Le plateau n’est pas encore baigné de lumière que la température, bien trop élevée, s’affiche déjà sur un petit écran. Incessant rappel du contexte caniculaire dans lequel se déroule À sec, ce thermomètre fictif plonge scène et salle dans une atmosphère écrasante. Dès les premiers instants, les contraintes sont posées. Dans ce minuscule village de la campagne française en pleine sécheresse, les agriculteurs sont forcés de rationner leur consommation d’eau… Mais à quel prix ? D’emblée, une faille immense, témoin d’une profonde fracture sociale, se creuse entre le monde rural et celui des décisionnaires. Pourtant, au premier plan, la vie ordinaire se poursuit, à peine perturbée par l’arrivée d’une citadine venue tenter sa chance loin de la ville.
Far ouest

C’est autour d’un entrelacs de relations que s’instaure la narration de cette pièce écrite par Marcos Caramés-Blanco. En choisissant d’aborder ses sujets sans les attaquer frontalement, l’auteur dresse un paysage complexe qui se devine entre les lignes. Au gré des conversations, rares et taiseuses, il distille un langage aussi brut qu’efficace qui trouve son écho dans la mise en scène de Sarah Delaby-Rochette. Les regards, les gestes et les présences y sont essentiels : c’est dans ce qui ne se dit pas que se révèle la réalité des rapports. Dans la scénographie de Camille Allain-Dulondel aussi, la crudité est de rigueur. Les armatures en métal ornées de lampes d’une autre époque rappellent l’ouest américain, un espace-temps qui s’appréhende avec rudesse et authenticité.
Ainsi les paysages d’outre-Atlantique rencontrent un récit bel et bien ancré au cœur de l’hexagone, ouvrant à une dramaturgie qui pioche de plus en plus dans l’imaginaire. Les considérations politiques, environnementales et sociales – fil rouge d’une première partie qui touche juste à bien des niveaux – laissent ensuite place à une écriture et une mise en scène qui empruntent davantage à la science-fiction. Dans ce surprenant glissement, la peur de l’étranger et de la dépendance prennent le visage effrayant d’une apocalypse insaisissable. La pièce développe alors, dans la métaphore, une prophétie qui transpose dans le surnaturel des craintes bien concrètes.
Rue de la soif

Fresque rurale qui se balade entre la fiction et le témoignage, À sec n’hésite pas à puiser ses ressources dramaturgiques dans les références pop autant que dans la caricature. Sans se donner l’ambition de coller à une réalité documentaire, Marcos Caramés-Blanco et Sarah Delaby-Rochette abordent de la sorte des problématiques factuelles dans lesquelles l’humain se confronte à lui-même. Car au-delà des relations interpersonnelles qui se précisent au fil du texte, chaque personnage fait également face à son propre rôle, au sein de son environnement proche comme au cœur de la société. Ici, les natures s’entrechoquent dans une résistance collective face à l’ennemi commun, tout inconnu soit-il.
En effet, pour qu’émerge la dominante fantastique en seconde partie, il aura fallu subir cette privation d’eau et ses conséquences, la soif jusqu’aux hallucinations et la paranoïa qu’elle engendre. Tout, dans cette pièce au titre éloquent, trouve nécessairement son origine dans cet événement initial, élément déclencheur d’une vérité vouée à rester tue. Dans la pluralité parfois floue des sujets évoqués, le verdict est sans grand optimisme : le milieu rural est un monde que l’on finit par quitter, quelle qu’en soit l’issue.
Peter Avondo – Envoyé spécial à Valence
À sec de Marcos Caramés-Blanco et Sarah Delaby-Rochette
La Comédie de Valence
Place Charles-Huguenel
26000 Valence
Du 13 au 17 mai 2025
Durée 2h15 environ
Tournée
20 mai 2025 : Les Quinconces et L’Espal, Scène nationale du Mans
8 et 9 septembre 2025 : Festival SPOT, Théâtre Paris-Villette
Texte de Marcos Caramés-Blanco
Mise en scène de Sarah Delaby-Rochette
Avec Marie Depoorter, Sandrine Juglair, Benoît Moreira da Silva, Gaïa Oliarj-Inés, Mikaël Treguer, Catherine Vuillez
Costumes de Mélody Cheyrou
Lumière d’Alice Nédélec
Scénographie de Camille Allain-Dulondel
Son de Thibaut Farineau