Michel Marc Bouchard est un très grand dramaturge. Sa pièce Les Muses orphelines a connu, il y a vingt ans, un immense succès au Tristan Bernard, dans la mise en scène de Didier Brengarth. Comme ce fut le cas pour Tom à la ferme, dont la version brésilienne a fait un carton au Festival Off Avignon puis en tournée. Xavier Dolan en avait fait un magnifique film, et a d’ailleurs également adapté en série, et avec talent, La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé.
Une écriture brillante
Didier Brengarth, qui connaît bien l’auteur et son univers, rêvait de s’emparer de cette pièce écrite en 2019. De son côté, la comédienne Gaëlle Billaut-Danno avait le même désir. Unissant leurs forces, ils ont assez vite trouvé des producteurs et un théâtre. Le public ne peut que s’en réjouir. Sans en enlever l’esprit délectable des œuvres québécoises, la langue a été francisée par l’auteur lui-même. Construit comme un thriller, ce psychodrame de l’intime, à la fois drôle et tragique, caustique et glaçant, est un petit chef-d’œuvre. Cette famille des Laurentines, région du Québec, semble descendre de celle des Atrides !
Une femme, très belle, très filiforme, arrive au-devant de la scène. La neige tombe derrière elle. Elle s’appelle Mireille et nous raconte que jusqu’à ses douze ans, pour combler ses insomnies, elle se faufilait la nuit chez les gens. C’était facile, les portes restaient ouvertes puisque le coin était paisible. Un soir, elle s’est glissée dans la chambre de la star du lycée, le très beau et charismatique, Laurier Gaudreault. Mais celui-ci s’est réveillé ! C’est là que la tragédie de sa vie a commencé à s’écrire.
« Un seul remède à la vérité : la parole »
Le rideau s’ouvre ensuite sur une chambre mortuaire. Devenue une thanatopractrice de renom, Mireille est revenue au pays pour s’occuper du corps de sa mère qui vient de mourir. Elle a convoqué ses frères pour venir l’aider. Dans certaines tribus, cet acte collectif permet de libérer les âmes ! Et c’est exactement ce qui va se passer. Petit à petit, dans une construction impeccable, l’auteur lève le voile sur ce qui est vraiment arrivé cette fameuse nuit, et comment l’onde de choc a tout secoué sur son passage.
La mise en scène de Didier Brengarth est saisissante. Il n’a pas eu peur de montrer la morgue et la table où gît le cadavre de la mère. Il était important qu’elle soit présente puisqu’elle est le pivot de cette famille fracassée. C’est autour de cette figure, autant aimée que détestée, que se sacralise le passé. La vérité peut enfin éclater ! Mais cela pourra-t-il réparer les vivants ?
Une pièce chorale
Michel Marc Bouchard sait nourrir ses personnages, explorer leurs failles. Troublante et sensible, Gaëlle Billaut-Danno sait donner de l’étoffe à ces personnages fragilisées par les épreuves (La journée de la jupe, Coupables). Mireille n’a pas été épargnée. Droite dans ces bottes, elle suit sa ligne de conduite, quitte à retomber dans l’extrême solitude où le drame l’a plongé. Ne perdez jamais de vue ses regards qui, lorsqu’elle écoute les autres, en disent long.
Ses trois frères forment un ensemble disparate que seul le drame relie sans le savoir. Il y a l’aîné qui a enfin arrêté de boire et que tout le monde protège. L’interprétation toute en nuances de David Macquart est remarquable. Le petit dernier, qui est aussi le premier à arriver à l’appel de sa sœur, est un éternel grand enfant qui ne comprend pas toujours tout. Julien Personnaz, sans jamais forcer le trait, lui donne une très belle dimension. Benjamin Penamaria est le cadet, celui qui se charge des autres. Lorsqu’il décide de prendre vraiment la parole, dans un monologue poignant, l’acteur se révèle prodigieux.
En pièce rapportée, il y a la belle-sœur, femme de l’aîné. L’épatante Marie Montoya est inénarrable dans ce rôle de fausse nunuche. Margaux Van Den Plas est l’assistante de Mireille, dont les brèves apparitions ramènent les protagonistes du drame à l’essentiel, qui est d’enterrer la mère. Mais les enfants avaient besoin de remuer la boue pour mieux pouvoir lui dire adieu. S’en relèveront-ils ? C’est magnifique !
Marie-Céline Nivière
La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé de Michel Marc Bouchard
Tristan Bernard
64, rue du Rocher
75017 Paris
Du 13 septembre au 21 décembre 2024
Durée 1h45
Mise en scène Didier Brengarth,
assisté de Stéphanie Froegliger
Avec Gaëlle Billaut-Danno, David Macquart, Marie Montoya, Benjamin Penamaria, Julien Personnaz, Margaux Van Den Plas
Scénographie d’Olivier Prost
Lumières de Mathieu Courtaillier
Costumes de Mathieu Crescence
Son d’Antoine Daviaud
Création visuelle de Mathieu Courtaillier et Didier Brengarth
Texte publié aux Éditions Théâtrales
Toujours fortes tes critiques
Marie Céline !! À suivre toujours !