Le Centre Pompidou est souvent associé à l’art moderne, aux expositions, à la BPI. Pourtant, le spectacle vivant y est présent depuis l’origine…
Chloé Siganos : Dès son ouverture en 1977, le Centre Pompidou a été conçu comme un centre d’art total, un projet profondément politique et utopique. L’art vivant n’est pas venu après coup, il était là dès le départ. Dans les premières années, on y voyait beaucoup de théâtre. La salle de spectacle avait été pensée pour accueillir concerts, pièces et formes expérimentales. Pierre Boulez dirigeait l’IRCAM, et les croisements entre musique, image et texte étaient déjà à l’œuvre. Ce n’est pas un hasard si le Centre a très vite collaboré avec le Festival d’Automne à Paris, qui partageait cette ambition d’internationalisme et de décloisonnement des disciplines.
Quels ont été les grands jalons de cette histoire ?

Chloé Siganos : Il y a eu plusieurs temps forts. Après une période très marquée par le théâtre dans les années 1980, une bascule s’est opérée vers la danse contemporaine dans les années 1990 et 2000, notamment sous l’impulsion de Serge Laurent, qui a dirigé le service pendant plus de vingt-cinq ans. On y a vu des artistes comme Jérôme Bel, Xavier Le Roy, Gisèle Vienne — des figures majeures qui, à l’époque, n’étaient pas encore largement diffusées en France. Le Centre Pompidou a été l’un des rares lieux à prendre le risque de montrer ces formes souvent hybrides, parfois difficiles à classer, mais toujours en lien avec une pensée de l’image, du geste, du corps comme langage.
Qu’est-ce qui distingue, selon vous, la place du spectacle vivant à Pompidou ?
Chloé Siganos : Sa transversalité. Ici, les spectacles ne sont pas des objets isolés dans une programmation autonome : ils dialoguent avec les expositions, les archives, les textes, les sons. Le vivant est à la fois un médium, un révélateur et un prolongement. Quand Philippe Quesne est invité, ce n’est pas seulement pour une pièce, c’est pour une constellation : des performances, des projections, des rencontres. Idem pour Mohamed El Khatib, Patti Smith ou Bintou Dembélé. On compose autour de l’artiste, de sa pensée, de ses engagements. Et cela dépasse largement la simple logique de diffusion.
Depuis votre arrivée, vous avez souhaité renforcer cette logique de compagnonnage ?

Chloé Siganos : Oui, et elle se prolonge aujourd’hui hors les murs. À venir en juin, nous proposons un projet exceptionnel imaginé avec Mohamed El Khatib et le GrandPalaisRmn : Le Grand Palais de ma mère. Ce sera un grand parcours immersif dans la partie centrale de la nef retraçant quinze années de création de l’artiste, mêlant scénographies, expositions, films, performances, autour de ses liens avec la société, la mémoire, les institutions, les EHPAD, les familles, les objets. Ce sera un moment fort.
Mais ce n’est pas tout. En septembre, nous nous associons à la Biennale de la danse de Lyon pour imaginer pendant les trois semaines de la biennale un parcours autour de trois grandes artistes — Gisèle Vienne, Dorothée Munyaneza, Eszter Salamon – avec des recréations ou créations in situ dans des lieux industriels ou patrimoniaux. À Paris, nous poursuivons notre dialogue avec l’Ircam. En septembre, Eszter Salamon y imaginera une installation immersive pensée entre film de danse et création sonore. Puis Gabriela Carneiro da Cunha, artiste brésilienne, y présentera, Tapajós, un projet sur la contamination des fleuves en Amazonie en partenariat avec le Festival d’Automne.
Avec ce dernier, nous préparons des projets à la Ménagerie de Verre, avec l’artiste visuel Tarek Atoui et le chorégraphe Noé Soulier. Les spectacles vivants accompagneront également l’invitation intellectuelle lancée par le Centre Pompidou et le Festival d’Automne à l’essayiste sénégalais Felwine Sarr. Et dès 2026, nous prendrons part à la grande exposition pluridisciplinaire imaginée par les commissaires Mathieu Potte-Bonneville et Eva Barois de Caevel au Panthéon, en partenariat avec le Centre des monuments nationaux.
Avec la fermeture du bâtiment, comment imaginez-vous la suite ?

Photo R12, © Yohanne Lamoulère
Retouche, résolution – Maquette © Centre Pompidou
Chloé Siganos : Nous avons cinq ans hors les murs. Plutôt que d’y voir une contrainte, nous avons choisi d’en faire une force. Laurent Le Bon parle de « métamorphose » plutôt que de fermeture. C’est exactement cela : une transformation profonde, spatiale, mais aussi curatoriale. Nous allons essaimer sur tout le territoire, en France et à l’étranger, en travaillant avec des lieux partenaires, mais aussi au futur Centre Pompidou Francilien – Fabrique de l’Art de Massy, qui ouvrira en 2026. Chaque lieu devient un terrain d’expérimentation pour le Centre. Nous préparons également une présence à la Biennale du son à Sion, en Suisse, en août, avec une performance du cinéaste Jim Jarmusch.
Est-ce que ce « Pompidou hors les murs » prolonge la philosophie initiale du Centre ?
Chloé Siganos : Plus que jamais. Georges Pompidou voulait un lieu de liberté, de rencontre, d’invention. Ce qu’on expérimente aujourd’hui, avec le programme constellation, c’est une nouvelle manière d’habiter l’institution, d’ouvrir les récits, de penser des projets transversaux, parfois à ciel ouvert, parfois dans des lieux inattendus — un parking, un village, un cinéma, un musée. L’art vivant a toujours été une respiration essentielle de cette maison. Aujourd’hui, il en devient le moteur.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Centre Pompidou
Place Georges-Pompidou
75004 Paris