Dès la gare, une immense affiche annonce la couleur, la capitale bourguignonne célèbre le théâtre sous toutes ses formes. Pour cette édition 2025, Théâtre en mai invite spectateurs et curieux à se laisser porter par les imaginaires et les écritures contemporaines. Pendant une dizaine de jours, Dijon vibre au rythme de l’art vivant.
La nuit qui engloutit tout

À quelques pas du Parvis Saint-Jean, QG du festival où se joue Velvet de Nathalie Béasse, la salle Jacques Fornier accueille la première mise en scène du vidéaste Quentin Vigier, complice fidèle de Maëlle Poésy. Il y convoque l’univers de la psychanalyste et philosophe Anne Dufourmantelle pour faire glisser les spectateurs dans les plis du rêve.
Sur le papier, tout est prometteur. Texte fragmenté, images oniriques, cirque délicat et musique live en sont les principaux ingrédients. Le cocktail annonce une plongée sensorielle dans les zones d’ombre de nos imaginaires. Sur scène, la comédienne Stéphanie Marc, la circassienne Viola Baroncelli et le musicien Félix Dupin-Meynard inventent un territoire trouble, habité, où le son, le geste et la lumière cherchent à dialoguer.
Mais malgré la beauté formelle des tableaux, les éléments peinent à s’imbriquer. Le texte, souvent plaqué, se perd faute d’avoir été pleinement adapté à la scène. C’est bien dommage. La pensée lumineuse de Dufourmantelle se dilue. Reste une atmosphère, une promesse, celle d’un théâtre qui ose rêver autrement. Un geste touchant dans ses intentions, mais encore en quête d’incarnation.
Une promesse en chantier
Le lendemain, à la Minoterie, pôle de création jeunesse dijonnais, Yngvild Aspeli plonge la jeune troupe permanente du Théâtre Dijon Bourgogne dans un terrain de jeu mouvant. Avec Trust me for a while, elle explore un langage entre théâtre d’acteurs, ventriloquie et marionnettes grandeur nature.

Le spectacle est encore en construction. Il se cherche. Mais cette forme fragile n’empêche pas les comédien·ne.s d’imposer une belle présence scénique. Ils manipulent les marionnettes avec précision et sensibilité, prolongeant leur propre corps sans jamais forcer l’effet. C’est dans cette relation fine entre manipulation et interprétation que le spectacle trouve sa vraie force.
Certaines scènes restent floues, la dramaturgie peine parfois à s’installer, mais le groupe tient bon. Investi, concentré, attentif au moindre mouvement, il donne vie à l’improbable, à l’inerte. S’intéressant à l’étrange lien entre l’humain et sa marionnette, la metteuse en scène imagine un impromptu horrifique, un cauchemar où le manipulateur n’est pas celui qu’on croit. La magie opère, la promesse est là, — même si le récit, encore embryonnaire, tourne court.
L’homme face à la matière glaise
Au sous-sol du Consortium Museum, les festivaliers basculent dans un autre monde. Près de dix ans après sa création, Romain Bertet reprend son solo tellurique De là-bas, initié après le choc vécu et subit par une représentation de May B de Maguy Marin. Revisitant l’allégorie de la caverne et sondant son propre inconscient, le chorégraphe déplie ses états d’âme au contact direct de la matière. À force de frotter, lisser, cogner, son corps s’use, se transforme, se livre. Le geste est brut, essentiel.

D’abord, le noir. Puis un vrombissement doux envahit l’espace. Peu à peu, une étrange forme se dessine. Deux jambes flottent dans les airs, apparaissent, disparaissent dans un savant jeu d’ombres et de lumières. Bientôt, un corps entier, sans tête, émerge et habite l’espace. La silhouette devient présence. Le lieu – grotte, cave ou chambre mentale – se charge de résonances archaïques.
L’homme tâtonne, chute, avance, recule, recommence. Encerclé par des parois d’argile tantôt souples, tantôt rétives, il cherche autant une issue qu’une identité. Parfois, il semble trouver un passage, mais revient inexorablement à son état premier, enfermé dans un labyrinthe intérieur. Rêve ou cauchemar, il y enfonce les mains, tente d’imprimer son empreinte, de se fondre dans la glaise.
La folie le guette. Son visage se démultiplie, son équilibre vacille. Il perd pied. Par moments, le geste se répète, l’élan s’étire un peu trop. Mais la poésie affleure, fragile et persistante. Elle irrigue la performance jusqu’à cette dernière image, qui s’imprime sur nos rétines et dit tant de la fragilité de la nature humaine.
Ce n’est que le début
Le festival ne fait que commencer. Bien que fragiles, les gestes artistiques qui s’y déploient questionnent le monde et invitent autant au rêve qu’à la réflexion. Cette édition printanière permet également de découvrir Pratique de la ceinture ô ventre de Vanessa Amaral, Pour que l’année soit bonne et la terre fertile du collectif Mind The Gap, ainsi que Sans faire de bruit de Louve Reniche-Larroche.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Dijon
Théâtre en mai
du 23 mai 1er juin 2025