arts de la rue avec la compagnie Tout en Vrac. La scène est multiple. Les lieux non dédiés au théâtre et l’espace public nous l’enseignent.

Le public est l’ultime partenaire : on pense aussi à sa place pour que la représentation opère. Il arrive qu’on invente un dispositif sur-mesure pour l’atteindre, quand il ne pousse pas les portes des théâtres – dans une salle polyvalente, sur une place…

Où ressentez-vous, physiquement, votre désir de créer et de jouer ?
Je gamberge, j’utilise ma mémoire émotionnelle… puis le corps, le dire prennent le relais.

vanessa Amaral dans <em>Pratique de la ceinture, Ô ventre</em> © Elsa Biyick
© Elsa Biyick

Avec quels artistes aimeriez-vous travailler ?
Je serais curieuse de suivre Joël Pommerat dans son processus de création. Et aussi étoffer mon expérience en simulation en santé.

Si tout était possible, à quoi rêveriez-vous de participer ?
Une nuit au théâtre avec de multiples propositions artistiques dans tous les recoins. Un parcours depuis l’extérieur jusqu’à l’intérieur d’un bâtiment public, truffé d’objets théâtraux. Devenir musicienne et danseuse pour les besoins d’un spectacle.

Si votre parcours était une œuvre d’art, laquelle serait-elle ?
Un concert de lecture performée, avec des duos inédits. Des textes d’auteur·trices que j’ai pu lire, dire, qui m’accompagnent : Toni Morrison, Léonora Miano, Rébecca Chaillon, Jean Hegland, Aurore Jacob, Leslie Feinberg, Lisette Lombé, Carole Thibaut, Etaïnn Zwer, Ronelda Kamfer, Nadège Prugnard, Erika Noméni, Azani Ebengou, Fatou S, Samaële Steiner, Diay Diallo, Béatrice Bienville, Douce Dibongo, Ernestine Evaristo…


Pratique de la ceinture, Ô ventre de Vanessa Amaral
Théâtre National Populaire
8 place Lazare-Goujon
69627 Villeurbanne cedex
Durée 1h45 environ
Du 12 au 21 mars 2025

Tournée
Du 12 au 16 mai 2025 au Théâtre Gérard Philipe, Saint-Denis
Du 23 au 25 mai 2025 dans le cadre de Théâtre en Mai au Théâtre Dijon Bourgogne

Mise en scène de Vanessa Amaral assistée d’Azani Ebengou en alternance avec Leïla Brahimi
Avec Vanessa Amaral, Sachernka Anacassis, Samuel Roussel-Hayatou, David Seigneur, Lisa Torres
Dramaturgie d’Aurore Jacob
Collaboration artistique – Dominique Elenga
Scénographie et régie générale – Inês Mota
Lumière de Myriam Adjallé
Son de Tom Beauseigneur
Vidéo d’Ana Mathyas
Costumes de Suzanne Devaux

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