Un vrombissement assourdissant emplit l’espace. Une silhouette se détache lentement dans la pénombre. Féminine, fantomatique, elle avance en clair-obscur, bras tentaculaires et gestes saccadés, tel un insecte égaré dans un territoire désert. Très vite, une autre créature surgit dans cet espace pensé en ombre chinoise. L’une répond à l’autre, dans un jeu d’échos et de résonances. Puis surgit le groupe entier, une horde mouvante, hétérogène, qui investit le plateau et le peuple d’une énergie brute, collective, organique.
Une polyphonie de corps et de voix

Huit danseur·ses, vêtu·es de jupes grises sans distinction de genre, composent cette polyphonie de corps et de voix. Parfois synchrones, parfois dissonants, ils dansent ensemble sans jamais se fondre, font cercle, le défont et inventent une grammaire commune sans perdre leur accent propre. Choreia, nouvelle création de Rafaële Giovanola, est une fresque habitée, mouvante, poreuse, où l’individuel et le collectif ne s’opposent pas mais se traversent, se nourrissent.
Traversant à sa manière fragmentée et plurielle l’histoire des chœurs – du théâtre grec antique aux chorales contemporaines –, la chorégraphe suisse imagine le collectif non comme une fusion, mais comme une entente cordiale, une écoute attentive. Pas d’effet de masse ici, mais une communauté vivante, où chaque voix, chaque souffle, chaque geste a sa place. Loin d’un unisson figé, elle propose une harmonie ouverte, traversée de tensions, de ruptures, d’élans. Une architecture mobile, fragile, précieuse.
Un chœur kaléidoscopique

Sur scène, les corps parlent autant qu’ils dansent. Ils crient, murmurent, halètent. Des sons bruts, des râles, des souffles amplifiés jaillissent, captés et transformés en direct par le musicien Franco Mento, qui compose une trame électro-vocale aussi physique qu’émotionnelle. Répartis dans la salle, des chanteur·ses amateur·rices viennent compléter ce paysage sonore, enveloppant le public dans un bain de voix. On ne sait plus qui chante, qui respire, qui gémit. Tout circule.
Chaque interprète a contribué à l’écriture du spectacle. Leurs gestes dégingandés, leurs élans suspendus, leurs corps tordus ou tendus, portent les traces de leurs histoires. On sent, dans la matière même du mouvement, la mémoire des identités, des blessures, des métamorphoses. Et c’est cette densité-là, intime, sensible, qui rend la pièce si bouleversante.
Les tableaux s’enchaînent dans une précision chorégraphique admirable, sculptés par les lumières d’An Wiesbrock et Annegret Schalke, qui découpent l’espace en zones d’apparition et de disparition. On y devine une humanité fragmentée, mais solidaire, plurielle, mais en quête d’un chant commun. Vibrant !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Monthey
Choreia – un polyballet de Rafaële Giovalola
Création le 8 mai 2025 au Théâtre du Crochetan, Monthey
vu un filage public dans le cadre de La Course de l’école
Tournée
18 et 19 mai 2025 au Théâtre Public de Montreuil – CDN / Salle Jean-Pierre Vernant dans le cadre du Festival des Rencontres chorégraphiques internationales de Seine Saint-Denis
De et avec Alvaro Esteban, Cristina Commisso, Margaux Dorsaz, Evandro Pedroni, Léonce Noah Konan, Jenna Hendry, Nora Monsecour, Louis Thuriot en alternance avec Bojana Mitrovic et Colas Lucot
Chorégraphie et mise en scène de Rafaële Giovanola
Composition de Franco Mento
Live électronique – Franco Mento
Lumières, espace – Jan Wiesbrock, Annegret Schalke
Costumes de Fa-Hsuan Chen
Coaching vocal – Karine Barman, Justin F. Kennedy, Leah Marojevic
Œil extérieur – Alvaro Esteban
Dramaturgie de Rainald Endraß