Le personnage de Gloria (Gaïa Oliarj-Inés) provoque un déjà-vu. C’est un personnage qui enchaîne clope sur clope avant que sa vie ne parte en fumée. Un personnage qui jure, s’esclaffe, ment et qui aura son quart d’heure de gloire. Ce n’est pas un hasard, elle s’appelle Gloria.
Une femme comme les autres

Chaque matin, elle se traîne pour d’impossibles journées de travail en tant qu’aide à domicile. Chaque soir, elle a pour seul accueil les remarques ingrates de son compagnon José (Benoît Moreira da Silva). Chaque jour, les mêmes appels avec sa meilleure amie Rita (Katell Jan) en passant l’aspirateur. La répétition confine à l’absurde et c’est finalement dans cette absurdité que le réalisme s’avère le plus tangible.
Ce quotidien marqué par la servitude, la docilité avec le mépris pour unique réponse, est sans doute celui de millions de femmes. En faisant de Gloria un personnage, projetant cette existence « invisibilisée » sur un plateau de théâtre, Marcos Caramés Blanco, jeune dramaturge, cherche l’inédit. On pense évidemment au cinéma. Elle est une Jeanne Dielman (celle de la réalisatrice Chantal Akerman) qui, prise de vertige, fait vaciller d’un coup d’un seul une vie qui n’en est pas une. Une Thelma qui cherche sa Louise pour une révolution. Une femme haute en couleurs que l’on croirait sortie d’un film d’Almodóvar, qui investit les interstices du patriarcat et du capitalisme pour s’accomplir.
Donner vie à la banalité

Lauréat du Prix Incandescences 2022 de la meilleure maquette, le texte de Marcos Caramés Blanco est cash, sans peur du vulgaire, du banal, du vide. Pour le servir, une distribution bluffante par sa justesse, à commencer par l’héroïne éponyme qui ne flirte avec la caricature que pour mieux la détourner.
Pour (sup)porter l’ennui de son personnage principal, la metteuse en scène en appelle à l’écoute. Un bruiteur s’invite sur le plateau pour faire théâtre de la moindre action. La scénographie d’Andréa Warzee le place au centre d’un appartement exiguë dans lequel Gloria tourne en rond. Cet ameublement ramassé vient créer des reliefs, idéal pour qu’une drag queen (Lucas Faulong) y prenne de la hauteur. Celle-ci est tantôt narratrice, tantôt senior en situation de dépendance, rien de surprenant dans un récit qui montre combien les rôles sociaux relèvent de la performance. Gloria Gloria est un théâtre qui cherche de l’émancipation dans les environnements où les contraintes pèsent le plus.
La promesse de la jeunesse
Une playlist éclectique sert de note d’intention à cette pièce : culture queer, chanson, rap, classiques de la génération beatnik. Un ensemble un peu épars qui aura au moins le mérite de surprendre et montrer la complexité du personnage.
En bref, c’est un texte jeune qui doit à sa candeur beaucoup de forces. Il faut pourtant admettre que des mots à la mise en scène, on sent l’influence très forte de l’ENSATT, école lyonnaise d’un théâtre en trompe l’œil où le jeu est délibérément cru, confus, hésitant. C’est là qu’ont notamment été diplômés Marcos Caramés Blanco, Katell Jan, Benoît Moreira da Silva, Andréa Warzee et Sarah Delaby-Rochette. Jolie promesse en tout cas que ce vent de révolution qui pourrait rafraîchir un peu les théâtres, quitte à ce que Gloria Gloria soit pris en grippe.
Mathis Grosos
Gloria Gloria de Marcos Caramés-Blanco
Création en décembre 2023 à Théâtre Ouvert — Centre National des Dramaturgies Contemporaines
Durée 1h30
Reprise
12 et 13 décembre 2024 au Théâtre de Suresnes Jean Vilar dans le cadre du Festival Impatience 2024
En tournée
1er février 2024 à la Halle aux grains – Blois
3 au 13 avril 2024 au Théâtre des Célestins – Lyon.
Mise en scène de Sarah Delaby-Rochette
Avec Thibaut Farineau, Lucas Faulong, Katell Jan, Benoît Moreira da Silva, Gaïa Oliarj-Inés.
Costumes deMélody Cheyrou.
Lumière d’Alice Nédélec.
Scénographie d’Andréa Warzee.
Son : Thibaut Farineau.
Texte est publié aux Éditions Théâtrales en février 2023.