La médecine générale est destinée à soigner, mais aussi à prévenir les grands maux. Ces derniers sont du domaine des spécialistes, des grands pontes. Olivier Cadiot raconte comment un homme bancal tente d’entraîner avec lui deux personnes – qui n’avaient finalement rien demandé – pour guérir de leurs souffrances intérieures.
Tout reprendre à zéro

Le personnage principal s’appelle Closure (fermeture). Cet artiste-écrivain, toujours perdu dans ses pensées, s’estime ouvert aux autres et à ce qui l’entoure. Centré autour de son nombril, il n’en est rien. Depuis la mort de son demi-frère alors qu’il n’était qu’un enfant, il cogite à tout va sur le sens de la vie. « On dit que nous sommes les premières générations à bénéficier d’outils tout faits. Prêts à exécuter toutes les fonctions possibles. Autrefois, avant de planter un clou, fallait fabriquer le marteau. » Il va donc inventer ce nouvel outil qui amènera à « l’avènement d’un troisième système cosmique ». Laurent Poitrenaux (L’Amante anglaise, La Collection) est comme toujours impressionnant. Ce colossal comédien, très à son aise dans le décalage et les ruptures, apporte à cet aspirant gourou touchant et agaçant, de formidables nuances.
Mais pas tout seul
Pour trouver un écho à ses réflexions toutes personnelles, il lui faut des disciples. Mathilde une connaissance d’autrefois, retrouvée par hasard, sera la première. Valérie Dashwood (La Collection) incarne avec une sensibilité remarquable cette anthropologue toute abîmée. Après avoir passé des années dans une forêt amazonienne, se retrouvant déconnectée de la société, elle souhaite revenir aux sources, dans la vieille maison de famille, pour comprendre ce qui ne va pas chez elle. Cela tombe bien, Closure cherchait un lieu de retraite. Ensemble, ils partiront restaurer la baraque pour en faire un lieu de retraite.
Sur leur chemin, c’est-à-dire dans le train, ils croisent Pierre. Ce jeune homme lunaire, possèdant l’oreille absolue, se révèle être un surdoué qui recrache tout ce qu’il lit sans aucun raisonnement. Closure vient de gagner le pompon avec cet homme-enfant, qui sera son Enfant sauvage. Il va pouvoir lui apprendre à penser, sans prendre garde à l’eau qui dort. Alvise Sinivia (La défense devant les survivants) comédien-instrumentiste se révèle impressionnant dans ce personnage.
Une partition finement menée
Les traits d’esprit ne manquent pas dans ce texte riche et dense. Comme chez Duras, ou Pinter – que Cadiot a traduit admirablement pour Trahisons et La Collection – il se dégage de ce texte une partition dans laquelle chaque mot appelle à une sonorité, celle des complications existentielles. Ludovic Lagarde, très à son aise avec l’œuvre du dramaturge (Le colonel des zouaves, Fairy Queen) en bon chef d’orchestre accompagne, plus qu’il ne souligne, la complexité et l’absurdité de cette symphonie dichotomique.

Le metteur en scène démarre d’ailleurs par un concert. À l’avant-scène, devant un rideau gris, un soliste interprète au piano du Haendel. À ses côtés, une tourneuse de page et un récitant. Ce narrateur met en place les prémisses de l’histoire. Puis, le rideau s’ouvre laissant place au décor, fait de panneaux sur lesquels sont projetées des images vidéo de nature filant à travers la fenêtre d’un train, d’un jardin au fil des saisons ou les pages d’un livre. Dans l’espace d’une maison en délabrement, les personnages dont les tenues vestimentaires se laissent de plus en plus aller, vont vivre en huis clos. S’affranchiront-ils ?
L’enfer, c’est qui déjà ?
Avec l’image du fils qui se rebelle, celle du père/mère qui fait ce qu’il peut et celle du « sain » d’esprit, cette trinité interpelle par ses nombreuses réflexions sur l’existence, les carcans que l’on se met ou que la société impose. Si le texte n’est pas toujours aisé à suivre, il entraîne, souvent par le rire, à mieux s’interroger : les débats font vibrer la sortie des spectateurs jusque dans le métro. À chacun sa lecture, selon son âge et son vécu.
Marie-Céline Nivière
Médecine générale d’Olivier Cadiot (éditions P.O.L.)
Théâtre de la Ville – Les Abbesses
31 rue des Abbesses
75018 Paris.
Du 28 avril au 13 mai 2025
durée 1h40.
Conception et mise en scène Ludovic Lagarde
Avec Valérie Dashwood, Laurent Poitrenaux, Alvise Sinivia
Scénographie d’Antoine Vasseur
Lumières de Sébastien Michaud
Costumes de Marie La Rocca
Conception sonore et musicale d’Alvise Sinivia
Vidéo de Jérome Tuncer
Son de David Bichindaritz, Jérome Tuncer
Collaboration à la dramaturgie Pauline Labib-Lamour
Assistante à la mise en scène Élodie Bremaud.